Chapitre 19 - Isis

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Je me réveille, la tête posée sur les abdos de Maël. Son odeur est aussi réconfortante que sa chaleur, et à en juger par son souffle lent et profond, il dort encore.

Je me souviens vaguement d’un cauchemar. De sa présence, rassurante. De l’apaisement qu’il m’a offert au moment où j’en avais besoin.

Je dois dire que je suis surprise. Vraiment. Qu’il soit capable de ça. D’autant plus que je devine l’effort que ça lui demande — dépasser ses barrières, sortir de ses réflexes de fuite. Et pourtant, il l’a fait. Sans forcer, sans poser de question. Juste être là, au bon moment, avec la douceur qu’il ne pensait même pas posséder.

Je le sens remuer doucement sous moi, et je me redresse avec précaution. Il faudrait que je me lève, aller m’occuper des chevaux. Mais le voir là, endormi, si paisible, me donne l’impression que tout est à sa place.

Une partie de moi voudrait rester figée dans cette parenthèse. Et une autre murmure que ça va trop vite. Qu’il faut garder la tête froide. Mais au fond, j’ai beau vouloir poser des limites claires, je ne sais déjà plus très bien lesquelles tiennent encore debout.

Je me lève à contrecœur, mais à peine ai-je bougé que sa main m’attrape doucement par le bas de mon sweat. Il grogne, encore à moitié endormi :

— Tu vas où ? Reviens là, on était bien...

Il m’arrache un sourire, un vrai, qui monte du ventre.

— Je vais faire couler un café. Les chevaux aussi ont besoin de moi.

— Je t’aiderai. On ira ensemble. Mais pour l’instant...

Il m’attire doucement contre lui et pose son menton sur le sommet de mon crâne. Il ne me retient pas. Il ne me serre pas. Il m’offre juste ce geste-là, ce cocon. Et la liberté d’en sortir si je le souhaite.

Je pourrais partir. Vraiment. Mais je n’en ai aucune envie.

Je ferme les yeux un instant, le souffle calé au sien. Une part de moi, plus profonde que je ne veux l’admettre, aurait envie que ce soit toujours comme ça. Cette chaleur, cette sécurité, ce silence partagé qui n’a pas besoin d’être comblé.

Mais est-ce qu’on peut appeler ça être ensemble ? Est-ce que c’est ça, une relation ? Ou juste un entre-deux qui finira par éclater ?

Je n’ai pas le temps d’aller plus loin dans mes pensées. Un aboiement bref de Tess, suivi d’un hennissement clair depuis les paddocks, vient rompre le charme de cette bulle suspendue.

Je me redresse à contre-cœur.

— On dirait qu’ils réclament leur petit déjeuner...

Il soupire doucement.

— Égoïstes.

Je ris.

— Allez. Debout. Il y a du travail.

Il me suit, se redressant lentement. Son regard accroche le mien un bref instant. Il n’a rien de joueur, cette fois. Juste doux. Présent. Et sans que je sache pourquoi, ça me serre un peu la gorge.

Il est là.

Et ce matin, ça suffit.

Dans la cuisine baignée d’une lumière dorée, le café vient tout juste de couler. L’odeur emplit la pièce, chaude et réconfortante. J’ai ouvert la fenêtre pour aérer, laissant entrer un léger courant d’air frais qui fait frissonner la peau encore endormie.

Maël est déjà là, pieds nus, les cheveux en bataille, un sweat trop grand tombant un peu sur ses épaules. Il prépare des tartines avec un sérieux attendrissant, concentré comme si c’était une mission cruciale.

— T’aimes ton pain grillé ou pas grillé ? demande-t-il sans lever les yeux.

— Grillé… mais pas cramé. Nuance subtile.

— Évidemment, mademoiselle la subtilité.

Il m’adresse un sourire en coin. Puis, alors que je m’approche, il tend une tasse fumante vers moi sans un mot, juste ce regard doux, un peu fatigué, mais plein de présence. Je prends la tasse,nos doigts se frôlent. Pas d’éclat, juste un contact tranquille.

Je s’assied à la table, et il vient s’installer à côté de moi au lieu de se mettre en face. Pas trop près, mais assez pour que nos épaules se touchent légèrement.

— T’as bien dormi ? murmure-t-il en posant une main sur le dossier de sa chaise, effleurant mes cheveux du bout des doigts presque machinalement.

— J’ai dormi… grâce à toi.

Il ne répond rien. Mais il glisse son autre main sous la table, cherche la mienne du bout des doigts et l’enlace doucement, sans serrer.

Le grille-pain claque. Il se lève, s’affaire à beurrer les tartines, puis revient, en déposant tout ça devant moi avec une petite grimace fière.

— Service cinq étoiles. J’espère que t’as conscience que je fais ça uniquement pour toi. Et parce que tu m’intimides.

— Moi, je t’intimide ?

— Oui. C’est sûrement pour ça que je veux te faire griller du pain. Pour survivre.

je ris doucement, secoue la tête. Il se penche alors vers moi, m’embrasse du bout des lèvres sur la tempe, juste un effleurement.

— Et parce que j’avais envie de faire quelque chose de bien pour toi ce matin, ajoute-t-il plus bas.

Silence.

Et dans ce silence, tout est dit.

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Le soleil est déjà haut quand on sort. L’air est tiède, chargé de parfums d’herbe écrasée, de cuir chauffé et de sueur animale. Je retrousse mes manches, relève mes cheveux en un geste rapide. Maël me suit en silence, torse à peine couvert d’un t-shirt clair, un peu froissé, qui épouse ses épaules et laisse deviner la chaleur de sa peau. Il marche pieds nus dans ses baskets, les mains dans les poches, le regard un peu vague, comme s’il absorbait chaque détail du paysage.

Je le vois jeter un coup d’œil vers moi. Pas insistant, juste… attentif. Il ne dit rien, mais il regarde mes bras nus, la manière dont le soleil accroche ma nuque.

— Tu devrais mettre une casquette, glisse-t-il. Tu vas griller.

— T’as peur que je surchauffe ? lancé-je, un sourire au coin des lèvres.

— Non. Que tu m’éblouisses. Y’a une nuance.

Je ris doucement. Il a ce don, depuis quelques jours, de désamorcer mes tensions par des phrases qui tombent juste. Ni trop, ni pas assez. Et je sens que son regard n’est pas seulement charmeur. Il est réel. Il est là.

Orion vient à notre rencontre dès qu’on approche du paddock. Sa robe luit sous le soleil. Il s’ébroue, fait un demi-tour gracieux, puis revient, lentement, presque en dansant.

— T’as vu ce cabotin ? dis-je en posant la main sur le licol qui pend à la barrière.

— C’est toi qu’il vient voir. Moi je suis l’accessoire.

Je tends la main. Orion s’approche, son souffle chaud sur ma paume. Maël s’approche derrière moi, doucement. Son torse frôle presque mon dos, et même s’il ne me touche pas, je sens sa présence, tangible. Elle irradie. Mon cœur accélère, sans raison apparente.

— Tu sens bon, murmure-t-il.

Je me fige un instant, surprise. Ce n’est pas une phrase lourde. C’est murmuré presque comme une évidence, entre deux respirations. Je baisse les yeux. Mes doigts glissent dans la crinière d’Orion, mécaniquement.

— Tu dis ça à toutes les femmes en short et t-shirt qui tiennent un licol ?

— Seulement à celles qui me retournent le cœur à chaque fois qu’elles soupirent.

Je ne sais pas quoi répondre. Le silence tombe, alourdi par la chaleur du jour et par quelque chose d’autre. Une tension fine, mais bien présente. Maël ne bouge pas. Je sens presque la chaleur de son souffle sur ma nuque.

Je me retourne lentement. Nos visages sont proches. Trop proches.

— Tu comptes rester planté là longtemps à m’engluer dans ta chaleur corporelle ?

Il sourit, et cette fois, il se penche. Pas pour m’embrasser. Juste pour poser son front contre le mien. Un contact qui m’électrise.

— Je pourrais rester là toute la journée, avoue-t-il.

Je ferme les yeux un instant. Juste un instant.

Je me dégage finalement, lentement, un pas de côté pour reprendre ma respiration. Il ne proteste pas. Mais je sens son regard me suivre alors que je m’affaire à ouvrir le paddock.

— Allez, star du jour, c’est l’heure de ta séance, dis-je à Orion pour masquer le trouble dans ma voix.

Maël s’approche, attrape une longe, me l’apporte sans un mot. Sa main frôle la mienne. Il ne s’éloigne pas. Et je sais, je sens, que s’il le voulait, il pourrait m’embrasser maintenant. Que je ne reculerais pas.

Mais il ne le fait pas.

Il se contente de se tenir là, proche mais pas pressant. Et je me rends compte que c’est ça, la vraie séduction. Cette retenue maîtrisée. Ce désir qu’il ne force jamais.

Je souffle doucement, et je souris. Parce que malgré moi, j’ai envie qu’il reste toute la journée.

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