Dans la bibliothèque
Aujourd'hui, le professeur de mathématiques nous rend les copies corrigées du dernier contrôle. Il déambule entre les rangs pour déposer sur la table de chaque élève la feuille qui lui est destinée. Je vois au mouvement de ses lèvres qu'il leur donne leurs notes à voix haute et commente leur travail. Lorsque mon tour arrive, il ne dit rien car il sait que je ne peux pas l'entendre alors il se contente de hocher la tête en souriant. En posant les yeux sur ma feuille, je réalise que j'ai obtenu une note complète. Je souris, satisfaite de mon résultat.
Je me reconcentre ensuite sur l'enseignant qui continue de distribuer aux autres élèves leurs copies. En passant devant Alex, il lui rend sa feuille en fronçant les sourcils et lui dit quelque chose avec un regard désapprobateur. J'en déduis que le garçon n'a pas eu un bon résultat . . .
À la fin des deux heures de cours, je me dirige vers la table d'Alex et jette un oeil à sa feuille pour constater qu'il a obtenu un trois sur vingt ! Je n'ai jamais vu un si mauvais résultat de toute ma vie ! J'esquisse une gimace et mon camarade le remarque car il fonce les sourcils et range précipitamment la feuille dans son sac. Je sors alors mon cahier pour y écrire :
"Tu n'as pas compris la leçon sur laquelle portait l'examen ou tu n'as pas eu le temps de réviser ?"
Ma question semble le vexer car il lève vers moi un regard quelque peu agacé avant de répondre :
"Les deux. Je ne comprends rien aux fichues explications du prof et je n'ai aucune motivation pour réviser vu que je n'aime pas du tout les maths !"
"Je suis sûre que ce serait plus agréable pour toi si tu comprenais le cours et qu'en plus tu aurais d'excellents résultats ! Je te propose de t'aider à réviser les prochains examens vu que je me débrouille bien dans cette matière."
"Ce n'est pas la peine. Je t'ai déjà dit que je me fiche complètement des cours !"
"Je comprends que tu trouves cela ennuyeux, mais tu dois quand même l'étudier si tu veux réussir tes études. Sans cela tu feras un travail désagréable et qui te déplairas sans doute et ta vie sera très compliquée . . ."
"Qu'est-ce que tu en sais, toi ? Tu n'as jamais eu de problèmes d'ordre financier, je parie ! En fait, c'est clairement évident à ta façon de t'habiller et de te comporter que tu n'as jamais connu la misère ! Alors pourquoi est-ce que tu te permets de me donner des leçons ? !"
"Tu as raison, je n'ai jamais connu la misère, mais mon père, de son côté, connait depuis un petit moment des difficultés financières. Il a perdu son travail il y a de cela plusieurs semaines et se démène jour et nuit pour continuer à m'offrir la vie la plus confortable possible et je ne veux pas que tu connaisses cela à ton tour. Alors, s'il te plait, laisse-moi t'aider. Cela ne te coûtera rien, pas vrai ?"
Après de longues secondes de réfléxion, il écrit :
"Soit, j'accepte d'essayer, mais on arrêtera tout si ça ne me convient pas, d'accord ?"
"C'est entendu. Je te propose donc de venir chez moi à la fin des cours pour réviser la leçon sur laquelle portait cette évaluation."
"Non, désolé. La dernière fois, je suis passé chez toi parce que c'était juste le temps de déposer les cahiers mais là on va sûrement y rester plusieurs heures et je ne veux pas prendre le risque de croiser ton père pendant cette période."
"Ne t'en fais pas, mon père ne rentre que très tard dans la nuit alors tu ne risques pas de le croiser. Et puis, c'est un homme très gentil qui sera ravi de te rencontrer alors tu n'as rien à craindre de lui."
"Oui, mais moi je ne serai pas ravi de le rencontrer. Désolé, je n'ai rien contre ton père, je ne le connais même pas, mais je ne veux vraiment pas le rencontrer alors trouve un autre endroit pour y réviser."
Après quelques secondes de réflexion, je lui propose :
"Que dis-tu de la bibliothèque municipale ?"
"D'accord."
Et c'est ainsi que nous nous rendons ensemble à la bibliothèque à la fin de la journée. Une fois arrivés là-bas, nous nous intallons à une table dans un coin et je sors mon cahier de mathématiques pour lui expliquer le cours. Je lui montre les formules qu'il doit retenir par coeur et rédige sur une feuille la façon de procéder pour la résolution de différents problèmes. Je suis fière de constater qu'il se concentre et met par écrit ses questions lorsqu'il ne comprend pas certains points. Lorsque je termine de tout expliquer et qu'il m'affirme avoir tout compris, je lui invente un problème à résoudre pour mettre en pratique ce que nous venons de revoir et s'assurer qu'il a bien tout cerné. Il m'écrit alors :
"C'est bon, je t'ai dit que j'ai compris, je n'ai pas besoin de faire ton exercice."
"Cela te permettra de vérifier s'il y a des points que tu dois revoir ou approfondir, c'est important."
"Tu veux bien arrêter de me sortir le même discours que les profs ? C'est vraiment lourd !"
"Je n'y peux rien s'ils ont raison."
"Si tu me ressors encore une phrase comme celle-là, ce sera la première et la dernière fois que tu m'aides à réviser."
"Bon, d'accord. Je pense qu'on devrait prendre une pause, tu dois être fatigué d'étudier depuis ce matin. Et si on lisait un livre ensemble ? C'est un bon moyen de se détendre."
"Parle pour toi. Moi, je préfère dessiner."
Après avoir écrit cette phrase, il fouille dans son sac pour en sortir un cahier et un crayon à papier. Je le laisse noircir la page pour faire le tour des étagères, à la recherche d'un livre qui pourrait m'intéresser. Au bout de quelques minutes, j'en trouve un qui n'est autre qu'une fiction historique et retourne donc vers notre table. En passant derrière Alex, je me penche par-dessus son épaule pour découvrir son dessin et constate alors que ce dernier représente un adolescent qui se promène en tenant par la main une jeune fille. Les deux sourient en se regardant droit dans les yeux. Ils semblent très heureux ensemble ! Mais ce qui me frappe le plus, c'est qu'ils nous ressemblent beaucoup à Alex et moi. Je retourne m'asseoir à ma place et m'empare de mon cahier pour y formuler ma question :
"C'est nous ?"
Je tapote ensuite le bras d'Alex pour attirer son attention, avant de lui montrer ce que je viens d'écrire. Face à son air interrogateur, je pointe du doigt les deux personnages de son dessin. Il referme alors immédiatement son cahier et se dépêche de ranger ses affaires. Je remarque que ses sourcils sont froncés, mais qu'il rougit comme s'il était gêné.
Il ne me laisse même pas le temps de lui demander ce qui lui arrive : le voilà qui s'éloigne déjà en direction de la sortie de la bibliothèque, me laissant perplexe . . .
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