Chapitre 11
Le lendemain était un vendredi annonciateur du printemps, le ciel était bleu, parfaitement dégagé et malgré l’air encore frais, on pouvait entendre les oiseaux pépier par dizaine dans les arbres. La journée suivait son cours habituel, Marie avait accompagné Nicole à l’école où elle n’avait échangés que quelques mots brefs avec Suzanne, elle avait ensuite prit l’autobus qui reliait Saint-Martin au village voisin où se trouvait la poste. La jeune femme avait commencé sa journée de travail comme toutes les autres, triant le courrier dans les différents bacs devant elle. Mais, sur les coups de midi, Marcel fit son apparition dans la grande salle de tri. Lorsqu’il s’approcha d’elle, Marie eut peur d’avoir fait une erreur dans son travail ou pire, d’être remerciée pour une raison obscure.
-Mme Durand, il y a quelqu’un qui vous demande dehors, lui annonça simplement le vieil homme. Intriguée, Marie sorti à la hâte du bâtiment. Une fois à l’extérieur elle vit un homme appuyé contre le mur, elle mit une poignée secondes à le reconnaitre :
-Oh mon dieu ! Oh Jean ! Mon dieu !
Elle se précipita dans les bras de son mari. Leur étreinte dura un bref instant. Elle se recula et l’observa attentivement : ses cheveux étaient clairsemés, il était considérablement amaigri, son visage émacié avait perdu la rondeur de la jeunesse qui le caractérisait autrefois. Il n’était part qu’il y a quelques mois mais paraissait avoir vieillit de plusieurs années. Marie frissonna, dans la précipitation elle avait oublié son manteau à l’intérieur. Elle pressa Jean de questions : comment se faisait-il qu’il soit là ? Comment allait-il ? Fallait-il qu’il reparte ? Alors il lui expliqua l’état de sa jambe qui empirait chaque jour, le mauvais état des prisons allemandes qui n’arrangeaient rien. Il lui parla aussi de cet homme rencontré sur le front, à l’influence certaine qui avait fait jouer ses connaissances en sa faveur et ainsi réussi à le faire libérer pour motif de santé. Marie n’en croyait pas ses yeux : elle avait tant espéré et imaginé ce moment…et il était bien là, devant elle en chair et en os. Au bout d’un moment elle fut obligée de rentrer, ils se séparèrent, impatients de se retrouver le soir même.
La famille de Jean fêta le retour de son fils en grand : sa mère, si heureuse de le retrouver fondait en larmes à intervalles régulier. Elle avait passé l’après midi derrière les fourneaux et ce soir là autour de la longue table famille et amis se délectaient de ses réalisations, les questions fusaient et le vin coulait à flots. Jean racontait inlassablement le front qu’il n’avait connu que très peu, sa longue captivité là-bas en Allemagne et surtout ce qu’il s’y disait. Son récit venait confirmer les bribes de récits entendues ça et là, les allemands étaient plus coriaces que ce qu’on avait imaginé.
Finalement, le couple ne se retrouva seul que tard dans la nuit, à l’intérieur du petit appartement. Là, ils parlèrent d’avantage, Marie lui parla longuement des enfants, de tout ce qu’il avait manqué ces derniers mois. Au moment de se glisser sous les draps elle espéra une étreinte, un geste tendre mais il n’en fut rien. Elle mit cela sur le compte de la fatigue te finit par s’endormir elle aussi, troublée d’à nouveau partager son lit.
Pendant les jours qui suivirent le retour de Jean, l’appartement ne désemplit pas de visiteurs, tous venus témoigner leur joie de le voir à nouveau parmi eux bien sur mais pas que. Rituellement, au détour d’une conversation tous demandaient à Jean si celui-ci avait pu voir untel ou untel, si il avait eu vent de leurs nouvelles. C’est ainsi qu’il fut le triste de messager de quelques disparitions, il assistait alors impuissant à l’effondrement d’épouses ou de mères venues pleines d’espoir.
A mesure que le temps passait les visites s’espaçaient et mari observait l’état de son mari se détériorer de jours en jours. La joie des retrouvailles avait peu à peu laissé place à un épais silence dans lequel Jean se murait. Sa bonhomie naturelle, son entrain et sa douceur avaient étaient remplacés par une irritation constante et un vide dans son regard. Jean ne supportait plus le bruit, à plusieurs reprises Marie dû emmener ses enfants à l’extérieur et surtout loin de leur père, à bout de nerfs.
Elle était compatissante évidemment, devinant des souvenirs traumatiques sous les insomnies, les tocs et le silence surtout, partout. Elle s’employait à faire tout son possible pour apaiser ses démons, elle lui préparait ses plats préférés et le gratifiait de paroles réconfortantes.
La jambe de Jean la préoccupait beaucoup aussi, son genoux déjà fragile avant la guerre le faisait énormément souffrir, elle le retrouva plusieurs fois effondré dans les escaliers ou même dans la cuisine, haletant et transpirant sous l’effet de la douleur.
Jean était devenu un infirme, lorsque ce fut l’heure pour lui de reprendre son poste à l’usine il fut relégué à une place inférieure qui ne nécessitait pas de se tenir debout. Si Marie avait espéré que ce retour au travail redonne un certain entrain à Jean, il n’en était rien. En quelques mois beaucoup de choses avaient changé, les chaînes de production avaient été totalement chamboulées pour répondre aux exigences de l’économie de guerre, les places s’en étaient retrouvées redistribuées entre ceux qui avaient pu rester et surtout l’usine employait maintenant de plus en plus de femmes pour pallier au manque de main d’oeuvre. Jean avait le sentiment que là bas aussi la guerre avait tout changé dans sa vie, ses anciens camarades le regardait avec de la pitié dans leurs yeux pour lui, pauvre infirme ou le méprisait pour être rentré si vite du front. Quoi qu’il en soit, il y avait perdu sa place et la sensation de retrouver une vie qui n’étais pas celle qu’il avait quitté renforçait plus encore son ressentiment et donc son silence. Marie toutefois restait optimiste, elle espérait qu’une fois une période d’adaptation passée ils pourraient à nouveau reprendre leur vie telle qu’ils l’avaient laissé il y a plusieurs mois maintenant.
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