Semaine 2: Son rêve
Je plongeai ma cuillère dans une crème blanchâtre qui constituait mon dessert. Je l'apportai prudemment jusqu'à ma bouche, regardai mes amis et fis semblant de vomir. J'avalai tant bien que mal la cuillerée et déclarai :
-Si j'avais su, j'aurais pris l'autre.
-Tu pourrais, si tu savais remonter le temps, ironisa Thomas, mon meilleur ami.
-Oui je ferais comme ça.
Je mis deux doigts sur mes tempes, fermai les yeux et me concentrai. Je rouvris mes paupières pour entendre Thomas répéter
-Tu pourrais si tu savais remonter le temps.
-Tu l'as déjà dit.
-Non, c'est la première fois. Tu perds la boule mec.
-Ouais c'est ça, je sais que tu me fais marcher.
-Quoi ?! Mais pourquoi je te ferais marcher ?
-Tu me fais croire que j'ai remonté le temps.
-Mais non, qu'est-ce que tu racontes ?
-Allez c'est bon, arrête.
J'allais vider mon plateau désespéré qu'il puisse à ce point me prendre pour un imbécile, et sorti du self. Thomas me rejoignit en courant.
-Je te jure, je te fais pas de blague, il marqua une pause et reprit. Tu n'as qu'à réessayer en regardant l'heure avant et après.
-Tu veux juste me faire passer pour un débile, répondis-je en soufflant.
Le doute commençait à s'insinuer en moi mais il était hors de question que je me ridiculise.
-Et si je le fais avec toi ?
J'étais impressionné de voir à quel point il tenait à ce que je le refasse. Alors j'ai accepté : 13h21. Je plaquai mes doigts de nouveau sur mes tempes et me concentrai quelques secondes avant de rouvrir les yeux.
-Et si je le fais avec toi.
C'était bien Thomas qui parlait, tel un automatisme, mes yeux se posèrent aussitôt sur le cadran de ma montre l'heure : 13h20. Soit Thomas préparait très bien ses blagues, soit je remontais vraiment le temps. Le connaissant, je penchais plus vers la deuxième option.
-Th... Thomas… je remonte le temps.
-Waw ! C'est génial. Tu sais ce que tu vas faire avec ça ?
-Oui, affirmai-je, pensif.
-Tricher pour les contrôles.
-Non, même si c'est une bonne idée. Je veux réaliser le rêve de mon grand-père.
-Euh... avant de faire ça, tu es sûr que tu peux revenir dans le présent ?
Il n'avait pas tort, je n'avais aucune envie de rester bloqué en 1947. Je revins quelques minutes dans le passé puis entrepris de revenir dans le présent. Je pensai tout simplement à l'heure à laquelle je voulais revenir et cela fonctionna.
Après les cours, je me rendis chez mon grand-père (je ne pensais pas pouvoir me déplacer tout en remontant le temps). Une fois devant sa porte, je me concentrai, les doigts sur les tempes, pour revenir 70 ans en arrière.
Je ne maîtrisais pas très bien ce don donc je dus m'y reprendre à trois fois avant d'arriver à la bonne date.
Il devait être environ 17 heures, heure à laquelle j'avais entrepris mon voyage. Je reconnus la maison de mon grand-père avec ses colombages et son toit de tuiles rouges.
A en juger par les rues, il était quasiment impossible d'imaginer que quelques années plus tôt, la guerre était passée par là. Aucune maison ne semblait avoir reçu le moindre choc, pourtant, mon grand-père m'avait toujours affirmé que les bombardements alliés avaient fait des dégâts.
Soudain, je fus extirpé de mes pensées par une voix dans mon dos .
-Oui maman, ne t'inquiète pas, je serais rentré pour le dîner.
C'était mon grand-père, Alain Denis, qui sortait de la maison la jambe plâtrée. Il était tombé et s'était cassé le genou, ce qui l'avait empêché de participer au championnat régional de tennis.
C'était pour cela que j'étais venu. Comme je ne connaissais pas la date exacte de sa chute, je lui demandai dès qu'il posa un pied hors de son jardin :
-Quand t'es-tu fait ça ?
-Il y a deux jours. Mais qui es-tu ?
Évidemment, il ne me connaissait pas, je n'étais pas encore né.
-Oh.. euh je suis nouveau, je visitais le quartier.
-D'accord, bienvenue alors.
Il me serra la main puis continua son chemin.
Je remontai ensuite deux jours plus tôt pour empêcher la chute.
Sur la chaussée deux amis de mon grand-père l’attendaient, l'air innocent. Mais je remarquai bien vite qu'ils avaient tous les deux un élastique accroché à la cheville. Ils tendaient un piège à leur ami.
Quand le jeune garçon arriva, je criai :
-Attention, un élastique !
Il eût à peine le temps de l'esquiver que les deux autres garçons râlèrent en se dirigeant vers moi.
Ils n'eurent le temps de ne rien faire que je me concentrais déjà pour repartir.
Retour en 2017, je failli m'évanouir quand je vis que la vieille maison que j'avais laissée il y a à peine 3 secondes s'était transformée en une immense villa qui s'étendait sur une ancienne forêt.
Un mauvais pressentiment me poussa à regarder mes pieds. Ils avaient disparu !
J'avais une idée de ce qu'il m'arrivait mais il fallait que j'en aie le cœur net. Affolé, je pris la direction de 1962 : l'année de naissance de mon père.
Ouf ! Rien n'avait changé, la maison était toujours là. Je m'apprêtais à repartir quand une idée me traversa l'esprit : c’était encore mes arrières-grands-parents qui vivaient là. Mon grand-père père n’avait pas encore hérité.
Je courus le plus vite possible vers le kiosque à journaux le plus proche.
Sur la une du premier journal que je vis, il était titré : Jean Denis le célèbre tennisman français met brutalement fin à sa carrière.
Deux photos en noir et blanc accompagnaient ce titre : une de lui entrain de jouer et l'autre où il posait avec sa famille. Mais sur la photo, ce n'était ni mon père, ni ma grand-mère.
Mon corps disparaissait à une vitesse hallucinante. Je n'avais déjà plus de jambe.
Je devais réparer ça. Je devais empêcher mon grand-père de devenir un grand joueur de tennis. Je devais briser son rêve. JE devais remonter le temps une dernière fois.
Mais en aurais-je le temps ?...
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