Chapitre 5
Le lendemain, l’ambiance était pesante à Saint-Martin, on pouvait distinguer du premier coup d’oeil les épouses, les mères, les soeurs qui savaient leur homme aux mains des allemands et les autres, toujours sans nouvelles. Celles-ci étaient partagées entre le soulagement de pouvoir imaginer leurs maris encore libres et bien portants et la crainte qu’ils ne leur soit arrivé quelque chose de bien pire encore.
Ce matin là, en conduisant sa fille à l’école Marie n’avait pas le coeur à faire des bouquets de feuilles mortes comme elles en avaient pourtant l’habitude ni même à rire avec elle. La veille elle avait réussi à ne pas s’effondrer en lui expliquant avec des mots choisis que son papa était retenu très très loin d’ici. La fillette n’avait pas pleuré elle non plus mais ce matin Marie sentait la petite main serrer la sienne peut être plus fort que les autres jours.
En arrivant devant le portail, le duo trouva Suzanne comme à son habitude qui accueillait les enfants. Quand elle les vit approcher elle adressa un sourire encore plus bienveillant à Nicole et s’approcha de de Marie avant de lui demander d’une voix douce :
- Comment allez vous ? J’ai appris que votre mari faisait partie des prisonniers..Marie voulut lui répondre, lui assurer qu’elle allait bien, qu’elle menait tout d’une main de maitre comme elle l’avait fait auprès du maire et de Denise hier et oui de ses parents ce matin même mais sa voix se coinça dans sa gorge et elle sentit ses yeux s’emplir de larmes.
- Oh non c’est pas vrai, je suis désolée. Répondit-elle en cherchant un mouchoir dans son sac. L’institutrice fit signe à la fillette toujours dans les jupes de sa mère d’aller rejoindre ses camarades dans la cour et elle appela le gardien pour la remplacer au portail.
- Venez avec moi. Dit-elle à Marie en la prenant par le bras. Toutes deux firent le tour de l’école et rentrèrent par une petite porte bleue dans la cuisine du logement de fonction attenant à l’école.
Marie s’assis du bout des fesses sur une des chaises en paille, sanglotante et mortifiée de honte de se faire remarquer, elle d’ordinaire si discrète. Suzanne quant à elle s’activait devant la cuisinière en fonte, faisant chauffer du café et posant des tasses sur la table. Lorsqu’elle eu terminé elle pris place en face de son invitée et plongea son regard dans celui de Marie.
- Allons…ça va aller…racontez-moi. A ces mots empreints de bienveillance les dernières digues cédèrent en Marie et celle-ci se mit à parler, exorcisant toutes ses angoisses, formulant tous ses doutes qu’elle gardait en elle depuis des semaines maintenant. A mesure qu’elle se confiait ses pleurs ralentissaient et sa voix devenait plus posée, plus assurée. Quand elle eu fini de vider son sac elle releva ses yeux fut à nouveau saisie par la gêne.
- Oh la la, je suis vraiment désolée de vous avoir raconté tout ça, j’ai largement abusé de votre sollicitude et puis j’ai dû vous mettre en retard ! Suzanne sourit :
- Ne vous en faites pas, c’est tout naturel, ça fait du bien de parler parfois…et puis je suis sûre que Nicole, elle, aura apprécié ce supplément de récréation. Lui répondit-elle en lui adressant un sourire complice. Marie s’empressa tout de même de se relever et de regagner le portail, accompagnée par sa nouvelle confidente. Une fois sur le trottoir celle-ci ajouta :
- N’hésitez pas à revenir me voir quand vous voulez…et puis, je viens d’arriver au village, ça me fera plaisir de pouvoir parler avec de nouvelles personnes !
Ce matin là Marie arriva en retard à la poste mais les yeux secs et le coeur plus léger que d’habitude. Dans les jours qui suivirent cette entrevue surprise elle se remémora souvent les mots de Suzanne. Il faut dire que malgré leur simplicité ils diffusaient en elle une curieuse sensation de tiédeur et de réconfort.
Marie depuis le début de la guerre n’avait que peu eu l’occasion de se confier, toutes ses amies avaient elles aussi un mari au front alors elles avaient toutes passé l’accord tacite de ne pas s’épancher sur leurs malheurs respectifs, de peur d’alourdir encore d’avantage les coeurs. Denise, elle, son amie de toujours n’avait que peu de temps à lui consacrer, très prise par son emploi et puis ses parents grabataires dont elle s’occupait. En outre, Denise, bien qu’ayant dépassé la vingtaine n’avait toujours pas trouvé à se marier, son célibat avait de nombreuses fois été un obstacle pour la compréhension des tourments de son amie, Marie craignait de ne pas être comprise si elle se confiait. D’autant plus que si Marie était plutôt d’une nature anxieuse, Denise elle était d’un optimisme sans failles. Quant à sa propre mère, ce n’était pas son genre de s’épancher sur les malheurs des autres. Marguerite avait toujours donné tout l’amour nécessaire à ses enfants mais elle n’en demeurait pas moins une femme sévère, presque austère, ne montrant jamais ses sentiments et parfois dure dans ses mots. Il faut reconnaitre que la vie ne l’avait pas épargnée : orpheline jeune, son mari parti à la guerre si tôt mariée et puis la perte de son dernier enfant, si jeune. Marie savait qu’elle pouvait toujours compter sur sa mère pour un service, pour ses enfants, la femme maintenant plus âgée avait même tendance à s’adoucir les années passant. Mais pas suffisamment encore pour que sa fille puisse s’imaginer se confier.
Alors depuis plusieurs semaines maintenant Marie gardait tout en elle, forte devant ses enfants encore trop jeunes, assurée à la poste de crainte de ne paraitre trop dépassée par les événements pour conserver son emploi, souriante devant amis et famille. Cette bulle de bienveillance avant l’école se trouvait alors d’autant plus précieuse.
Très vite et pour son plus grand bonheur cette conversation avec l’institutrice se poursuivit au fil des semaines, les deux femmes se retrouvaient de manière hebdomadaire dans la cuisine de l’une ou de l’autre devant un café fumant et parfois même des biscuits quand elles en avait le temps et les moyens. Si au début leurs échanges étaient surtout axés sur les tracas de Marie qu’elle pouvait enfin livrer, rapidement Suzanne commença également à se confier, sur sa fille à elle, sur son époux parfois si dur et puis sur sa classe, ses espoirs et ses appréhensions. Suzanne racontait aussi la ville, ses cinémas, ses librairies que Marie aimerait tellement, ses bals le samedi soir, cette liberté qu’elle peinait à retrouver à Saint-Martin. En réalité elle dépeignait plutôt la ville d’avant guerre, la guerre avait déjà commencé à envahir les murs ocres, les librairies avaient fermé leurs portes et la famine faisait rage, loin des champs nourriciers. Mais cette vérité là les deux femmes l’ignorait, peut-être délibérément aussi. Marie était avide de cet ailleurs que sa nouvelle comparse lui racontait, l’interrogeant sans cesse sur l’agitation qu’il y régnait, les façades colorées et les vitrines qu’elle imaginait chatoyantes.
Les deux femmes s’étaient aussi trouvé un point commun de taille : l’amour des livres et de la littérature, elles ne tardèrent pas à s’échanger des ouvrages, les commentant chacune après leur lecture. Marie savait qu’elle aurait pu partager ces nouveaux romans avec Denise, friande de lecture elle aussi mais cantonnée aux ouvrages de la bibliothèque municipale dont elle commençait à en connaitre les rayonnages par coeur. Mais, elle ne savait pas pour quelle raison, elle gardait précieusement presque même jalousement les livres prêtés par sa nouvelle amie. Il en s’agissait pas tellement du contenu de ces derniers mais plutôt de savoir qu’ils provenaient de Suzanne, Marie se surprenait même parfois à humer la délicate odeur de jasmin de l’institutrice qui émanait des pages. Lorsqu’elle agissait ainsi, elle se prenait à rougir aussitôt et à poser le livre aussi vite et loin que possible, honteuse.
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