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Nina crie : « je n'en peux plus de cette vie ! » Elle s'époumone, siffle des rafales de syllabes rageuses sur mon visage. Je la regarde, incrédule, des cheveux de nuit le long de ses joues, elle si blonde. Je tente de distinguer ses traits, seule sa bouche, comme un geyser fou, crache son dégoût de moi. Puis les mots s'accrochent à sa gorge, sa voix s'enraie, ses lèvres tremblent et se referment. J'attends. Un grondement, une vibration des cordes vocales qui se mue en un grognement. Un bec s'ouvre, en jaillit un croassement, suivi d'un autre qui me lacère la moelle épinière. J'essaie de reculer. Nina la corneille s'avance vers moi, les deux mandibules ouverts en une grimace carnassière. Je hurle.

Je m'éveille. J'allume. Les images du cauchemar s'estompent, mais mon corps reste crispé, aux aguets.

Un nouveau cri, sinistre, ravive ma terreur.

La bête est sur mon balcon, sans aucun doute. Sa présence aura transformé ma Nina colérique en monstre aviaire. Que font ces créatures en ville ? Disputent-elles les stationnements de McDo aux mouettes ? Je me lève, marche vers la porte-fenêtre.

La corneille se tient en équilibre sur le garde-corps du balcon. Elle croasse à l'aube incertaine, ses pupilles fixées sur moi. Derrière elle, la rue peine à s'arracher à la nuit. Les réverbères dessinent des flaques de tristesse sur l'asphalte, le ciel pèse lourd de blanc et d'argent terni, ça sent la neige. Je cherche des yeux les premiers flocons, les espère presque. Vivement l'hiver qu'on en finisse avec le mois des morts.

La bête n'a pas bougé. J'enfile une robe de chambre, m'approche de la vitre, et frappe pour la faire fuir. Elle ne bronche pas, darde ses petits yeux noirs sur moi, leur éclair mauvais me défie. Je fais glisser la porte, et sors. D'un large geste, je fais mine de balayer le volatile, qui plonge vers le parc de l'autre côté de la rue. Au même moment, les arbres s'agitent, comme si les dernières feuilles qui les parent d'une sèche mélancolie devenaient un fardeau trop lourd à porter.

C'est alors que je l'aperçois. Droite, menue, sa tête levée vers moi, ses cheveux telles des plumes trempées dans l'encre, sa peau pâle, lunaire. On dirait une jeune fille, une promesse lointaine de femme. Je ne distingue pas ses traits. Elle est plantée là, à l'entrée du parc, sans bouger. La corneille s'est posée au-dessus d'elle, sur la branche d'un érable. Toutes les deux, corneille et femme, comme les relents d'une nuit d'épouvante.

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