Soutien amical
Dès que le souffle me revient, je me lève et me précipite vers le groupe d'hommes qui se dirigent vers une voiture. Au moment où l'un d'eux ouvre la porte arrière, je me laisse glisser sur le sol pour tâcler celui qui détient Lisa. Il perd l'équilibre et tombe au sol. Je me relève aussitôt et cours en direction de la jeune fille qui gît sur le trottoir, mais une détonation se fait entendre et je sens la balle du revolver se loger dans mon bras. Je pousse un cri et porte une main à ma blessure qui commence déjà à saigner. Il me faut une seconde pour me ressaisir, mais c'est une seconde de trop : l'un des types m'attrape et essaye de me matriser pendant que je me débats de toutes mes forces.
Le grand brun finit de recharger son arme et la pointe sur moi, prêt à tirer une nouvelle fois. Mes yeux s'écarquillent d'horreur car je réalise que je ne parviendrai pas à me défaire de l'emprise de mon agresseur à temps. C'est alors que ce dernier me lâche en poussant un cri terrible. En tournant la tête vers lui pour essayer de comprendre ce qui se passe, je constate que sa main recouvre son oeil droit, duquel coule du sang !
Lisa attrape ma main et m'entraine derrière elle. Nous courons aussi vite que possible pour nous éloigner de ces hommes dangereux. Durant notre cavale, je remarque qu'elle tient dans son autre main ses clés. Ces dernières sont tâchées de sang . . .
J'entends les cris de nos agresseurs qui nous lancent une pluie d'insultes et de menaces. Ils nous poursuivent et semblent résolus à en finir une bonne fois pour toutes avec nous.
Sans lâcher la main de la jeune fille, je la devance pour la guider dans notre fuite. Je sais où nous pourrons nous réfugier, mais il faut d'abord semer ces sales types.
En regardant à notre droite, je remarque un camion de poubelle qui est sur le point de démarrer. Je me précipite dans cette direction, entrainant Lisa derrière moi et parviens à m'aggriper à la barre métallique juste après que l'éboueur soit monté sur la plateforme voisine. Ce dernier me regarde faire avec étonnement, ne comprenant pas ce qui se passe, mais je n'y prête aucune attention. Je me dépêche de hisser Lisa sur la petite plateforme et le camion démarre au même moment, nous éloignant de la bande qui nous menace.
Je pousse un long soupir de soulagement, pendant que l'employé nous adresse ces mots :
- Qu'est-ce que vous faites, les enfants ? Ce n'est pas un moyen de transport public, ce camion, vous n'avez pas le droit d'être là !
- On sait, on ne fait que passer, on va bientôt descendre.
C'est alors que son regard se pose sur mon bras, qui saigne encore. Il s'enquiert, inquiet :
- Ça va, gamin ? Qu'est-ce qui t'es arrivé ?
- Ce n'est rien.
Quelques minutes plus tard, le camion s'arrête pour ramasser d'autres poubelles et on en profite pour descendre. Je regarde partout autour de nous pour m'assurer qu'ils ne nous ont pas rattrapés, mais ce n'est pas le cas, ce qui n'est pas étonnant. Le camion est loin d'être le plus rapide des véhicules mais il avance plus vite que des êtres humains.
Je pousse cependant Lisa à courir avec moi pour être sûr de bien les distancer. Nous nous dirigeons vers l'ancienne zone industrielle. L'endroit ne semble pas la rassurer, ce qui n'est pas surprenant avec tous ces bâtiments en ruine et l'obscurité des lieux, mais il me suffit de resserrer la pression de ma main sur la sienne pour que son visage se détende et qu'elle retrouve le sourire. Nous montons l'escalier métallique de l'usine abandonnée et nous rendons sous les combles. Je lui fais alors signe que tout va bien et que nous sommes en sécurité ici.
Elle se laisse aussitôt tomber sur le plancher et éclate en sanglots, lâchant au passage ses clés qui aterrissent sur le sol en bois avec un bruit de tintement métallique. Je m'agenouille près d'elle pour m'assurer qu'elle n'est pas blessée, mais ne trouve pas la moindre égraniture. Je constate ensuite qu'elle tient sa main tâchée de sang. Son corps est parcouru de tremblements incontrôlables. Comprenant ce qui lui arrive, je fouille dans mon sac pour en sortir un cahier, sur lequel j'écris :
"Ce n'est pas la peine de te mettre dans cet état. Tu n'as pas à être triste ou désolée pour cette ordure. Tu lui as crevé l'oeil, c'est vrai, mais si tu ne l'avais pas fait, je serais mort. Entre une blessure et un meurtre, il me semble que la première option est la moins grave des deux, tu ne crois pas ? C'est un mal pour un bien. Dis toi que tu viens de sauver une vie et je t'en remercie."
Je tapote ensuite son épaule pour attirer son attention et lui montrer ce que je viens de rédiger. Après l'avoir lu, elle me gratifie d'un sourire, comme pour me remercier de ces paroles réconfortantes.
C'est la première fois qu'elle commet un acte de violence et ça la met dans tous ses états. Pour ma part, je ne me souviens pas d'avoir été traumatisé en blessant quelqu'un pour la première fois, mais j'imagine que chaque individu le vit différemment. C'est sûrement aussi le fait qu'on est issus de deux mondes très différents tous les deux. Elle ne me l'a jamais dit, mais je devine aux vêtements luxueux qu'elle porte encore et à ses manières qu'elle doit venir d'une famille fortunée qui a fait faillite. Sinon, je ne vois pas pourquoi elle n'a intégré notre lycée que récemment.
La jeune fille sèche ses larmes et tente de calmer ses sanglots tant bien que mal. Dans un geste de soutien et de réconfort, je pose ma main sur son dos pour le caresser doucement.
Lorsqu'elle retrouve enfin son calme au bout de quelques minutes, je brise le contact physique. Son attention se reporte sur l'endroit où nous sommes. Elle l'observe pendant quelques secondes, avant de prendre mon cahier encore ouvert pour me demander :
"Où est-ce qu'on est ?"
"Disons qu'on est chez moi. Ce sont les combles d'une ancienne usine abanonnée. Il y a une bande de jeunes qui squattent les étages inférieurs alors il faut rester discrets, d'accord ?"
"Tu vis ici ? Et ta famille ?"
"J'ai quitté la maison de mon père. On ne s'entend pas du tout et c'est devenu impossible de vivre ensemble."
"Tu ne devrais pas le fuir. Je pense que vous devriez discuter calmement de vos différends ensemble et essayer de faire la paix. Je suis sûre que vous trouverez un terrain d'entente."
"Tu ne connais pas mon père. Ce n'est qu'un vieil ivrogne violent et égoïste !"
" Ne dis pas ça . . ."
"Si, c'est la vérité ! C'est pour ça que ma mère a quitté le domicile familial. Elle ne supportait plus le comportement de mon père, alors elle est partie, m'abandonnant derrière elle. Depuis ce jour, mon vieux est devenu encore plus violent à mon égard puiqu'il n'a plus que moi à battre."
"Il a toujours été comme ça ?"
"C'est comme ça que je l'ai toujours connu en tout cas, mais ça empire avec les années."
"Et comment est-ce que tu fais pour survivre seul ? Tu travailles après l'école ?"
"Non, ce n'est pas évident de trouver du boulot, le marché est déjà plein, mais disons que j'ai mes techniques pour me débrouiller."
"Et la drogue en est une ?"
Je me fige. Elle a compris ce qui se trouvait dans ce sachet. Je lui écris :
"Je ne suis pas consommateur, je sais que ces substances sont mauvaises et peuvent détruire ta santé, ta tête et même toute ta vie, mais ça rapporte beaucoup et si ça me permet de survivre, je suis prêt à en faire le trafic. Retiens bien ça : il ne faut reculer devant rien si tu veux survivre. Ce monde est cruel et sans pitié. Il met tout le monde à l'épreuve et seuls ceux qui sont prêts à tous les sacrifices pourront s'en sortir."
Elle hoche la tête pour me faire savoir qu'elle a bien compris, puis elle écrit :
"C'est vrai, mais vendre de la drogue n'est pas ta seule option. Tu as un moyen bien plus légal pour t'en sortir."
"Ah, oui ? Et lequel ?"
"Le soutien d'une amie."
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