Le diable par la queue
Je me suis retrouvé un jour, sans l’avoir vu venir, à tirer le diable par la queue. Lui, bien sûr, essayait de se retourner pour savoir qui j’étais. Moi, je calquais mes mouvements sur les siens afin de rester en permanence caché derrière, invisible. Inutile de lui laisser mon adresse ! Les spams ordinaires sont diaboliques, mais les spams diaboliques ne sont pas ordinaires.
– Lâchez-moi, monsieur, je ne vous connais point, s’époumonait-il.
– Je voudrais bien, Monseigneur, le flagornais-je, mais il parait que c’est encore pire de l’autre côté.
Il avait une queue rêche, terminée par une pointe en forme de flèche. Je le tenais bien en main. Avec une telle prise, je n’étais pas prêt de la lâcher !
– Vous devrez bien me libérer un jour, beau Sire, susurra-t-il. Y avez-vous pensé ?
Question idiote ! Je ne pensais qu’à ça. En plus, avec cette infecte odeur de soufre, mes yeux commençaient à pleurer. J’avais du mal à rester caché dans son dos. Quand on tient le diable par la queue, on a tendance à rester discret ; on m’a dit que c’était un réflexe atavique.
Question réflexe, je commençais à fatiguer, alors que lui semblait toujours plein d’énergie. Il devenait de plus en plus virulent. Sans tomber bien sûr dans la grossièreté : nous étions entre personnes bien élevées. J’ai affermi ma prise sur son appendice.
– Jeune homme, cette situation devient embarrassante, protesta-t-il. Nous allons finir par nous faire remarquer.
– Ce n’est pas dans mes intentions, votre Sainteté, j’aimerais tant être ailleurs…
Certaines personnes, parait-il, souhaitent devenir riches, puissants, séduisants. Remarquez que l’intelligence fait rarement partie des vœux formulés à ces occasions. Moi, c’était à la fois simple et plein d’humilité : je souhaitais ardemment être loin d’ici.
– Nous pourrions conclure un pacte, proposa-t-il après quelques secondes d’immobilité. Vous et moi, en toute confiance. Quelque chose d’honnête, du gagnant-gagnant, avec un contrat solide.
– Laissez-moi le temps d’y réfléchir, votre Majesté, négociais-je, tout en sachant très bien que le temps jouait contre moi.
Soudain, un éclair de compréhension troua le ciel de mon hébétude. Que n’y avais-je pensé plus tôt ! Je devais lâcher immédiatement cette maudite queue. Je m’étais sottement trompé d’appendice. Ce qu’il me fallait au plus vite maintenant, c’était tirer ma révérence.
Annotations