Une lune pleine, un froid à vous faire tomber le nez et les oreilles, j’ai dû allumer le chauffage dans ma chambre. Il est une heure trente, la rue dort. J’éteins la lampe et me poste à la fenêtre. La fille attend à sa place habituelle. Cette pauvre créature y passe-t-elle la nuit ? Je l'imagine frissonnante sous son imper, les doigts gourds sous la mince toile de ses poches. Le parc ne lui offre que des squelettes d'arbres pour abri. Un camion passe, l'emporte sans s'arrêter, comme un tour de magie, une illusion d'optique ou un effet de cinéma. Dans le vide qu'elle a laissé, une corneille fait du surplace, indécise, puis disparaît dans les ramures de l'érable. J’ai besoin de sommeil ; je me couche, j'attends la suite de mon cauchemar.

Au pied de mon lit, Nina croasse : « Je te hais ! » Sa chevelure en plumeau de sorcière, ses yeux de charbon, son bec absurde. La femme-oiseau ouvre ses bras, les manches de son long manteau se déploient, leur envergure embrasse la largeur du lit. La porte-fenêtre s'ouvre avec fracas, une bise glaciale gonfle les rideaux qui s’agitent comme des spectres. Nina se dresse, prend son envol, ses griffes me caressent au passage, j'en savoure la brûlure, tout ce qu'il me reste de son amour. Je me lève pour fermer la porte-fenêtre, le froid me saisit sur le seuil, je ne rêve pas : sur la rambarde, c'est bien Nina, accroupie, en équilibre. Elle me tourne le dos. La lune couvre d'argent son plumage hideux, le ciel emporte au loin son cri, dont l’écho résonne longuement à l’intérieur de mon crâne. Je balaie le monstre du revers de la main. Tout s'obscurcit.