On sonna à la porte. Natacha était encore chamboulée de ce qui s'était produit la veille. Son ami était mort par sa faute, pour ce stupide arc-en-ciel. N'était-ce pas une noble cause ? Elle était assise sur le sol, dans la pièce blanche, à contempler, le regard vide, les draps sous lesquels gisaient les quatre cadavres. La voix s'éleva alors dans la pièce, comme en réponse aux questions que se posait la jeune femme :

- Ce garçon s'est mis lui-même dans de mauvais draps. Ton arc-en-ciel est une noble cause. Cet imbécile n'aimait que les couleurs chaudes de toutes manière, il n'en valait pas la peine.

Natacha repensait à son cauchemar, à son sang qui tapissait les murs de la pièce. Elle se mit à pleurer. On toqua à la porte. Elle essuya maladroitement ses larmes du revers de la main et alla ouvrir. C'était son frère.

- Sacha ?

- Tu n'es pas contente de me voir ?

- Si. Bien sûr que si je suis contente. Je suis surprise, voilà tout.

- Tu vas bien, Natacha ?

- Je vais très bien.

- Tu as les yeux rouges. Tu as pleuré ?

- Pourquoi veux-tu que je pleures ?

- Il s'est passé des choses étranges dans ton immeuble. Trois personnes y ont été signalées disparues. L'une d'entre elle, une adolescente, a été vue pour la dernière fois avec toi, à ce qu'il paraît. On dit déjà d'affreuses choses à ton sujet, Natacha. Je ne peux pas entendre cela. Je sais que tu n'as rien fait à cette gamine, et j'ai peur qu'il t'arrive quelque chose.

- Tu te trompes.

- Comment ça ?

- Va dans la pièce du fond, et soulève le drap.

Sacha s'exécuta. Sa sœur entendit bientôt un gigantesque cri. Il hurla :

- Comment as-tu pu faire ça ?

Elle ne répondit pas. Il continua :

- Tu es un monstre, Natacha ! Ma sœur est un monstre !

La voix s'éleva dans la pièce :

- Ne le laisse pas partir, il va tout faire échouer.

Natacha ouvrit la porte du bureau, se saisit précipitamment de la lampe qui trônait sur sa table de travail et courut dans la salle blanche ou son frère gémissait et la maudissait. Elle abattit violemment l'objet dans la nuque de Sacha et celui-ci s'effondra au sol en moins d'une seconde. Une nuée orange s'échappa de son corps et monta se mêler à l'arc-en-ciel. La jeune femme se laissa tomber à terre et passa sa main dans les cheveux de son défunt frère.

- Qu'ai-je fait ?

De grosses larmes roulèrent sur sa joue. On toqua à la porte. Elle entendit crier :

- Police, ouvrez-nous !

Elle leva la tête vers l'arc-en-ciel.

- Je n'abandonnerai pas maintenant. Il ne manque que le rouge.

Elle regarda le drap au fond de la pièce, regarda le cadavre de son frère et enfin regarda ses mains. Elle fut parcourue d'un violent frisson :

- Bon Dieu, c'est moi, le rouge...

Les policiers toquaient de plus en plus fort sur la porte. Natacha se rendit dans la cuisine où elle se munit de deux couteaux. Elle retourna dans la salle blanche et se posta dos à la baie vitrée, elle saisit fermement les deux couverts et les tint devant elle, lames tournées vers son buste. Ainsi, elle se mit à courir droit sur le mur d'en face. Les manches des couteaux furent arrêtés par le mur et son ventre se retrouva transpercé des deux lames. Son sang se propulsa sur le mur. Elle fit quelques pas en arrière et s'écroula. La nuée rouge commençait à s'évader de son corps et montait au plafond. Elle souriait à l'idée de la voir rejoindre l'arc-en-ciel. Mais déjà son champ de vision se couvrait de tâches noires. Il en fut recouvert avant qu'elle ne puisse assister au spectacle : elle mourrait. La porte se fracassa, les policiers entrèrent. Ils la trouvèrent étalée au sol. Elle murmura en poussant son dernier soupir :

- L'arc-en-ciel...