26 – Orah : Gestion de risque

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La discontinuité du téléversement est passé et les deux agents viennent de réintégrer leurs enveloppes civiles de Lunae. Steeve semble particulièrement désorienté et demande : « Que vient-il de se passer ? Je me suis fait tuer ?

– Un decker, ou un groupe de decker je pense, ont abattu mon fil d’Ariane et ont manqué de nous désactiver. On avait les données, je nous ai renvoyés sur Mars, explique Orah.

– Et le nevian ? demande Steeve.

– Enfui. Il était déjà ressorti quand je t’ai récupéré.

– Merde, exprime l’émissaire de frustration. Il y a aussi des nevians en roue libre là-bas ?

– On dirait bien. Et ils ont aussi l’air de savoir se battre, confirme-t-elle.

– Tu as les données du combat ? demande-t-il.

– Oui, tiens. », lui envoie Orah.

À peine Steeve a reçu les enregistrements qu’il les passe et repasse en boucle, analysant chaque mouvement de son adversaire. Au fil de son analyse, il paraît de plus en plus suspicieux et concerné. Presque dix minutes plus tard, il décrit ses découvertes : « La façon dont ce nevian s’est battu est très similaire à la façon de procéder de Snack. Regarde comment il m’a désarmé.

– Je n’ai pas encore eu le temps d’analyser leur logiciel, modère Orah. Les nevians ont peut-être un logiciel de combat intégré ?

– Ça n’explique pas ça, montre l’émissaire. Durant tout le combat, il est très légèrement déséquilibré par sa queue… Il n’y prend même pas garde au moment de s’enfuir. Tu connais beaucoup de nevian qui n’ont pas de queue ?

– Mince… réalise Orah.

– Qu’est-ce qu’il foutait là-bas ? s’énerve Steve.

– Je ne sais pas. Peut-être la même chose que nous ? suppose Orah.

– Il voulait récupérer les schématiques de son enveloppe ?

– C’est parce qu’il n’a plus toute son intégrité physique que tu l’as reconnu, fait remarquer la decker.

– C’était l’enveloppe de quel nevian alors ?

– Il a dû emprunter celle d’un nevian de Titan, suppose-t-elle. Mais je suis plus inquiète par ses alliés.

– Quels alliés ? s’inquiète Steeve à son tour.

– Quelqu’un a coupé mon fil d’Ariane, rappelle Orah. Je n’avais encore jamais vu une attaque de cette rapidité. C’est comme s’il n’y avait eu aucune glace sur ces nœuds.

– Je t’avoue que je n’ai aucune idée de l’ampleur de cet exploit.

– De toute ma carrière, je n’ai jamais vu ça, avoue la decker. Jamais…

– Mince, réalise Steeve. Il faut avertir le Cerveau.

– Ouais. Je lui envoie un rapport. », confirme Orah.

Le rapport en lui-même est court :un exposé des soupçons, les informations collectées sur les nevians et les événements récents avec un fort accent sur ce qu’elle a nommé la bataille de Titan. Le dossier envoyé à sa hiérarchie, elle refait un passage sur son réseau de surveillance quand elle remarque un enregistrement provenant de la zone de l’ancienne arène de Mathew.

Au visionnage, la decker hurle : « La chienne !

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Regarde ! », l’invite-t-elle.

Dans la salle, Émy et ses deux nevians débarquent, déclenchant le détecteur de proximité. Le nevian roux se dirige vers la station de contrôle de la section et s’y connecte. L’autre nevian semble en alerte.

La jeune femme se tourne vers l’un des senseurs laissés par les espions et leur adresse : « Je ne suis pas certaine de qui vous êtes vraiment. Mais ce dont je suis sûre, c’est que vous êtes nuisibles. Vous avez beaucoup de sang sur les mains et n’avez pas hésité à pirater l’identité d’un habitant pour asseoir votre contrôle. Vous me surveillez depuis que je suis à Lunae, vous avez placé des mouchards chez-moi, m’avez suivi et pourtant vous avez laissé mon assassin faire son œuvre… Vous n’êtes pas des alliés. Vous n’êtes pas mes amis. Et je vais mettre fin au mal que vous causez. »

Le message est clair. Sans faux espoir, Steeve demande : « Le virus est encore là ?

– Je viens de vérifier : son nevian a tout purgé et mis un patch sur la station de contrôle, confirme-t-elle. Si on tente d’installer quoi que ce soit avec le certificat de Jumper, il sera effacé. Il faudra aller sur place pour virer leur logiciel.

– Il faut avertir le Cerveau, prévient Steeve.

– Je préfère qu’on règle ce problème prioritairement, le contredit-elle.

– OK, accepte l’émissaire. Je prépare une enveloppe de combat.

– Attends… temporise Orah. Non ! Ils ont supprimé tous nos mouchards aussi !

– Même celui qui s’est retrouvé sous la cloison ? tente-t-il.

– Même celui-là… déplore la decker.

– Je vais me préparer et tant pis pour la sécurité. », l’informe Steeve alors qu’il se dirige vers leur accès de maintenance. Il va devoir déballer les enveloppes qu’il avait préparées au transport presque un jour plus tôt.

L’émissaire n’est pas quelqu’un de rancunier, mais les renseignements de Mars n’accepteront pas cet affront et voudront envoyer un message, tôt ou tard. C’est le protocole : vous jouez avec nous, nous jouons avec vous.

Orah reçoit le flux de perception de l’enveloppe de Steeve et affiche son champ visuel dans une fenêtre sur le côté. Immédiatement, elle construit son fil d’Ariane et déploie ses logiciels d’affrontement virtuel. Pendant que Steeve sort avec son enveloppe dans la section de l’escalier, Orah déclenche le brouillage SolNet.

L’émissaire débouche dans le couloir et abat froidement les deux robots des forces de sécurité de Mars posté à l’entrée de l’appartement. Utilisant trois charges creuses, il fait sauter les verrous de la porte et d’une pression de la main, la fait glisser dans son logement. De l’autre côté le nevian roux, surpris, tente un plongeon pour se mettre à l’abri, mais il est fauché en plein vol par le tir à dispersion de l’arme de Steeve.

Après avoir vérifié que la pièce principale était bien vide, l’émissaire s’approche du nevian affreusement blessé et décharge deux autres tirs dessus, transformant le corps de la peluche en une pulpe sanglante et noirâtre. Il se penche rapidement et extrait le noyau de sauvegarde des restes du nevian et le glisse dans une de ses poches.

Steeve entre ensuite dans la chambre et constate qu’elle est vide. Après avoir vérifié la salle des soins et un placard réaménagé pour servir de chambre aux nevians, les deux agents font l’amer constat : Émy et Snack ne sont pas là. L’émissaire quitte les lieux du crime pour gagner la section de maintenance dans les escaliers de service. Il demande à Orah : « Où sont-ils ?

– Je ne sais pas, désespère la decker. J’essaie d’accéder au réseau de surveillance public.

– Je me tiens prêt pour la chasse. », lui annonce froidement son collègue qui a rangé son arme dans un emplacement camouflé dans son plastron, sous sa veste et s’est essuyé les doigts tachés du sang du nevian à l’intérieur de la doublure.

Alors que son collègue sort de la tour, Orah force l’un des nœuds du réseau de surveillance. Cela va évidemment attirer l’attention de la sécurité, mais elle n’a besoin que de télécharger les archives des deux journées passées. L’opération prend plusieurs secondes et à peine a-t-elle confirmé la réception des fichiers qu’elle se déconnecte du nœud piraté et reconstruit entièrement son fil d’Ariane.

Utilisant plusieurs logiciels d’analyses, la decker retrouve rapidement l’heure de départ d’Émy et de ses nevians. Visiblement, ils sont partis au musée toute la journée, mais ses deux assistants se sont éclipsés pendant l’après midi du premier jour avant de revenir bien plus tard. Le dôme qu’ils ont visité n’est autre que celui où s’était retranché Mathew : Trizac. Le réseau de surveillance de la section de maintenance les a visiblement masqués, ce qui implique qu’un decker travaille avec eux.

Ils ont retrouvé Émy dans la soirée et après avoir un peu mangé, ils sont repartis dans les sections de maintenance du dôme Trizac avec elle pour ne réapparaître que plusieurs heures après. C’est dans cette période qu’ils ont détruit le virus informatique. Ils sont ensuite rentrés dormir.

Pas d’activité jusque le matin. Vers midi, les trois quittent l’appartement et se rendent dans l’un des restaurants préférés de l’ancienne terrienne. Ils sont rejoints par un cybernétique et semblent discuter en réalité augmentée. Le repas terminé, Zoy les quitte pour l’appartement tandis que les trois autres se rendent au spatioport, dans le bâtiment des téléchargements. Ils n’en sont pas ressortis depuis.

« Ils sont hors monde, annonce Orah.

– C’est donc bien Snack qu’on a croisé sur Titan, déduit Steeve.

– Tu veux prendre ta revanche ? lui propose la decker.

– Oh que oui.

– Leurs enveloppes sont encore au centre de téléchargement.

– Ça va être trop facile, jubile-t-il.

– Ils ont un cybernétique avec eux, l’avertit-elle. Probablement leur decker.

– Je me mets en route. », confirme l’émissaire d’une voix déterminée.

Durant le trajet, Orah vérifie les nouvelles. Le carnage de Steeve dans le dôme Trizac a été découvert par les forces de sécurité et plusieurs personnes relient ce carnage avec l’arrestation massive qui avait eu lieu auparavant lors de l’affaire de l’arène des Phobos’ Heights. Certaines rumeurs qui circulent voudraient que toutes les enveloppes aient été effacées, mais le rapport officiel parle surtout d’un règlement de compte qui aurait tourné au carnage. Le bilan fait état de vingt-et-un morts, dont dix-neuf ont été réinstanciés et mis aux arrêts le temps d’élucider les raisons du carnage. Les deux derniers étaient incarnés dans des enveloppes temporaires et se sont vraisemblablement effacés pour ne pas de faire prendre.

Il n’y a pas à dire : la hiérarchie a sacrément bien couvert leurs traces.

Il n’y a aucune trace de Bill : Snack a certainement dû le mettre à l’abri. Est-il encore fidèle à son premier propriétaire ? Ce serait ironique considère Orah : après ce qu’il a fait subir à son nevian, celui-ci est revenu le sauver. Ou alors… Serait-il possible que Snack n’ait jamais changé de camps et ait, en réalité, œuvré contre Émy ? L’idée est fascinante, effrayante et délicieusement sadique. Non, les déclarations de cette dernière montrent plutôt qu’il l’a fait changer de camps. Mais quel camp ? Avec qui sont ces nevians ?

Steeve a atteint le spatioport de Lunae. L’installation est toujours aussi gigantesque. La gigantesque artère centrale à laquelle les terminaux sont attachés est une gigantesque rue sur plusieurs niveaux. Depuis la gare, il faut en traverser l’intégralité pour atteindre le petit dôme qui contient le bâtiment du centre de téléchargement. Au-delà de l’enceinte transparente, de gigantesques antennes paraboliques pointent dans différentes directions, chacune visant un astre ou une station.

Guidé par sa decker, il approche du bâtiment où dorment actuellement les enveloppes et entre dans l’antichambre où un synthétique vient l’accueillir : « Bonjour, que puis-je pour vous ?

– J’ai des amis qui ne devraient pas tarder à revenir, j’aimerais les attendre.

– Pouvez-vous m’indiquer de qui il s’agit ?

– Bien sûr, Émergence et Snack, son nevian.

– Suivez-moi. », l’invite le cybernétique qui le conduit dans une petite salle d’attente.

Alors qu’il s’installe sur l’un des sièges, Orah lance le processus d’étude de la glace qui protège le circuit de la sécurité. Dans une petite heure, elle devrait avoir une prise dessus, sans se faire remarquer. Mais alors que son super logiciel travaille, le cybernétique revient lui annoncer : « Vos amis sont en cours de réintégration. »

« Merde. », s’exclame Orah qui lance son attaque informatique prématurément.

Gardant son calme, Steeve lui indique simplement : « Eh bien. Ça va être sale. »

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