Chapitre 5 - Un indésirable en ville

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 Allongé sur une branche basse d'un noyer, à l'écart de la ville, Lass profitait des carillons de la nature environnants. Un souffle frais caressa sa peau, invita quelques mèches de ses cheveux sombres à une brève ballade, puis fiança le chant des cigales, nichés dans un tilleuil proche, aux bruissements des branchages.

 Deux jours avaient passé. Le vent s'était mis à l'Est, accompagné des températures plus clémentes de la région de l'Orée, et le soleil, malgré son implacable garde, avait perdu de sa véhémence.

 Le mercenaire retira de son écrin un message maintes fois consulté, et parcourut l'écriture galbée.

 "Rends-toi à Neizies. Un contrat y sortira de l'ordinaire, on pourrait beaucoup apprendre. Je me rends à Grand'Arch, cité enfouie des nains. Rejoins-moi là-bas quand tu auras terminé, mais ne tardes pas. Demande Thrill, archiveur des mémoires.

Ta cicérone, A."

 Deux jours avaient passé. Et rien de ce qu'il était supposé chercher ne s'était manifesté.

 Il se redressa, se laissa glisser à terre, puis se dirigea vers l'auberge. À mi-chemin, il décida d'un détour par la traverse marchande, où se pressaient camelots, étals vociférants, et chalands ballotés d'un biais à l'autre. La cité avait accueilli nombre des fermiers et villageois voisins, qui profitaient du répit de chaleur pour approvisionner le marché et écouler les stocks.

 Pour Lass, tout cela lui évoquait un troupeau cerné de chiens de berger ; c'était à qui aboyait le plus fort pour attirer le plus de moutons. Et lorsqu'il s'engagea dans la rue, il eut l'impression que c'était lui, le loup.

 De regards circonspects en remarques acides, tous s'écartaient de l'homme aux bandages ensanglantés.

 Les six corps réceptionnés à la chapelle avaient alimenté les rumeurs, et un homme qui se présentait en tant qu'assassin tronait en tête des ragots juteux. Il ne fallut guère de temps pour que ces deux histoires se rencontrent au son de chopes qui trinquent, flirtent sur le banc de réunion des vieillards de la cité, puis donnent naissance à des fables rivalisant de grotesque.

 Ici, à Neizies, bastide fortifiée de moins de deux mille habitants, tout se savait. Tout se savait, même ce qui n'était pas.

 Le mercenaire remonta l'artère bondée, libre de passage grâce à la foule qui se scindait à son approche, et s'arrêta à un éventaire où gisaient viande fumée et produits fermiers. La détaillante, une vieille femme au visage sévère, accepta sans ménagement de troquer du lard contre du sel, puis agita un balai en fagots de bois pour chasser les mouches.

 Les branchettes se rapprochèrent dangereusement du visage de Lass, qui recula, surpris, et écrasa quelques orteils égarés. Une petite fille hurla, s'agrippa aux jupons de sa mère, puis brailla à s'en broyer la voix.

 La femme s'accroupit, enlaça son enfant, et décocha une oeillade armée de reproches au mercenaire. Un attroupement se forma, et des murmures se faufilèrent parmi les cris qui vibraient dans l'air.

  • Mate-y moi ça, c'est l'assassin.
  • C't'un drôle d'oiseau, celui-là.
  • L'curé a dit de pas l'approcher, y serait dangereux.

 La matrone ne pipa mot. L'homme aux bandages ressentait la peur s'insinuer dans son regard, l'affaiblir et le ronger. Il sentait ses yeux ciller, puis vaciller, s'accrocher aux dernières onces de détermination.

 S'égrener et s'éparpiller au vent.

 Il l'observa se lever, son drôle dans les bras, et rejoindre le flot des passants.

 Puis, une lame effleura sa nuque. Froide et affilée.

 Instinctivement, il se retourna, sur ses gardes, lorsqu'un bout de bois vint tapoter son épaule et s'aventurer dans le creux de sa clavicule. La vieille commerçante le dévisageait, balai au poing, rictus de colère à la bouche.

  • Voyez pas que vous faites fuir les clients ? Dégagez-moi le plancher, plus vite que ça ! C'est pas permis de glandouiller ! Pas devant mon étalage !

 Il obéit sans broncher, piqué à vif par l'hystérie de la doyenne, et reprit la direction de l'auberge.

 Il gravit les escaliers vermoulus sans une attention au tenancier, dont la formule de bienvenue se dispersa dans le silence, puis s'enferma dans l'étroite pièce qui lui servait de dortoir. Il se déshabilla, et s'écroula sur le matelas de paille dans un long soupir.

 La foule avait toujours su le mettre sous tension.

 À son réveil, il partirait, avec ou sans contrat.

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