Chapitre 7 - Isis
Qu’est-ce que je suis en train de faire ?
Ses lèvres sur les miennes. Ce contact, brutal, brûlant. Mon cœur explose dans ma poitrine. Tout en moi hurle de fuir, de me protéger… et pourtant je cède. Un battement. Deux. Mon corps agit avant mon cerveau. Je réponds à son baiser, malgré moi, malgré tout. Une décharge me traverse, me coupe les jambes. Je me sens glisser, aspirée dans quelque chose de trop fort, trop vrai, trop dangereux.
Et puis la lucidité revient, glaciale.
Non.
Je me fige, brusquement. Mes mains se crispent sur son tee-shirt. Je sens sa chaleur, sa présence, son envie… et ça me terrifie.
Je me dégage doucement, mais fermement. Je recule. J’ai besoin d’air. J’ai besoin d’espace. Je sens ses yeux sur moi, brûlants, suppliants presque. Mais je ne peux pas. Pas maintenant. Pas comme ça.
Je suis son guide, ici. Son repère. Et là, je viens de tout foutre en l’air.
Je lève une main, comme une barrière. Je me sens vulnérable, à nu, et je déteste ça. Il faut que je reprenne le contrôle. Que je referme la faille.
— C’était une erreur, je lâche, la voix plus rauque que je ne l’aurais voulu.
Je vois l’incompréhension dans son regard. Son trouble. Il est sincère, je le vois bien. Mais ce n’est pas suffisant.
Je ne peux pas me permettre de me perdre dans ses bras. Pas alors qu’il est en pleine tempête. Pas alors que je commence tout juste à tenir debout, moi aussi.
— Ce n’est pas que je ne ressens rien, je murmure, incapable de mentir. Mais je ne peux pas. Pas maintenant. Pas comme ça.
Il fait un pas vers moi et mon cœur accélère. Je recule. Je dois tenir bon.
— J’ai besoin de respirer, Maël. De réfléchir.
Je le laisse là. J’enfourche Orion. Lui lance de ne pas m’attendre pour manger.
Et alors que je m’éloigne, je sens encore ses lèvres sur les miennes. Et ça me rend dingue.
Parce que ce baiser m’a bouleversée plus que je ne suis prête à l’admettre.
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Arrivée au parc, je descends d’Orion. Habituellement, il part rejoindre son troupeau calmement, mais aujourd’hui, il appuie doucement son épaule contre moi. Il est l’un de mes piliers. Il sait parfaitement quelle tempête est en train de me ravager. Il m’offre son soutien, sa simple présence.
J’ai juste besoin d’un peu de temps pour rassembler mes pensées et décider comment agir maintenant. Il va falloir qu’on en parle, d’une façon ou d’une autre. Faire semblant qu’il ne s’est rien passé laisserait planer quelque chose de trop lourd entre nous.
Il est évidemment hors de question pour moi d’entamer une relation avec lui. D’abord, parce qu’on doit travailler ensemble. Ensuite, parce que nos vies sont bien trop différentes, et il ne serait juste pour aucun de nous d’abandonner ses rêves. Et puis… je ne veux plus faire entrer personne dans ma vie.
J’ai enfin trouvé un équilibre. Un lieu où je me sens à ma place, en sécurité, apaisée. Un endroit qui soigne mes blessures et répare peu à peu mon cœur, abîmé par ma dernière relation.
C’est une raison supplémentaire de ne plus vouloir m’attacher à une célébrité.
J’ai passé plusieurs années avec un cavalier international. J’étais folle de lui. Jusqu’au jour où j’ai compris qu’il était avec moi pour mon nom et les chevaux que mes parents lui confiaient… et qu’il me trompait. Le jour où j’ai rompu, il m’a passée à tabac. C’est à ce moment-là que j’ai commencé la self-défense.
Depuis, il n’y a eu personne dans ma vie.
J’ai construit cet endroit et, avec lui, je me suis reconstruite.
Je me sens plus apaisée maintenant, plus au clair avec moi-même. Le soleil décline doucement. Orion se décale, me lance un dernier regard tendre, puis part rejoindre son troupeau. Je reprends le chemin de la maison, bien décidée à poser les choses avec Maël.
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Lorsque j’arrive à la maison, Maël est sur le canapé. Il a l’air complètement perdu et me lance un regard qui me fend le cœur.
Je m’assieds en tailleur à côté de lui, gardant tout de même une certaine distance.
Le silence pèse un instant entre nous. Un café froid, non entamé, est posé sur la table devant lui.
— Je pense qu’il faut qu’on parle de ce qu’il s’est passé, Maël, commencé-je doucement.
Il hoche légèrement la tête, sans me regarder.
— Je sais ce que tu vas me dire, mais pour moi, ce n’était pas une erreur. Et je suis désolé si j’ai mal interprété quelque chose. Je ne voulais rien t’imposer. Si tu veux que je parte, je fais mon sac immédiatement.
— Tu ne vas pas partir pour un baiser… Et tu ne m’as rien imposé. J’aurais pu te repousser si je l’avais voulu. J’ai été surprise, c’est vrai, mais je suis autant responsable que toi.
Je prends une inspiration, cherchant les mots les plus justes.
— Ceci dit, il faut qu’on soit clairs là-dessus : ça ne doit pas se reproduire. On doit rester professionnels, parce que c’est la seule raison de ta présence ici. Je ne veux pas qu’il y ait de malaise entre nous. C’est fait, on ne pourra pas revenir en arrière. Maintenant, il faut choisir d’avancer en laissant ce dérapage derrière nous.
Il souffle, passe une main nerveuse dans ses cheveux.
— Je pensais que tu allais me crier dessus, me demander de dégager… ou pire, de m’engager. Je n’avais pas envisagé que tu prendrais les choses comme ça. Je croyais même que tu avais appelé Franck pour mettre un terme à la semaine d’essai, et qu’il allait débarquer fissa pour récupérer le gros pervers qu’il t’a envoyé.
J’éclate de rire malgré moi. La tension se fissure, l’air redevient un peu plus respirable. Il a l’air soulagé, un timide sourire flotte sur son visage.
— Tu sais, ce film est vraiment important pour moi, pour ma carrière. Si je me loupe, je vais être relégué aux rôles de beau gosse sans cervelle ou de prince charmant de téléfilm. Et tu connais ma réputation vis-à-vis des femmes… Un nouveau scandale, et je suis cuit.
— Ta réputation ?
Il esquisse un rictus.
— Tu ne t’es pas renseignée sur moi avant que j’arrive ? Je me doute bien que tu ne lis pas la presse people, mais une simple recherche internet et t’as un récapitulatif complet de ma vie sexuelle sur les trois dernières années… avant même d’avoir le nom d’un seul film dans lequel j’ai joué.
— Non, je ne suis pas allée voir ce que la presse dit de toi. Je voulais me faire ma propre opinion. Te laisser arriver sans préjugé. Te laisser une chance de me montrer qui est le vrai Maël Desprès.
— En 24 heures, j’ai dû te faire forte impression…
— Huum, disons que tu me rappelles certains jeunes chevaux que j’ai pu accueillir. Sauvage, nerveux, mais pas méchant. Et plutôt attachant.
Il rit doucement. Je sens son épaule se détendre.
— Mais pour le moment, rien de ce que j’ai vu ne me donne envie de te fourrer dans ton cabriolet pour te renvoyer à Franck. On peut dire que le sujet est clos ?
Il hoche la tête, sans répondre. Un silence s’installe.
Il évite mon regard, observe ses mains posées sur ses genoux. J’hésite un instant à lui poser la main sur l’épaule, à dire quelque chose de plus doux.
Finalement, je me lève.
Il faudra sans doute un peu de temps pour estomper complètement la gêne entre nous.
Et pourtant… quand je m’éloigne, un léger pincement me serre la poitrine. Comme un écho inconnu. Presque dérangeant.
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