À propos de la lumière
Je viens de faire un reportage photo. Il m’a été demandé d’arpenter une petite colline n’ayant l’air de rien du tout, mais qui offre selon ses occupations différents visages. La Basilique de Fourvière et tout le quartier autour dédié à l’Église, à l’évêché. Drôle d’impression de temps figé, mais en contradiction bienvenue d’avec la saleté, le bruit et le désordre de la ville en contre-bas. Par ses rues propres, ses bâtiments bien entretenus. Plus loin, les quartiers HLM dont les habitants ont une conscience lucide de la richesse exceptionnelle du lieu, en hauteur, un peu loin de tout, au calme et pourtant à un jet de pierre du cœur de la ville. Le cimetière aussi, endroit particulier en soi, chargé d’histoire, à la sérénité réparatrice. Puis, les jardins ouvriers qui mangent un flanc entier de cette colline et lui donnent un air de patchwork un peu foutraque, plein de taches de couleurs et de textures différentes. Dont le non-ordonnancement devient cohérence. Bizarrement.
Ce reportage avait pour ambition de référencer la végétalisation contemporaine de cette zone, classée au patrimoine de l’Unesco. Ce qui revient à faire le portrait de chaque arbre, quasiment. 150 kilomètres parcourus à pied par tous les temps, 4 000 clichés, une attention à la lumière, à la météo pour, oui, en faire de vrais portraits. Sans fioriture, juste un cadrage et le choix donc de cette lumière. Le temps pour réaliser ce reportage a été extrêmement contraint, par les délais, la météo et ma volonté d’une saison qui soit uniforme. C’est un reportage qui a été rude et c’est peu de le dire, mais formateur.
Un jour, je suis invité chez un ami photographe qui demande une attention soutenue dans l’écoute. La moindre incartade est vite corrigée. On s'y fait.
Mais.
Mon regard est happé par une lumière, un détail. Ni une, ni deux, je sors mon portable et, devant lui, dérogeant à cette règle d’or, je cherche le bon cadrage, le bon angle. Et je prends ma photo. Comme pour excuser mon entorse à la règle, je lui présente le cliché, source de mon inattention coupable. Et là, stupeur du zigue. Ça fait quelques années qu’il vit dans cet appartement, et selon lui, la seule photo qu’il fallait prendre, c’était celle-ci. Et pas une autre.
J’ai, au moment de la prise de vue, en tête les photographies de Sudek et de Keiichi Tahara, très clairement. La fenêtre, sale, m’offre une texture et un grain particulier, rehaussée par le contre-jour printanier dans lequel vont s’allumer les chatons et les bourgeons des arbres qui subtilement, se poudrent d’un or un peu verdâtre, contrastant avec les futaies noires de la dernière pluie. Je passe au noir et blanc, joue sur les contrastes, juste un peu, récupère des détails dans les blancs, renforce juste ce qu’il faut les noirs, et en ressort une photo, prise à l’instinct et au portable, qui a l’air d’avoir été faite avec des procédés anciens. Il n’a pas fallu plus d’une minute pour l’entièreté de l’opération. Et je ne suis pas sûr de réussir à nouveau ce genre d’image. C’est plus un coup de chance pour moi, mais pas pour mon photographe ébahi, qui depuis ne tarit plus d’éloges à mon regard, rare selon lui. Comment lui dire que je n’ai pas fait exprès ? Mais alors pas du tout !
Régulièrement, je regarde cette image, que j’aime bien en plus, mais ce n’est qu’une petite image saisie au vol et sans prétention. Le dithyrambe à mon endroit me gêne un peu, pour être honnête, ne sachant qu’en foutre. Disons que j’ai du mal avec les compliments… Voilà, on va dire ça.
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