Dialogue du chat et de l'araignée (ou "Le Roi et le forçat")
Le chat, un félin roux affalé en majesté sur le sofa, baillant :
— J’ai une de ces faims !
L’araignée, une veuve noire bien laide dans le vivarium posé sur un trépied, non loin de lui :
— C’est parce que tu dors trop, petit lion.
— Et ça te pose un problème ?
— Non, mais ça explique pourquoi des deux prédateurs que nous sommes, c’est moi qui suis enfermée dans un vivarium.
— Tu es venimeuse, on ne peut pas te faire confiance. Et puis tu es laide.
— C’est vrai. Et toi tu es beau et tu ronronnes. Mais tu caches bien ton jeu : peut-on te faire confiance ?
— Tu n’as rien à craindre de moi, je ne mange pas les araignées.
— Le fait que tu ne m’aimes pas t’empêcherait-il d’aimer me torturer ? Comme tous ces rongeurs et ces oiseaux à qui tu aimes couper la tête.
— C’est pas faux. Mais ne m’en veux pas si les hommes te méprisent, s’ils ne cherchent qu’à t’écraser et à te faire du mal.
— J’aimerais bien qu’ils me caressent, comme toi qui les as tous à ta botte !
— C’est la nature, ma petite. Tu ne sais pas assez les cajoler et les séduire. Et puis cette réputation de castratrice que l’on te prête, de mâles que tu dévores dès qu’ils t’ont fécondée, forcément, les hommes projettent…
— Parce que toi tu ne projettes pas tes peurs sur moi peut-être ?
— Non, moi je suis idéal et parfait : heureux et sans peur, je règne sur mon foyer. L’homme qui se croit mon maître est un « surmoi » honnête et ne m’inquiète pas.
— Et moi je suis quoi dans tout ça ?
— Tu es ça, j’imagine. Ça : une ombre noire insidieuse qui me tuerait si elle quittait sa prison, un poison violent qui ne m’atteint qu’en rêve et nourrit mes facultés de chasseur.
— Autrement dit, on forme une belle équipe, cracha l’araignée avant de retourner se cacher.
— Belle je ne sais pas, mais oui, on forme une équipe, admit le chat avant de se rendormir.
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