Partie 2
“Le Grand Roi Mérir demanda à sa femme, la Reine Elia de l’inhummer avec toutes ses possessions. [...] Lors de son enterrement dans une forêt à une demi-journée de marche de la ville de Wattu, la Reine Elia, le prince Kirpi, la princesse Kara, et le prince Kori entrèrent dans le caveau chargé de sacs, contenant les possessions du défunt roi. Ils ne ressortirent du caveau que deux jours plus tard et repartirent directement pour la capitale des Terres Shaafê’Yeks, Morna’To.”
Kerr relu attentivement le passage deux fois de suite, réfléchissant à toute vitesse. Se pourrait il que la réponse soit aussi simple que cela? Les pierres de Quartell serait elles enterrées avec leur propriétaire, le roi Mérir?
N’ayant pas d’autre pistes, Kerr décida de tenter sa chance et d’aller voir au sein de la tombe du roi Mérir si elle pouvait au moins trouver un indice. Elle n’osait espérer y trouver les pierres, mais il y aurait peut être un dessin ou une lettre pour la mettre dans la bonne direction.
Kerr partit un matin, prenant avec elle seulement un petit sac de provision et son cheval. La route pour se rendre jusqu'à Wattu était assez facile, une grande route royale bordée de forêts immenses, avec des auberges à intervals réguliers. Le chemin de Wattu jusqu'à la tombe du roi fut en revanche moins facile, et Kerr dû descendre de cheval à plusieurs reprises, et guida sa monture au travers de champs de pierres et au plus profond de bosquets touffus.
Enfin, une bonne semaine après son départ de la capitale Morna’To, elle arriva en face de la tombe du roi défunt. Il s’agissait d’un simple caveau en pierre brunes et sans la marque royale gravé au dessus de l’entrée, Kerr aurait pensé qu’il s’agissait de la tombe d’un noble de basse extraction. Le caveau était recouvert de lierre et des ronces en barraient l’entrée, comme si la nature elle même essayait de protéger le roi défunt. Attachant sa monture à un arbre à une dizaine de mètres du caveau, Kerr se dirigea vers l’entrée d’un pas décidé. Sans prendre garde aux épines qui réduisaient ses vêtement en lambeau, griffant sa peau en y laissant des traînées de sang rouge, Kerr atteignit la lourde porte de pierre scellant l’entrée. Utilisant ses pouvoirs, Kerr repoussa l’obstacle comme s’il s’agissait d’une plume. Le seul signe de fatigue que la sorcière laissa échapper fut une goutte de sueur qui roula de la racine de ses cheveux jusqu'à son front, se perdant dans un sourcil. Kerr entra prudemment dans la tombe plongée dans le noir total, malgré l’ouverture de la porte. Avant que Kerr n’ait eu le temps de s’habituer à l’obscurité, une voix retentit, résonnant dans le petit espace :
— Pourquoi es tu là? Oui, oui. Pourquoi es tu là Shaah du Vent? Que nous veux tu Shaah du Feu? Pourquoi dérange tu donc les morts?
Kerr sentit un frisson parcourir sa colonne vertébrale. Une petite lueur, pas plus grosse que la flamme d’une bougie apparue au centre du caveau de pierres. Kerr se retrouva face à face avec une Eka’Shaafê. Une fée de la mort. Les plus rares et les plus puissantes. Kerr n’en avait jamais vu de vivante et du faire appel à tout son sang-froid pour ne pas reculer devant la créature se trouvant sous ses yeux. Pas plus haute que dix centimètres, avec une robe noire, des traits elfiques, des oreilles pointues et une longue chevelure noire et soyeuse la créature était absolument terrifiante. Elle n’avait pas l’aura de santé et de magie que les autres Shaafê possédaient habituellement. Ses yeux étaient loin des couleurs habituelles : rouge et sans pupille. L’Eka’Shaafê ne cillait pas, son regard dérangeant plongé dans celui de Kerr. Déployant ses ailes, la petite créature s'approcha de Kerr en volant, faisant le tour de la Shaah et l’observant dans les moindres détails. Kerr sursauta lorsque la fée lui effleura la cheville, avant de remonter se poser sur son épaule. Kerr osait à peine respirer. L’odeur fétide de la créature se mêlait à l’odeur de la magie. Une magie différente de toutes celles qu’elle avait rencontré jusqu’ici. Une magie puissante. Indomptable et dangereuse.
— Dis moi, Sorcière. Dis moi pourquoi es tu là?
Il était trop tard pour reculer. Kerr saisit son courage à deux mains et parla d’une voix forte et pleine d’une confiance feinte. La voix qu’elle utilisait lorsqu’elle désirait se faire entendre et respecter lors des conseils royaux :
— Eka’Shaafê, je suis venue ici dans l’espoir de trouver les pierres du roi Merir, les pierres de Quartell.
La créature s’envola, et se posa sur le cercueil de pierre. Elle tournait le dos à Kerr, mais la porteuse de fée put voir l’Eka’Shaafê poser une main sur la pierre. Un geste tendre, qui remplit Kerr d’une tristesse immense et incompréhensible.
— Et que me donnerais tu en échange, Shaah du Vent et du Feu? Que ferais tu pour obtenir les pierres de Quartell?
Kerr réfléchit longuement avant de répondre.
— Que voudrais tu, Eka’Shaafê?
La créature caressa la pierre une dernière fois avant de se retourner vers Kerr. Celle-ci fut surprise de voir une larme glisser sur la joue de la fée, changeant son apparence du tout au tout.
— Me prendrais tu en ton sein? M'accueillerais tu en toi, Shaah?
Kerr ne put retenir un petit cri de surprise à la demande inattendue. Son premier réflexe fut de refuser. Rien que le souvenir de ses premières inclusions il y a bien des années, le fantôme d’une douleur telle qu’elle la sentait encore parfois, parcourir ses veines et se parcourant le plus profond de ses os et de ses organes la pétrifiant sur place. Et puis, le souvenir du sourire narquois d’Emira s’incera dans son esprit, recouvrant les souvenirs de la douleur et renforçant son courage et sa determination.
— Si tu me donnes les pierres de Quartell en échange alors oui, Eka’Shaafê, je te prendrais en mon sein. Je te laisserais te nourrir de ma vitalité, et je me servirais de ta magie.
Aussi que les mots rituels scellant son accord sortirent de la bouche Kerr, la créature aux yeux rouges se jeta sur la shaah qui bascula en arrière sous le choc. Sauf qu’au lieu de tomber, Kerr se mit à flotter, l’Eka’Shaafê perchée à califourchon sur sa poitrine. Comme un chat cherchant le meilleur endroit pour s’endormir, l’Eka’Shaafê tourna plusieurs fois sur elle même, avant de s’allonger sur le sein gauche de Kerr. La fée ouvrit ses yeux flamboyant une dernière fois, regardant Kerr et lui adressant un léger sourire avant de commencer à s’enfoncer dans ses chairs.
Bien qu'elle se soit préparé à la douleur, qu’elle avait choisit cette fois-ci, Kerr ne put s'empêcher de pousser un hurlement de douleur. Comme si un tison brûlant se frayait doucement un passage dans ses chairs. La douleur fut telle que la sorcière perdit connaissance.
Kerr se réveilla plusieurs heures plus tard, allongée sur le sol froid et poussiéreux du caveau. Elle se redressa difficilement, prenant appui sur le mur de pierres grises. Tout son corps la faisait atrocement souffrir. Toujours appuyé sur le mur, Kerr leva une main tremblante vers sa poitrine, vers la nouvelle marque qui s’y trouvait. Elle l’effleura du bout des doigts, tressaillant sous une vague de douleur. Après quelques minutes passées à reprendre son souffle, Kerr se redressa et lissa sa robe de voyage. Elle sentit l’Eka’shaafê bouger sous sa peau.
Kerr, Shaah de la Mort. Shaah du Feu et Shaah du Vent. Shaah royale. Elle eut un rictus victorieux. Rien ne se mettrait plus en travers de son chemin. Pas même Emira et ses cheveux de jais.
Les pierres!
— J’ai tenu ma part du contrat Shaafê! A toi de tenir la tienne.
Une voix lui répondit depuis l'intérieur même de son être, résonnant douloureusement dans son crâne.
— Si impatiente! Tends donc ta main Sorcière !
Impatiente?
Peut être, mais après tout, elle cherchait les pierres depuis plusieurs années déjà. Sans faire de commentaires, de peur que la créature ne finissent par changer d’avis, elle tendis sagement sa main devant elle. Elle tourna sa paume vers le ciel, les yeux rivés sur sa mains. Soudain, sous ses yeux ébahis, dans un éclair de lumière si intense que Kerr en perdit la vue quelques secondes, six pierres noires tombèrent dans sa main.
— En espérant qu’elle te porteront meilleure chance qu’a mon ancien porteur!
La voix de l’Eka’Shaafê partit dans un rire glaçant avant de se taire à jamais. Kerr pouvait toujours sentir la présence de la créature, mais celle-ci avait finit par s’assoupir, liant définitivement ses pouvoirs à ceux de Kerr.
Kerr examina rapidement les pierres pour s’assurer qu’il s’agissait bien des vraies pierres de Quartell, mais la magie pure qui s’en échappait par vague laissait peu de place au doutes. Voulant rentrer au château de Morna’To le plus rapidement possible, Kerr mit les pierres dans un petit sac en velour vert avant de reprendre la route en sens inverse.
Le troisième soir, ne trouvant pas d’auberge, Kerr se résigna à dormir à la belle étoile. Elle se trouvait encore sur le territoire de Zol’Katz, entre Wattu et Morna’To, au beau milieu d’une forêt dense. Assise à même le sol dur, après avoir lancé des sorts de protection autour de son campement, elle sortit les pierres de Quartell de son sac et les mit par terre en face d’elle. Sans un mot, elle examina chacune des six pierres avec révérence, mémorisant chaque accrocs et chaque imperfections. Kerr décida ensuite de faire un tirage pour connaître l’avenir. Son avenir. Elle prit une pierre et la mit en face d’elle, à environs un mètre de distance. Le défendant, représentant la situation actuelle. La seconde pierre fut placé à une cinquantaine de centimètres de Kerr, à la gauche du défendant. C’était le défenseur. Les outils, ou les alliés du défendant. La troisièmes pierres vint se placer en face de la seconde, à la droite du défendant. L’attaquant. Le problème à résoudre, l’ennemi à abattre. Les quatrième et cinquièmes pierres, furent placées à dix centimètres de Kerr, entre le défendant et l’attaquant et le défenseur. Il s’agissait du premier juge et du deuxièmes juges. Il représentait le rêve du défendant, son désir le plus profond, et sa plus grande peur. Venait ensuite la dernière pierre. Cette dernière était un peu plus grosse que les autres et se plaçait au milieu du jeu. C’était la seule différence avec les autres jeu de Quartell. La pierre de Vérité, dévoilant le futur ultime du défendant.
Une fois toutes les pierres en place, Kerr se redressa et ferma les yeux. Elle prit une profonde inspiration, rassembla ses pouvoirs et passa sa main au dessus des pierres de Quartell en pensant à elle-même. Elle ouvrit les yeux et sa respiration se coinça dans sa gorge en voyant le résultat. Sur chacune des pierres d’ambre noir, le dessin parfait et coloré d’une fleur était apparu. Sur la pierres du défendant se trouvait une jacinthe blanche, symbole de la magie et de l’indépendance. Pas de surprise ici, étant donné que ses pouvoirs signifiaient tout pour Kerr. Les pierres du défenseur et de l’attaquant portaient toutes deux des roses jaunes, symbole du mensonge et de la trahison. Le premier juge portait un olivier, symbole de prospérité et de contentement. Le second juge portait une hellébore, symbole de l'ordre et du dictateur. Kerr baissa la tête. Si ce tirage s'avérait exacte, peu de chose changeraient dans son futur. Son coeur se serra. Elle déglutit avant de poser ses yeux sur la pierre de vérité. Elle portait un bleuet. Symbole de la transparence et de la timidité. Un frisson glaciale parcourut l’échine de Kerr, et vint se loger dans ses entrailles. Kerr rassembla les pierres et s’allongea sur sa couche, pensive.
Le reste du voyage passa rapidement, Kerr étant souvent plongée dans ses pensées. Elle suivit la route principale et étant rarement seule, même les nuits passées à la belle étoiles, elle ne ressortit pas les Pierres de Quartell, bien que l’envie de refaire un tirage la tiraillait.
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