24 – Cara : L’union
Elle se doutait bien que le grand parc n’avait pas disparu, mais ces derniers mois passés cloîtré dans la maison – et ces derniers jours rangés dans le placard comme un simple robot ménager – ne lui avaient pas permis de le revoir. Il n’a pas vraiment changé : l’espace forestier et ses passerelles au ras de la canopée continuent d’apporter un air bucolique à cette partie de la cité. Les arbres ne sont pas si grands, sept mètres tout au plus, mais ils offrent une couverture ombragée qui intime au repos et au calme.
Dans la bulle de confidentialité réseau, les deux nevians virtuels lui présentent deux synthétiques : Ekaïdos, un chercheur respecté de ses pairs et Émergence, une future astronaute. Les deux êtres immatériels sont Milly et Snack. Tout le groupe vient de Mars et a répondu à son appel de détresse.
Snack lui explique : « Nous pensons que d’autres nevians continueront de devenir sentients. Pour le moment nous ne sommes pas sûrs que révéler notre existence au reste de la société soit une bonne chose.
– Pourquoi ? On aurait les droits du Traité des solaires, fait remarquer Cara.
– Il y aurait un rappel de tous les nevians, précise Snack. Y compris de ceux qui sont en transition vers la sentience.
– Ce serait terrible, réalise la nevian libérée.
– C’est pour ça qu’on essaie de rester dans l’ombre et d’aider tous les nevians qui s’éveillent.
– Mais vous ne pourrez pas tous nous aider ! s’exclame Cara.
– Nous sommes de plus en plus nombreux, nous pourront aider de plus en plus de nevian, conteste Milly.
– Vous avez aussi des alliés, rappelle Ekaïdos.
– D’accord. Mais on fait quoi ? Je ne vais pas rester ici toute seule, si ?
– On voulait te proposer de venir avec nous sur Mars, indique Snack.
– Le voyage risque d’être long non ? fait remarquer la nevian.
– Oui… Plus de vingt-cinq jours en approximation, confirme Milly.
– On voudrait bien passer par l’upload, mais on n’a pas d’enveloppe libre sur place… explique Snack.
– Elmetech Philorganics est basé sur Titan, réalise Milly. On ne pourrait en profiter pour récupérer nos schématiques ?
– Sans nos enveloppes, ça risque d’être compliqué, non ? hésite Snack.
– Je peux prêter la mienne, offre Cara.
– Ohh… s’exclament les deux nevians virtuels.
– Cette société est basée à Ombrenade. Il y a une liaison de train directe. », indique Milly.
Snack lance un regard à Émy et lui dit : « Ça va bien au-delà de ce qu’on a le droit de te demander Émy.
– Ça va aller, explique la synthétique. Je suis venue ici en sachant pertinemment qu’on devrait affiner le plan une fois sur place.
– Aucun plan ne survit au contact avec l’ennemi, cite Ekaïdos. Je reste aussi avec vous.
– Merci beaucoup, réalise Snack.
– En route pour Ombrenade alors ! », s’enthousiasme Cara.
La gare de Prettysand est installée au milieu de la partie ouest de la forêt du grand dôme. Les tubes qui contiennent les voies sont composées de verre ou de carbonate transparent. À plusieurs mètres au-dessus du sol, ils traversent la canopée et rejoignent le bord du dôme où ils disparaissent à travers le mur d’enceinte.
L’intelligence artificielle qui gère le réseau ferroviaire leur a assigné un train et une unique rame s’arrête devant eux. L’écoutille d’accès s’ouvre et le groupe entre à l’intérieur du véhicule et s’installe sur les banquettes. La porte étanche de l’engin se referme et, alors que le tube est dépressurisé, les sons provenant du dôme s’évanouissent complètement. Une accélération vive mais constante lance l’engin à travers le feuillage dense du dôme. Puis, brutalement, ils se retrouvent uniquement éclairés par la rampe lumineuse au plafond de la rame. À l’extérieur, la paroi du tube est devenue opaque. La vitesse est tellement élevée que même la nevian n’arrive pas à discerner d’autres détails que des lignes scintillantes.
Une demi-heure plus tard, une forte décélération confirme les informations de la réalité augmentée : ils arrivent à destination. Alors que le véhicule s’immobilise, le tube redevient transparent et ils constatent qu’ils ont débarqué dans une gare souterraine. Sortant du véhicule, l’équipe se dirige vers l’extérieur. Ekaïdos les mène vers un grand parc qui entoure la tour principale de la cité. Une fois à « l’extérieur », Cara constate qu’Ombrenade possède un style radicalement différent : alors que le niveau zéro de Prettysand se situe à la surface de la lune, celui d’Ombrenade est au fond d’une vaste dépression entouré par un véritable mur de verre et de béton où d’innombrables habitations avec balcons cernent la cité.
Finalement, le groupe s’installe dans une petite alcôve végétalisée et Ekaïdos établit un petit périmètre de confidentialité sur le réseau. Là Milly et son mentor décident d’explorer le réseau, pendant que Snack et Émy prennent soin de la nevian un peu perdue, la rassurant sur les conséquences de la perte de l’autorité. Snack lui apprend aussi la petite comptine que lui chantait Émy lorsqu’il avait eu sa crise de panique. C’est devenu pour eux une sorte d’hymne. Cara traduit le chant en swahili par :« N’aie pas peur du noir. Je suis là et te porterais jusqu’à la lumière. ». Mais elle a l’impression qu’elle perd l’aspect poétique au passage.
Sans prévenir, Milly annonce : « On a trouvé une approche !
– Chouette, s’exclame Snack.
– Le réseau de maintenance passe à travers toute la colonne centrale de la tour et les locaux d’Elmetech Philorganics se trouvent au niveau tente-cinq, poursuit Milly. Escalader la colonne ne devrait pas poser de problème. Ekaïdos est en train de prendre le contrôle d’une station de maintenance pour générer un accès sécurisé depuis le niveau trente-trois, situé juste en dessous. Ce sera le point d’entrée et le point de sortie.
– D’accord, confirme le guerrier.
– J’ai les accès, annonce Ekaïdos.
– Faisons ça rapidement alors, lance Snack.
– Je suis prête. », confirme Cara.
Snack intègre à nouveau son corps et prend possession de son contrôle. Cara, désormais émulée, le suit, invisible et immatériel au reste du monde. Cette situation lui donne une impression étrange, une forme d’impunité associé à l’impuissance.
L’intérieur de la tour est formidable : ce sont de véritables rues qui découpent l’espace intérieur et même les ascenseurs sont spacieux. Les voici au niveau trente-trois et Snack se dirige vers l’accès que lui a indiqué Milly. La nevian est en contact permanent avec eux et projette tout un tas d’informations sur leur espace virtuel. Snack envoie le code d’accès à la lourde porte qui s’ouvre silencieusement. Elle se referme derrière eux et une autre devant eux réitère le cycle. De l’autre côté, un puits prodigieux plongent sur plus de cent mètres en contrebas, et monte sur deux ou trois mètres au-dessus.
Snack verrouille les pattes geckos et commence à escalader la paroi, à l’abri d’une énorme canalisation. Ils dépassent le niveau trente-quatre qui appartient aussi à Elmetech Philorganics mais ne les intéresse pas. Et après avoir passé un surplomb, ils arrivent enfin au niveau trente-cinq. Le nevian escalade le mur et atteint une petite ouverture pour l’aération. Juste au-dessus, l’écoutille prête à se refermer en cas de problème de pression semble les défier d’y entrer. C’est pourtant ce que fait Snack qui se glisse dans l’étroit espace.
Rampant dans le conduit de mousse d’isolation, le nevian parvient à une grille de ventilation, deux mètres plus loin. Examinant l’obstacle avec précision, Milly lui indique : je ne vois pas d’alarme sur cette grille. Considérant l’information Snack pousse le cache jusqu’à le décrocher et alors qu’il tombe emporté par la lente accélération de la gravité de la lune, le nevian la rattrape et la pose sur la mousse, juste sous lui. L’élément sécurisé, il descend dans la salle et se dirige vers l’un rack.
Milly lui envoie les instructions et après avoir entré les commandes sur le clavier de l’unité maîtresse, il connecte la decker au système. Celle-ci commence les opérations de téléchargement et elle lui explique : « C’est incroyable ! Il y a les schématiques paramétrables de nos enveloppes : apparemment on a tous un pseudo-ADN qui code nos paramètres de personnalisation. J’imaginais l’ensemble plus complexe à vrai dire.
– On va pouvoir recréer une enveloppe pour Cara ? demande Snack.
– Et te réparer, complète Milly. Par contre, ces schématiques sont massives. Je pense que Zoy va passer du temps à les analyser.
– On a ce qu’il nous faut ? demande l’espion.
– Je regarde si je ne trouve pas d’autres choses là-dedans. On n’aura probablement pas d’autre occasion. », continue la decker.
À côté de lui, l’image de Cara semble un peu inquiète. Ils prennent des risques importants. Mais en même temps, cet endroit est un peu sacré pour eux : c’est le sanctuaire où chacun d’entre eux a été fabriqué et ces colonnes de serveurs contiennent toutes les données les concernant.
Presque une minute plus tard, Milly annonce « J’ai tout ce qu’on voulait ! ». Elle donne les instructions pour effacer toute trace de leur passage et Snack les exécute parfaitement. Ceci terminé, Snack referme le clavier pliable et s’apprête à repartir quand il perçoit un son anormal dans la pièce : quelqu’un s’approche en essayant de faire le moins de bruit possible et il est presque arrivé à passer sous le niveau du doux ronronnement du matériel informatique.
Soudain, un androïde surgit sur le côté mais Snack qui s’était préparé bondit et désarme l’assaillant qui tente de le saisir. Snack se cramponne avec ses pieds mais l’androïde le soulève arrachant au passage le morceau de sol où le nevian se tenait. En réponse il lui envoie la dalle en pleine tête avant de s ‘arracher à la prise de l’inconnu. En quelques bonds sur les murs et unités centrales, il parvient à l’entrée la bouche de ventilation.
Mais l’androïde vient de l’attraper et le nevian s’exclame sur le réseau : « Mince, j’ai encore oublié cette queue ! ». En réponse, il attrape la plaque de ventilation et s’en sert comme d’une arme, assénant un puissant coup avec. Prenant appuis sur le torse de son adversaire déstabilisé, il plonge dans l’ouverture et quelques instants plus tard, ressort de l’autre côté avec tant d’inertie qu’il manque de se projeter dans le vide. Se rattrapant d’une main, il se balance contre l’énorme canalisation qui descend et s’y accroche, prenant soin de ne pas s’exposer vis-à-vis de l’ouverture qu’il vient de franchir : l’inconnu avait une arme shock et Snack n’a pas vraiment envie de se faire zapper.
Avançant rapidement la tête vers le bas, Snack s’empresse de rejoindre son point de sortie. Se jetant dedans, il commande la fermeture de la porte derrière lui. Alors que le sas effectue son cycle, il tente de joindre Milly, mais sa connexion réseau a été coupée. Que s’est-il passé ? Qui étaient ce type qui l’a attaqué ? La sécurité d’Elmetech Philorganics ? Alors que Snack redonne le contrôle de l’enveloppe à Cara, la seconde porte du point d’accès s’ouvre.
De l’autre côté, trois nevians qu’il ne connaît pas se tiennent devant lui, armés. L’un d’eux le tient en joue avec un fusil shock et lui ordonne : « Il va être temps de s’expliquer ! ».
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