2 – Emy : Une planète rouge

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La navette secouée par les vibrations des propulseurs plonge dans l’atmosphère ténue et la force qui la plaque dans le fond de son siège commence à devenir pénible et douloureuse. L’indicateur en sur son link indique encore deux minutes sous une accélération d’un G.

Sur Terre, cette force était habituelle, routinière. Au point que son absence semblait presque inconcevable. Ce n’est que lors des premiers vols d’entraînement paraboliques, qu’Emy avait concrètement réalisé la possibilité de sa disparition.

Le lancement pour gagner l’orbite lui avait imposé des accélérations de presque trois fois ce qu’elle subit actuellement et ça n’avait pas été un problème. Mais là, après plus d’une semaine et demie en apesanteur, et malgré l’entraînement quotidien, sa capacité à encaisser cette force l’a abandonnée. Déjà le vol depuis Mercure, avec sa gravité équivalente à Mars, avait été difficile les premières heures.

Le commandant Feyn s’était montré très attentif et il lui avait expliqué que l’incident et sa maladie l’avait terriblement affaiblie, amplifiant les dégâts de l’apesanteur. Sur Mars, elle s’en remettrait, le héros du Mona Lisa le lui avait assuré. L’astronaute va beaucoup lui manquer. Après sa mission et réquisition par les Solar Wardners, sa corporation l’a fait rappeler dans le système de Saturne. Il en a encore pour un mois de vol.

Les Solar Wardners, passé les au revoir poignant, sont repartis finir leur mission. Et Emy s’était retrouvée seule sur la station de transit, au milieu des voyageurs attendant leur vol. Mais elle était désormais officiellement une Martienne. Et quelques heures plus tard, Emy volait pour la colonie Lunae, dans cette navette franchissant la fine atmosphère à des vitesses hallucinantes.

Alors que ses pensées volent de souvenir en souvenir, l’accélération se renforce quelques secondes puis le choc de l’atterrissage résonne à travers toute la structure et le corps de la jeune femme est traversé d’une onde de douleur. Elle laisse échapper un grognement.

Immédiatement, un officier débarque et vient s’assurer de son état. Alors que les autres passagers se détachent et commencent à évacuer l’habitacle par l’échelle centrale, Emy peine à effectuer des gestes. Le martien lui pose quelques questions : « Madame, vous allez-bien ?

– J’ai sur-estimé mon état je crois…

– Votre dossier médical est vierge. Combien de temps avez-vous passé en apesanteur ?

– Une semaine et demie, après ça deux jours de vol à 0.37 et quelques heures sur la station.

– Vous êtes nouvelle sur Mars ?

– Oui. », répond Emy avec l’impression que la douleur commence à se dissiper.

Une femme portant l’uniforme vert de Mars et un brassard bleu orné du caducée descend l’échelle avec un énorme sac à dos. Une fois les pieds sur le sol de l’étage, elle demande : « Comment est la situation ?

– Notre passagère a probablement une dégénérescence musculaire, répond rapidement l’officier.

– Rien dans le dossier ?

– Non, confirme-t-il.

– Nouvelle sur Mars ? demande-t-elle à Emy.

– Oui.

– Je vais vous administrer un anti-douleur pour commencer. Une fois que ça ira mieux, on vous évacuera pour le centre médical du spatioport. Est-ce que vous pensez pouvoir marcher ?

– Je crois, confirme la jeune femme.

– L’ascenseur est prêt, l’interrompt l’officier.

– Parfait, nous allons procéder alors. », termine la femme médecin qui préparait un pistolet injecteur.

L’administration de l’anti-douleur est rapide et si Emy s’était attendu à une sorte d’engourdissement, il n’en est rien. La douleur s’atténue lentement mais reste malgré tout présente. Aidée de la femme, Emy se relève lentement et après quelques pas difficiles elles atteignent l’ascenseur central. Celui-ci monte lentement pour atteindre la passerelle de connexion.

La femme la conduit alors à travers le spatioport, chaque pas devenant moins pénible que le précédent. Durant le trajet, l’agente de Mars la rassure et lui explique qu’elle s’en remettra rapidement.

Une fois passé le terminal, le spatioport expose de grandes rues couvertes qui rappelle à Emy les centres commerciaux de Sol6, avec des restaurants, des terrasses et des salles de loisir. Il y a même de véritables parcs, à demi-caché dans des alcôves et qui servent probablement à assurer un peu d’intimité aux passagers en attente. Dans ce décor surréaliste, quelque chose manque à la jeune femme, quelque chose omniprésent sur Terre : aucun panneau de publicité, aucun affichage promotionnel, pas d’affiche, rien de tout ça. Et son cerveau de terrienne continue de chercher ces éléments en vain.

L’entrée du centre médical est joliment décoré, autant que le reste en fait. Ceci tranche avec les hôpitaux stériles et froids que la jeune femme a pu connaître sur Terre. À l’intérieur, pas de salle d’attente interminable, à peine entré un homme, un synthétique en fait, s’approche d’elles et les conduit dans une chambre d’examen. La salle possède un éclairage reposant et même le bruissement du système d’aération apaise Emy. Le synthétique lui propose, aidé par la femme médecin, de s’installer sur le siège médical.

Une fois en place, la femme médecin lui souhaite : « Vous êtes entre de bonnes mains maintenant. Je vous souhaite un prompt rétablissement. Bienvenue à Lunae.

– Au revoir et merci. », répond Emy alors que la femme se dirige vers la sortie.

Le synthétique semble observer un moniteur virtuel, son regard balayant d’invisibles informations. Il se tourne vers la patiente et lui explique la suite des opérations : « Je vais procéder à un scanner global. Vous avez tout à fait le droit de le refuser ou de demander la destruction des données une fois l’examen terminé.

– Heu… d’accord.

– Très bien, je vais vous demander de ne pas bouger. Vous pouvez fermer les yeux si vous le souhaitez. », indique l’infirmier alors qu’une l’imposante structure commence à se détacher de la surface du plafond et à descendre lentement vers Emy avant de se stabiliser à une cinquantaine de centimètre d’elle. La jeune femme garde les yeux ouverts de peur de s’endormir sous l’effet des anti-douleurs qui continuent leur travail.

L’examen est rapide et la structure reprend sa place dans le plafond après quelques dizaines de secondes. L’androïde examine rapidement le résultat sur interface virtuelle et donne son verdict : « Vous avez été considérablement affaiblie par votre voyage et votre corps ne s’est pas encore complètement remis de votre maladie.

– On peut y faire quelque chose ?

– Oh, votre corps s’en remettra. Avec un traitement adapté et un peu de rééducation vous serez de nouveau capable de courir dans environ une semaine. Si vous trouvez le temps trop long, on peut aussi vous procurer un autre corps. », lui explique le médecin.

Changer de corps. Il y a un mois encore, ce n’était qu’une rumeur pour elle. Bien sûr beaucoup de terriens possèdent des implants, principalement des prothèses pour remplacer des organes ou des membres défaillants. Mais cela restait assez mal vu sur Terre ou le culte du corps naturel reste dominant. Tsadir, la solar wardner avec ses yeux gris métaliques, ses bras robotiques et ses réflexes inhumains était modifiée bien au-delà de l’acceptable pour un terrien. Et ce n’était rien à côté de Feyn : transféré dans un nouveau corps, celui-ci ne ressemblait même plus à un humain. Quelque part, sa bouille de raton laveur lui manque.

Bien qu’elle lui ait toujours reproché des tas de choses, Emy ressent un profond malaise à jeter ce corps pour en prendre un autre. Pas pour le moment en tout cas. Après quelques dizaines de secondes à réfléchir sous le regard particulièrement compréhensif du robot médecin, elle lui répond : « Je préfère garder ce corps.

– Très bien madame. Vous êtes bien Émergence ?

– Oui.

– Je vais ajouter les résultats de votre scanner à votre dossier médical si vous le voulez bien.

– Oh… Faites, je pense que c’est mieux si mes médecins me connaissent mieux.

– Et voila. Je vais maintenant vous expliquer ce qui va se passer. », poursuit le médecin.

Au fil des explications, Emy apprend que son traitement impliquera une armée de nanorobots qui vont circuler dans son organisme pour réparer les tissus endommagés et apporter des ressources pour favoriser la croissance des cellules. Une fois leur tache terminée, ces robots seront évacués par les selles et son corps sera prêt pour la rééducation, la partie la plus longue.

Une fois rétablie, il sera alors question d’envisager des mesures préventives pour éviter la dégradation physique due à la faible pesanteur : l’organisme humain est en effet habitué à fonctionner dans un environnement avec une gravité d’un G complet et sur le très long terme l’impact de la vie sur Mars peut se révéler néfaste.

D’autres synthétiques font irruption apportant un chariot recouvert de matériel médical étrange. L’une d’eux s’approche et annonce : « Le matériel est prêt et nous pouvons commencer dès qu’elle sera prête.

– Madame, dites-nous lorsque vous serez prête, demande l’infirmier à sa patiente.

– Est-ce que je peux aller aux toilettes avant ?

– Oui bien sûr. Nous allons vous aider à vous lever. », confirme l’infirmier tandis que deux des synthétiques s’approchent pour commencer la manœuvre.

Les toilettes ne sont pas très différentes de celles qu’Emy a connu sur Terre, si on compare à ce qu’elle a connu en apesanteur. À la différence avec les sanitaires de la planète bleue, ici l’eau est probablement recyclée dans son intégrité : les colonies restent des systèmes clos qui ne peuvent pas compter sur le cycle naturel de l’eau.

Un peu stressée et terriblement fatiguée, elle ressort plusieurs minutes plus tard, toujours assistée des robots infirmiers. Le siège médical est désormais entouré de plateaux où le matériel pour l’opération a été soigneusement rangé.

Une fois installée, aussi confortablement que possible, Emy attend patiemment que le personnel médical synthétique termine de l’apprêter. L’installation de la ligne de voie est moins douloureuse que ce qu’elle imaginait et Emy se demande à quel point les anti-douleurs qu’elle a reçus ont joué là-dessus. Alors que le liquide sombre de la poche commence sa lente descente dans le tube, l’installation du plafond recommence sa descente, faisant tressaillir la jeune femme.

« Ne vous en faites pas, ce n’est que le scanner. Il va nous servir à diriger les nanorobots. Détendez-vous. », la rassure le médecin synthétique.

Emy, ferme les yeux quelques instants, comme pour oublier la présence de l’imposante machinerie immobilisée, cinquante centimètres au-dessus d’elle. Alors que les nanorobots doivent commencer à entrer dans son sang, l’ancienne terrienne s’assoupit doucement et les paroles de la femme qui l’a conduite ici, remonte dans son esprit.

« Bienvenue à Lunae. »

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