13 – Orah : Lames et fourrures
Le salon est encore en partie encombré des restes de la fête de la veille. Plusieurs robots circulent pour ramasser les miettes et nettoyer la moquette verte tachée par ce qui devait être du café. L’appartement, situé au neuvième étage, offre une vue intéressante de la cité et les six autres dômes de la grappe couvrent une grande partie du panorama. Dans ces épaisses bulles de diamant et carbonates, les tours de verre s’élèvent, enveloppée dans des feuilles dorées qui forment des motifs géométriques composés de triangles. Au-delà, des dômes le désert martien rougeâtre s’étend jusqu’à l’horizon. Parsemé de rochers couvert de poussière, le désert semble relativement chaotique et intouché.
Dans son espace virtuel, une notification critique apparaît. Allongée dans le canapé Orah examine la source de l’alerte. Prenant connaissance de celle-ci, elle appelle son collègue : « Steeve, je crois que Jumper essaie d’attirer notre attention.
– Qu’est-ce qui te fais dire ça ? demande l’émissaire.
– Il est dans la salle de son ancienne arène et il semble assez furieux.
– Il a dit quelque chose ?
– À part des insultes pour que tu viennes ? Non, indique la femme.
– Bon, je vais m’immerger. », conclu l’émissaire.
Peut-être auraient-ils dû lui donner un moyen de les contacter ? Les deux espions ne s’attendaient pas à ce que cet agent recruté se montre proactif. Bah, Steeve va y aller et ils seront fixés.
L’émissaire a rangé son enveloppe de furry – Qu’il semble beaucoup aimer – dans la chambre et s’est téléversé dans leur dernier patrouilleur. La perte l’autre a beaucoup contrarié Steeve : il ne s’était pas attendu à ce que le nevian possède des réflexes de contre-espionnage, mais à la réflexion c’était prévisible : la brochure virtuelle qu’Orah avait trouvée parle de capacité à « protéger vos enfants contre les prédateurs » et visiblement les robots de patrouille des forces de sécurité ne bénéficient pas d’une exception.
Steeve est déjà dans la section de maintenance et il se dirige au pas de course vers le dôme du parc sept. Les enveloppes entièrement cybernétiques ne procurent aucune fatigue, seulement un niveau de batterie et, même si Steeve sait tirer le meilleur de n’importe quelle enveloppe indépendamment de son état, l’émissaire entretient soigneusement ses enveloppes.
Sur l’image relayée, les coursives défilent et s’enchaînent. Toutes se ressemblent et seuls quelques lignes de couleurs indiquent le secteur dans le dôme où elles se trouvent. Alors que son collègue traverse l’espace physique, elle le suit dans l’immatériel de la matrice. Nœud après nœud elle établit son fil d’Ariane, sa première et principale défense si les choses devaient mal se passer. La toile qu’elle contrôle s’étend maintenant sur trois dômes.
Le voici dans grande salle de la maintenance, l’homme l’accueil froidement : « Vous voila enfin. Vous n’avez probablement pas beaucoup de temps. ».
À travers la connexion réseau Orah interpelle Steeve : « Il se prend pour notre supérieur ou quoi ?
– J’en envie de voir où ça va nous emmener. », s’amuse l’émissaire.
Le technicien poursuit : « J’ai fait mes devoirs et j’ai appris quelques trucs. Je ne sais pas pour qui vous travaillez, mais je suis sûr d’une chose : vous ne voulez pas tuer cette femme. Sinon vous l’auriez déjà fait.
– Et qu’est-ce qui vous permet d’en être sûr ? l’interroge Steeve.
– Je ne connais pas grand monde qui soit en mesure de falsifier le certificat de quelqu’un d’autre. Vous avez des moyens bien plus étendus que ce que vous le laissez entendre.
– D’accord. Quelles sont ces nouvelles aussi importantes ?
– Cette femme, Émergence. Quelqu’un hors monde a demandé son assassinat, annonce le technicien.
– Et comment le savez-vous ?
– Un tuyau laissé par un concurrent qui a quelques remords. Il y a aussi des gens bien de mon côté, ironise Jumper.
– Une idée de où et quand ? Et peut-être qui ? demande Steeve.
– Potentiellement en ce moment, répond l’informateur. Et la rumeur veut que le Le rasoir de sang soit à Lunae. Et quelqu’un devait lui produire un demi-litre de Majhra qui devait servir de paiement.
– Devait. Le paiement a été annulé ? s’étonne l’émissaire.
– Pas exactement, mais le fournisseur a eu des ennuis avec son unité de production.
– Donc ils sont venus vers vous… déduit l’espion.
– Non, pas encore en tout cas, contredit Jumper. Et avec vos conneries, j’ai maintenant une raison indiscutable pour refuser de les aider.
– C’est-à-dire ? s’intrigue Steeve.
– Je ne suis plus en fonction. Je n’ai plus d’accès aux constructeurs universels. Vous m’avez presque grillé auprès des services.
– Mon pauvre, feint-il de le plaindre.
– Vous devriez vraiment y aller. C’était déjà imminent, il y a une heure. », le recadre Jumper.
Il n’y a pas à dire : il a du cran. Orah constate par ailleurs que son pronostique était plutôt bon : c’est un fixeur, et son réseau de connaissance et de l’informateur sera très utile à l’avenir. Il faudra juste s’assurer que ce technicien désavoué reste à sa place à l’avenir.
Steeve congédie l’homme en lui promettant un nouveau contact prochainement et repars dans le labyrinthe de coursive. Alors que l’agent progresse avec son robot patrouilleur, une nouvelle alerte apparaît dans l’espace virtuel de la decker. Une intrusion. Quelqu’un vient d’utiliser un brouilleur dans l’immeuble et Orah a perdu tout contact avec le réseau aérien.
Se branchant rapidement sur le réseau filaire, elle reprend contact avec Steeve : « On a un problème. Quelqu’un vient de faire tomber le réseau public.
– Merde, je gare ce robot et j’arrive, confirme l’émissaire.
– Fais vite. », prie-t-elle prenant pleinement conscience de l’avertissement de Jumper.
Orah est tentée de prendre son arme et d’aller s’assurer de la situation, mais si elle a bien retenu une chose depuis ces années avec Steve, c’est qu’elle n’est pas faite pour ce genre de choses et que se mettre en danger ne ferait que compliquer encore la situation.
Quelques instants plus tard, l’enveloppe furry de l’émissaire s’anime et débarque dans le salon, dissimulant un pistolet shock sous sa tunique. Quel est l’état : « J’ai tout perdu, la surveillance, les systèmes de mesures de l’immeuble…
– Merde, j’y vais. », rage Steeve qui sort en urgence de l’appartement. Coupé du réseau aérien, il sort aussi de sa perception.
Mais à peine dehors, le furry hurle : « Arrêtez-vous ! », un peu après « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? », une réponse incompréhensible de sa position de Snack plus tard, sa voix s’éloigne : « Reste là et occupe-toi d’elle. Je vais chopper cette raclure. »
De longues minutes plus tard, le réseau se rétablit. Orah fait le point : une grande partie de son réseau, sans nouvelle d’elle, s’est auto-détruit. Elle téléchargement rapidement les enregistrements des mouchards pour ne pas les perdre et recherche Steeve sur le réseau. Il est vraisemblablement à l’entrée d’une section de maintenance et en mouvement. Elle lance ses logiciels pour essayer de prendre possession des systèmes du secteur, mais ça risque de prendre plusieurs minutes.
Orah profite de ce délai pour se connecter, avec appréhension, aux senseurs clandestins de l’appartement d’Émy. Elle veut faire l’inventaire des dégâts et redoute le pire. Ses intuitions sont confirmées. Les images dans la chambre montrent Snack qui pratique un massage cardiaque à son amie. Une rapide recherche sur le réseau lui montre que le nevian a déjà appelé les forces de sécurité qui sont en chemin, une équipe de secouristes est train d’escalader les escaliers de services accompagnés d’un brancard d’urgence robotisé. Elle place les mouchards en mode autistique pour une durée de dix heures. Si les forces de sécurité les découvraient, ce serait une catastrophe.
Sur le réseau Steeve l’appelle. Il peste : « MERDE ! Je l’ai perdu Orah. Je l’ai perdu. J’ai perdu l’assassin.
– Quelle est ta situation ? s’inquiète Orah.
– En deux morceaux, il ou elle avait un camouflage thermo-optique et une lame active rétractable, s’énerve l’émissaire.
– Heureusement que cette enveloppe est cybernétique et qu’elle n’a pas eu la batterie…
– Je vais avoir besoin d’aide, est-ce que tu peux me téléverser dans l’enveloppe quatre et couvrir ce qui s’est passé ici ? demande Steeve.
– Non, planque ton arme : on ne rattrapera pas l’assassin, le résonne-t-elle. Conserve ta couverture et appelle les secours. On les aura d’une autre façon.
– Bien reçu, tu as raison. », concède Steve.
Orah se lève rapidement et sortie de son domicile, elle aperçoit les secouristes qui ressortent de l’appartement. Émy est inconsciente couverte de sang, prise dans la gagne de la résine de la stase. Snack marche à côté du robot qui avance de ses trop nombreuses pattes et transporte son amie. Le nevian à l’air abattu et ses bras pendent de désarrois, eux aussi couvert de sang. Il porte un pansement de médigel sur la jambe gauche.
Plusieurs robots patrouilleurs ont sécurisé l’étage qui est désormais couvert de tous les côtés et deux agents des forces de sécurité commencent à inspecter les lieux du crime tandis qu’un troisième s’approche d’Orah pour lui poser des questions.
L’interrogatoire est difficile mais l’agent se montre très compréhensif et aidant. Ce doit être un spécialiste de ce genre de cas et l’espionne a bien du mal à ne se sentir touchée par le rôle de sa couverture. Elle lui explique que Steeve a entendu du bruit et elle lui rapporte ses paroles. Elle avoue ne pas avoir compris pourquoi son compagnon est parti en courant pour rattraper l’inconnu.
Les autres voisins sont aussi interrogés mais la plupart ne se sont aperçus de rien. Les enquêteurs repartent avec plusieurs éléments dont un sabre et un bras cybernétique équipé d’une lame rétractable. Ces éléments la surprennent : qui serait en état de lutter contre un cyber-samouraï… Snack ? Et avec quelles armes ?
Les agents repartis, elle regagne leur domicile et reçoit un message, sur le canal officiel, de Steeve : « Je suis à l’infirmerie, les agents ont pris ma déposition. Ils réparent mon enveloppe et j’arrive. Comment vont Émy et Snack ? ». Elle renvoie un simple message : « Émy a été mise en stase, vu tous le sang, j’ai peur qu’elle ne s’en tire pas… Et Snack… J’aurais jamais cru qu’un nevian puisse être aussi triste. »
Deux heures plus tard, Steeve entre dans l’appartement, il fait une grise mine : « Je n’ai pas pu avoir de nouvelle pour Émy et Snack : les forces de sécurité ont établies un cordon de sécurité autour d’eux.
– Moi, j’ai quelques nouvelles et ça pourrait d’intéresser, explique Orah.
– Des bonnes nouvelles ? doute l’homme.
– Difficile à dire, mais regarde ces enregistrements. », lui conseille Orah sans en dire plus.
L’émissaire charge la reconstruction de la scène prise par les mouchards. Snack qui était en train de se reposer sur le canapé prend une pause de surprise. Au même moment, une annotation indique : « Coupure du réseau aérien ». La porte s’ouvre et un fantôme à peine visible entre dans la pièce alors que le nevian est en train de manipuler son bracelet de chargement. Alerté par le bruit, Snack va vérifier le panneau de commande. Émy se lève de son siège et prend un violent coup de sabre en plein cœur.
Steeve met la reconstitution en pause et maudît : « Rien d’exceptionnel, du travail d’assassin typique. Est-il vraiment nécessaire de repasser ça ?
– Continue, c’est là que je suis tombé de ma chaise. Presque littéralement. », ajoute Orah.
De trois bons, dont un au plafond, Snack a traversé l’espace de la pièce et arrache la cape de camouflage de l’assassin. À partir de ce moment, Orah place le flux en image par image. La lame de l’assassin file à une vitesse prodigieuse en direction du nevian, mais celui-ci l’esquive en s’aplatissant au sol.
« Comment, il lui aurait fallu une gravité de six ou sept G pour faire ça ! », lance l’émissaire rempli d’incompréhension.
Le nevian revient à la charge dans l’image suivante, comme une masse floue. Et celle d’après, il a saisi la main de l’assaillant qui peine à le suivre.
« Je connais ce type de prise, c’est un standard du désarmement. Où a-t-il appris ça ? », explique Steeve qui commente chaque image avec une fascination extravertie.
Snack s’est emparé de l’arme mais l’assassin fait jaillir deux lames de ses poignets dont l’une entaille profondément la jambe de la peluche. Ne se démontant pas, le nevian effectue un mouvement de retrait pour sortir du dangereux périmètre couvert par les deux lames. L’action suivante est trop brève pour s’afficher sur l’unique image d’un soixantième de seconde. Juste après, snack est passé derrière, chaque pas déclenchant une impressionnante onde dans la moquette.
« Mais bien sûr, il se sert de ses pattes gecko pour rester collé au sol. », décrit l’espion comme s’il s’agissait d’une révélation incroyable.
Alors que le nevian se repositionne comme un vrai combattant, l’un des bras du cybernétique continue sa trajectoire, détaché du reste du corps. Tirant d’un coup sec sur sa cape, l’assassin gagne la porte encore ouverte et trace à travers le seuil.
Orah arrête la reconstitution. La suite, ils la connaissent : Steeve est parti à la poursuite de l’assassin et Snack a fait de son mieux pour sauver son amie, déposant, soigneusement, le sabre à proximité.
La situation n’est pas bonne et le commandement ne sera pas satisfait. Steeve qui repasse la scène de combat en boucle soit lui aussi réaliser ce fait : trop de facteurs externes ont été sous-estimés. Autant l’opposition que les alliés en fait.
Il est plus qu’urgent de rectifier ça et au fond de son cœur, Orah hurle : il y aura des représailles.
Annotations
Versions