7 – Orah : Sur le terrain
La découverte des deux agents les avait mis en alerte. D’abord Orah avait repéré un mouchard en étudiant la numérisation de la chambre, puis Steeve avait pris sur le fait un individu trop souvent présent et particulièrement attentif à leur cible. La situation n’était plus à l’heure de la surveillance passive et depuis une semaine déjà, ils avaient abordé la femme en faisant passer Steeve à travers une thérapie de rééducation, au prétexte qu’il n’aurait pas supporté sa nouvelle enveloppe synthétique.
La prise de contact s’était très bien passé et Émergence, que tout le monde y compris elle abrégeait en Emy, s’est avérée être une personne particulièrement bienveillante et bien plus intelligente et attentive que ce qu’ils s’étaient imaginé pour une terrienne. Trop atypique pour être surveillée de manière classique : Steeve avait vite remarqué que la jeune femme n’était pas intéressée par les simples discussions sans véritable fond. Même si elle était bien trop gentille et polie pour le faire remarquer, ces échanges l’ennuyaient et l’équipe ne pouvait pas se permettre qu’elle se replie sur elle-même. Heureusement, Orah avait découvert qu’elle était fascinée par l’espace et les étoiles.
Mais ce qui inquiétait le plus Steeve c’est sa quête de sens et il apparaissait aux agents qu’elle ne se contenterait pas bien longtemps de la vie calme d’un colon assurée de son allocation universelle. Et tôt ou tard, si l’aventure ne venait pas à elle, ce serait elle qui ferait le pas. Steeve avait alors déployé de grands efforts pour la canaliser.
Mais l’agent ennemi était toujours là. Même Emy l’avait remarqué et Orah avait eu de la peine à éviter que l’ancienne terrienne n’aille lui voler dans les plumes. Concernant le harcèlement, elle semblait particulièrement vindicative. C’était, d’après elle, et les recherches d’Orah le confirmaient, la raison pour laquelle elle avait quitté le giron de la Terre. Elle avait pu fuir la société toxique qui s’était construite autour d’elle et refusait de rester impassible face à ce genre de chose. Au grand dam de la decker, Steeve était de son avis.
De retour d’une sortie dans les parcs de Lunae, la rééducation de la jeune femme, pleine de détermination, avait été particulièrement courte, le couple d’agent se réunit dans leur salon.
« On ne peut pas attendre qu’il se passe quelque chose. Notre mission n’est pas juste d’observer ! se révolte Steeve.
– Je sais, et je pense avoir un plan pour ça, tempère la decker.
– Tu as changé d’avis ? s’arrête l’homme.
– Non. Mais toi non plus et je ne veux et peux pas te laisser agir seul. On va coincer ce type.
– Comment proposes-tu de faire ?
– J’ai trouvé son dossier dans les serveurs de la sécurité, annonce Orah.
– Fiché ?
– Presque : il s’appelle Jumper et il a l’air d’avoir des contacts avec Phobos’ Heights. J’ai son adresse et il bosse dans les services techniques.
– Il a attiré les forces de sécurité comment ? l’interroge-t-il.
– Tu te souviens du raid d’il y a trois jours sur cette arène illégale ?
– Ouais, les collègues se sont régalés : neufs pris avec des armes létales, douze avec des pistolets shocks… Notre gars en fait partie ?
– Non : il était surplace, mais prétexte avoir été envoyé par le système de surveillance suite à une alerte concernant la rupture d’une canalisation.
– Et c’est passé ? s’indigne l’émissaire.
– Il y avait vraiment une canalisation endommagée et il a été retrouvé inconscient avec ses outils juste devant les valves de contrôle de la canalisation elle-même.
– Et il a dit pourquoi il faisait la carpette ?
– D’après lui, il y avait d’autres types et il n’a pas pu contacter la surface avant d’être mis hors service. Il ne sait pas par qui.
– La sécurité a tiré sur un technicien ? s’étonne l’émissaire.
– Lis le rapport officiel par toi-même ! », lui propose-t-elle, agacée, en lui tendant le document éthéré à travers la réalité augmentée.
Steeve l’attrape et commence à le lire. Officiellement, les Forces de sécurité de Mars de Lunae sont intervenues suites aux dénonciations d’un anonyme et ont maîtrisé une quarantaine d’homme qui se livraient à des paris sur des combats de créature non sentiente. Dans le détail, il découvre notamment qu’une fusillade violente a éclaté et que plusieurs hommes équipés d’armes létales ont été mis aux arrêts. Steeve continue la lecture et découvre le passage qui l’intéresse : un technicien a été retrouvé inconscient. Il déclare avoir été dépéché pour réparer une fuite mais que les lieux étaient occupés par plusieurs personnes. Il a perdu conscience dès le début d’une fusillade entre deux factions qu’il n’a pas pu identifier. Après un long interrogatoire et des vérifications auprès des services techniques de la cité, une alerte concernant la canalisation a effectivement été envoyé et c’est bien lui qui y a répondu.
Un calque d’information par-dessus porte les annotations de sa collègue qui pointent vers des sources externes. De ce qu’elle a compris, lorsque les agents des forces de sécurité sont arrivés, tout était déjà réglé. Quelqu’un avait neutralisé tout le monde et de nombreux impacts de balles démontrent la violence de l’affrontement. De certaines dépositions des hommes arrêtés, ils auraient été pris d’assaut par une certaine Nightly. Sur cet aspect, la note d’Orah se termine avec quelques questions : qui est-ce ? Comment aurait-elle pu mettre plus de quarante hommes des Phobos’ Heights au tapis seule ?
La dernière note est issue de la collecte de donnée de la decker auprès des services techniques. Pour commencer ce qu’elle a trouvé corrobore les explications de leur suspect. Ça n’arrange pas vraiment Steeve. Concernant l’affaire de l’arène, le reste montre que la cité a dû envoyer une équipe complète pour faire le ménage, démonter l’arène et réparer l’installation. Les dégâts proviennent principalement de trois sources : l’installation de l’arène en elle-même qui a demandé le déplacement de toute la machinerie présente, la fusillade qui n’a heureusement pas endommagé quoi que ce soit de critique et une substance particulièrement corrosive et réactive dont la source est supposée provenir de l’intérieur de l’arène. Des restes organiques et des aiguilles de nacre ont été retrouvé dispersé dans toute l’arène, et même un peu en dehors, ce qui permet de supposer que la chose aurait explosé. S’il y avait autre chose dans l’arène au moment des faits, les services techniques n’en ont pas retrouvé la trace, bien que le rédacteur du rapport se soit inquiété du fait que la cage a été ouverte avant l’arrivée des techniciens. L’émissaire survole les détails techniques qui suivent et parvient à la fin des notes.
Sa lecture terminée, Steeve reprend la discussion : « Ok, j’ai fini… Je ne sais vraiment pas comment tu fais pour trouver autant de choses aussi vite…
– C’est mon boulot. Tu noteras que je ne sais toujours pas comment tu fais pour changer aussi facilement d’enveloppe sans être malade et je ne pense pas connaître beaucoup de monde capable de mieux se servir d’une enveloppe que leur propriétaire légitime.
– Haha. Si je résume, notre gars a été lavé par les forces de sécurité, mais on le suspecte de faire partie des Phobos’ Heights et on sait qu’il observe Emy.
– Yup, confirme Orah. Et je suis presque sûr que c’est lui qui a placé l’émetteur à l’hôpital. Vu qu’il a les accréditations pour accéder aux constructeurs universels, qu’il possède une liste de formation incroyable et que plusieurs personnes ont été en mesure d’appuyer son alibi, je pense que notre homme est un fixeur. Un bon.
– Ok, articule Steeve. Tu as mon attention. Comment on choppe ce gars sans se griller ?
– On va le piéger. Ça va être sale, indique sadiquement la decker.
– Comment ? s’intéresse l’homme.
– Un, je récupère un virus bien sympathique. Deux, tu pirates l’accès de son appartement, quand il utilisera son certificat pour rentrer, il signera un bien vilain logiciel à la place. Trois, on relâche le virus signé dans les systèmes des nouvelles machines du secteur de l’arène. Quatre, on lui donne rendez-vous.
– Cinq on le choppe, on s’explique et il reste gentiment loin d’Emy où il aura quelques explications à donner à la sécurité ? complète Steeve.
– Yep, confirme-t-elle.
– En plus, les collègues vont adorer avoir un nouveau moyen de pression sur les Phobos’ Heights. », s’enthousiasme l’émissaire.
L’organisation est une véritable mafia organisée en cellule et infeste toutes les colonies de Mars. Cette mauvaise herbe contrôlant le principal marché noir de la planète, le conseil, les forces de sécurité et les renseignements se contentent de maintenir leurs activités sous un seuil acceptable. Car lors de certaines opérations sous faux drapeaux, le réseau qu’ils ont établi est bien utile. D’ailleurs, les deux agents ont déjà employé leurs services. Via des proxys bien sûr.
Le plan est rapidement mis à exécution. Pour commencer, Orah, à travers plusieurs faux comptes, s’arrange pour acheter le virus aux Phobos’ Heights eux-mêmes. Le logiciel est activable à distance : tant que personne n’envoie le signal, le virus se contente d’être dormant. Et il n’est pas question de causer des dégâts mais bien de faire chanter leur proie.
Pendant ce temps, Steeve incarné dans un robot de la sécurité standard se rend à l’appartement de Jumper et pirate le système d’accès. Il y installe le code spécial d’Orah, referme le boîtier et s’en va sans être aperçu. Pour plus de sécurité, Orah invalide les enregistrements de sécurité de la tour, laissant supposer qu’ils sont faux.
Steeve continue son voyage et gagne la section de maintenance située sous le dôme du parc sept et installe un relais pour permettre à Orah d’accéder plus simplement à la station de contrôle du secteur.
Les agents attendent ensuite plus de deux heures que leur cible déclenche la signature du virus et son expédition dans une boîte aux lettres virtuelle laissée par Orah sur le réseau. Le paquet réceptionné, la decker supprime toute trace de la boîte et injecte le virus dans le sous-réseau de la maintenance à travers la connexion de Steeve.
Et maintenant, Steeve envoie l’ultime message ordonnant à Steeve de venir le rencontrer dans la fameuse section pour discuter de quelque chose d’embarrassant. La menace est efficace et l’homme débarque en un quart d’heure.
Steeve l’accueil : « Jumper… Nous avons l’œil sur vous depuis quelque temps.
– Qui êtes-vous ? sursaute le technicien.
– Une tierce partie concernée, appuie l’émissaire d’une voix affreusement calme.
– Concernée par quoi ? s’énerve l’homme. Je ne suis pas responsable de ce qui s’est passé ici !
– Vos activités récentes nous laissent penser que vous avez des choses à vous reprocher.
– Oh, je vois vous voulez me faire chanter ? Vous voulez quoi ? L’accès aux constructeurs universels de la cité ? Vous savez ce que ça risque de vous coûter ?
– Nous ne voulons pas interférer avec les affaires de la cité.
– Vous voulez quoi au juste ?
– Laissez la terrienne tranquille. Et dites-nous ce que vous lui voulez.
– Hein ? doute Jumper.
– Ne faites pas l’idiot, recadre Steeve. Nous avons assez de preuve pour savoir que vous la suiviez.
– C’est un boulot, pas de contact direct, concède le technicien. Je crois qu’elle intéresse quelqu’un d’important.
– Une idée de qui ?
– Pas précise, mais ce n’est pas un Martien.
– Rien d’autre ?
– Non, décline Jumper.
– Vous savez ce qui se passera si vous essayez à nouveau d’interférer avec l’espace et l’intimité de cette femme ?
– Je crois oui.
– Très bien. Nous nous reverrons peut-être. Essayez de ne pas précipiter les choses, menace l’émissaire.
– J’ai compris. », termine le technicien qui repart dans les méandres de l’installation sous-terraine.
Steeve observe l’homme s’éloigner, satisfait. Orah semble jubiler sur leur réseau privé. Une menace sous contrôle et un nouvel outil dans cette affaire. Mais il faudra rester vigilant, si elle a vu juste, ce fixeur pourrait avoir d’autres cartes à jouer. Et le commanditaire est toujours dans la course.
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