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Elle se réveilla dans son lit, toujours nue mais lavée, propre, la couette l’abritant du froid. Elle était seule, des victuailles posées sur la table de nuit. Elle n’y porta pas attention, les ignora, épuisée, éteinte. Elle ne vit pas du tout les lézardes sur les murs. Elle ne voulait que dormir. Dormir et ne plus se réveiller.
Sans force, sans volonté, elle resta immobile, ne réagit même pas à l’entrée envahissante du démon, de son laquais et de ses petits compagnons. Le bébé pleurait.
Peu importe, qu’ils crèvent.
On essayait encore de l’utiliser pour nourrir l’enfant. Même cette pauvre petite chose avait compris la situation. Le nourrisson pleura sans prendre le sein. Les mains du jeune garçon la secouèrent, lui attrapèrent le visage, enfilèrent de force eau et nourriture dans sa bouche.
— Mange !
Les félins reprirent alors leur sortilège, leurs vibrations s’élevèrent dans la pièce, tout autour et contre son corps inerte. Ils reprirent possession de sa volonté, la contrôlèrent, marionnette entre leurs mains, leurs pattes, comme ils avaient dû le faire pour qu’elle soit soumise et ne cherche pas à se débarrasser de sa grossesse.
Elle avala.
Ils firent ainsi les premiers temps suivant, le temps qu’elle reprenne des forces et qu’elle se décide à manger de son propre fait. Mais jamais elle ne prit d’elle-même ce petit être pour le nourrir. Elle ne le rejetait pas non plus. Mais elle craignait d’avoir tort. Qu’avait-elle à perdre à détruire une abjection ? Elle ne trouvait pas la réponse, se disant, peut-être pour se rassurer, que cette programmation qu’ils lui imposaient annihilait ses facultés, et ce faisant, elle se retrouvait incapable de prendre cette décision.
Quand elle fut capable de se lever seule, le ton changea. À part les moments où ils lui imposaient de jouer les mères nourricières, ils lui demandaient de faire de plus en plus de choses dans la maison, l’utilisant comme bonne à tout faire, véritable esclave de leur volonté. C’est qu’il y avait du boulot. Elle réalisa progressivement l’état de la maison. Tout était en ruine, les objets en vrac, certains tombés au sol, la vaisselle brisée, les murs en piteux états, tachés, lézardés. L’humidité s’était installée, répandant son odeur jusque sur les vêtements. Pas si grave, vu que beaucoup d’habits de son armoire étaient devenus trop petits. À se demander si c’était bien sa chambre et pas celle d’une femme plus petite. Pourtant, aucune image de ses souvenirs n’indiquait qu’elle ait vécue ailleurs. Pas plus qu’ici. Comme si elle était apparue soudainement, simple outil généré pour la création de cet enfant maudit.
Sans abîmer ses précieux seins, la créature et le jeune garçon finirent par ne plus se gêner pour se défouler sur elle, la violence allant crescendo, assenant parmi nombres d'humiliations gifles et coups de poings pour l’un, morsures et coups de griffes, pour l’autre, au moindre prétexte, si ce n’était pour leur plaisir. De ce démon passe encore, mais de son prétendu fils ? Qu’avait-elle bien pu lui faire pour qu’il agisse ainsi ? Quelle faute effroyable en tant que mère avait-elle commise pour mériter un tel traitement ? Et en même temps, l’autre, pour un démon, c’est tout ce dont il était capable ?
Mais pourquoi est-ce que je ne sors pas en courant de cette maison ?
Le petit grandissait vite. Très vite. Pour un bébé de quelques semaines… Une première différence avec un petit humain, enfin. Elle ne l’avait toujours pas vraiment observé, mais son corps sur elle, son poids, dévoilaient l’essentiel. Et il rampait déjà. Il évoluait bien, bien plus rapidement qu’un enfant normal. Il n’aurait bientôt plus besoin d’elle.
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