Paupiette, la petite souris magique

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J’atterris devant un grand portail blanc gardé par deux souris.

— Bonjour Messieurs, je m’appelle Paupiette !

Les deux gardes hochent la tête. Le grand portail s’ouvre en grinçant.

Je suis impressionnée ! En même temps, c’est normal. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut se rendre au Paradis des Souris !

J’avance courageusement en me triturant les pattes avant. Je suis émerveillée face à la grande plaine qui me fait face et l’herbe qui entoure un petit chemin de dalles. Je me sens bien ! Tellement bien !

Au bout de l’allée, j’atteins la porte d’une maison, elle aussi, toute blanche. J’hésite à l’ouvrir. Je me mords la babine inférieure. Je ne sais pas où je vais atterrir ensuite !

Tout d’un coup, une voix lente et grave me fait sursauter :

— Bonjour Paupiette, si vous ouvrez cette porte, vous vivrez une belle et heureuse vie au Royaume des Souris.

Je me mets à quatre pattes et je tourne plusieurs fois sur moi-même, comme le ferait n’importe quel chien. Sauf que je suis une souris, moi !

En tout cas, il m’est impossible de savoir d’où vient la voix grave. Je commence à avoir peur. Et si je n’étais pas au Paradis des Souris ? J’aimerais que Thomas soit là pour me rassurer. Il doit être si triste ! Je n’ai même pas pu lui dire au revoir !

— Au vu de ton cœur noble, ajoute la voix grave, je te propose de rejoindre les rangs des petites souris magiques. Celles qui échangent les dents de lait des enfants contre des pièces de monnaie. Acceptes-tu ?

C’est incroyable ! J’ai toujours rêvé de devenir une petite souris magique ! Je suis tout excitée. Je sautille sur place, ravie, et je m’exclame :

— Oh, oui ! J’adorerais devenir une petite souris magique !

— Alors, bienvenue parmi nous, Paupiette ! me confirme la voix grave.

Un tourbillon de vent s’enroule autour de mes pattes. Il me soulève dans les airs. Mes pieds ne touchent plus le sol ! Où suis-je ? À force de tourner, je commence à être perdue !

Soudain, des milliers de petites souris apparaissent tout autour de moi. Il y en aurait trop pour pouvoir les compter !

Je rougis. Je n’aime pas être le centre d’attention.

Une souris avec une barbichette et une canne s’approche. Elle se présente d’une voix imposante :

— Bonjour. Je suis le chef des petites souris.

J’ouvre grand mes yeux comme des soucoupes.

— Vous êtes la voix grave qui parlait tout à l’heure ?

— Exactement, confirme la vieille souris. Je m’appelle Ratatouille. Encore bienvenue !

Les autres souris s’écartent de l’allée pour me laisser respirer. Elles s’attroupent dans l’herbe.

Au-dessus de ma tête, à travers les nuages, des centaines d’escaliers, auparavant invisibles, se métamorphosent. Ils mènent à des portails magiques reliés avec des tubes infinis qui étaient, eux aussi, invisibles.

Ratatouille m’explique que je peux débuter dès à présent mon nouveau travail. Par contre, il y a plusieurs règles primordiales à respecter. Voyons voir si j’ai bien tout retenu !

Grâce à mes nouvelles fonctions de petite souris magique, je suis capable de communiquer avec tous les êtres vivants, y compris les enfants. De manière générale, je n’ai pas le droit de parler aux humains, car je redeviendrais alors une souris ordinaire sans pouvoirs magiques ! Si jamais nous bravons cette règle, l’enfant pourra voir lui aussi le monde invisible dans les nuages des petites souris magiques.

Mon sourire s’efface de mon visage. Je ne suis plus très heureuse maintenant, car toutes ces règles m’empêchent de dire au revoir à mon petit maître, Thomas. Il doit être si malheureux !

J’ai le cœur qui se serre très fort. J’ai un peu mal.

Les souris agglutinées sur l’herbe se remettent au travail sans plus attendre. Elles empruntent les centaines d’escaliers qui mènent aux nuages. J’attrape une casquette de travail et grimpe dans l’un d’eux. Je suis rapidement épuisée. J’ai très chaud. Plus je marche, plus j’ai mal aux pattes ! Je ne faisais certainement pas assez de sport dans ma cage, dans la chambre de Thomas.

Après plusieurs minutes d’efforts, j’atteins un grand nuage, toute transpirante. J’hésite un instant, puis je finis par progresser d’un pas sur la texture tendre et moelleuse. Elle ressemble à du coton ! J’avance jusqu’à arriver devant le portail magique qui m’indiquera ma première mission. En le franchissant, je serai immédiatement conduite près de l’oreiller d’un enfant grâce aux tubes infinis.

Je m’appuie sur le cadre du portail magique. Je suis à la fois heureuse d’être devenue une petite souris, mais je suis aussi très triste de ne pas avoir pu faire un dernier câlin à Thomas.

Je sens mes yeux devenir humides. Une boule me serre la gorge. Des larmes commencent à couler. Je ne parviens pas à les contenir. Elles me font souffrir. L’une d’entre elles s’écrase à mes pieds. Soudain, la larme est aspirée par le portail magique ! Une spirale se forme à l’intérieur et elle tournoie dans le vide jusqu’à ce que l’image d’un autre oreiller se métamorphose. C’est le lit d’un autre enfant. Je le reconnais immédiatement. Il s’agit de la chambre de Thomas ! J’aperçois ma cage vide dans un coin de la pièce et le pansement de mon petit maître sur sa joue. Il y a quelques jours, il est tombé de vélo et j’ai réussi à le consoler à ma manière.

À chaque fois que Thomas me prenait dans ses bras, je lui faisais un câlin au niveau du cœur. Je le sentais ralentir jusqu’à ce qu’il aille mieux.

Je sautille sur place, tout excitée. Je suis très contente de pouvoir revoir Thomas, même si j’ignore pourquoi le portail m’a accordé cette faveur. Peu importe, je saute à l’intérieur. Je suis directement envoyée vers l’un des tubes infinis. Je rigole durant tout le trajet. J’ai l’impression que plein de mains me font des chatouilles et j’adore ça !

Les sensations se dispersent lorsque je fais irruption dans la chambre de Thomas. Je suis debout, à côté de son oreiller sur lequel repose sa tête. Il dort paisiblement, emmitouflé dans ses draps. Ils sentent le propre. Sa maman a dû les laver il y a peu de temps !

Sous le coussin de Thomas, je remarque une petite boîte jaune avec une dent de lait à l’intérieur. Il a dû la perdre aujourd’hui !

Je claque des doigts. La dent de lait rétrécit jusqu’à faire la taille de ma main. Je l’échange avec une minuscule pièce de monnaie qui grossit sans bruit dans la boîte.

Je fixe du regard le tube par lequel je suis arrivée, et par lequel je devrai repartir. Puis, j’admire le visage endormi de Thomas. J’aimerais tellement lui parler une dernière fois, au moins pour lui dire au revoir.

Je me mords l’intérieur de la joue et je me gratte la tête. Je fais un pas sur son matelas moelleux.

Je ne devrais pas faire ça. Je n’en ai pas le droit et j’ai conscience des conséquences. Une minuscule larme s’échappe de mon œil. Elle s’écrase contre le dessus de lit.

Je chuchote en claquant des doigts :

— Thomas. Thomas, c’est moi.

Il se réveille tout doucement et allume sa lampe de chevet. Il écarquille les yeux sans bouger quand il m’aperçoit. Thomas cligne plusieurs fois des paupières. Je le rassure immédiatement :

— C’est Paupiette, Thomas. C’est juste moi, ne t’inquiète pas.

Sa bouche s’ouvre toute seule. Il ne sait pas quoi dire. Au bout de plusieurs secondes, il s’exclame enfin :

— Paupiette ? Mais tu parles !

Je mets mes mains sur mes hanches et lui annonce fièrement :

— Oui, je suis maintenant une petite souris magique !

Thomas me sourit. Son pansement suit les plis de ses joues.

— Oh, trop bien Paupiette ! C’est pour ça que je ne te voyais plus ? Tu étais partie en mission ?

Je lève les yeux en direction du plafond et j’ajoute :

— Oui et je suis devenue invisible, tout comme le monde dans lequel j’habite désormais. Tu peux me voir parce que je t’ai parlé. Regarde le ciel, tu es capable d’apercevoir nos portails magiques, nos tubes et toutes les petites souris magiques dans le monde au-dessus des nuages !

Je refuse de parler à Thomas de ce que je vais devenir après cette discussion. Je ne veux pas lui faire de la peine encore une fois.

Thomas s’émerveille face à son plafond, devenu transparent, qui laisse voir toutes les souris s’activer sur les escaliers. Il reporte son attention sur moi et il ouvre grand ses yeux :

— Du coup, tu as pris ma dent de lait ? Je l’ai perdue aujourd’hui en faisant du vélo. Je suis tombé sur le nez ! J’ai encore du mal sans les roulettes, mais papa dit que je vais bientôt y arriver.

La main de Thomas s’insère sous son oreiller pour récupérer sa boîte jaune. Je lui donne une tape sur le bras :

— Oui, je l’ai échangée avec une pièce de monnaie, mais tu regarderas demain matin, d’accord ?

Thomas soupire, puis retire finalement sa main. Je tire sur sa manche de pyjama.

— Je n’ai pas beaucoup de temps, dis-je. Je n’ai pas le droit de parler avec un être humain normalement. Il me l’est formellement interdit. Je voulais simplement te dire au revoir.

Le sourire de Thomas s’efface. Mon cœur s’accélère. Une boule se forme dans ma gorge. Je ne me sens plus très bien.

— Mais, pourquoi ? On ne pourra plus se revoir ?

Je secoue la tête.

— Je suis partie dans un autre monde, Thomas. Nous ne pourrons plus nous parler.

Ses yeux s’embuent de larmes.

— Mais je t’aime, Paupiette ! Je ne veux pas te perdre encore une fois ! Reste, s’il te plaît.

Les sanglots de Thomas m’atteignent en plein cœur. Je n’aurais peut-être pas dû lui parler. Ça aurait été un regret pour moi, mais nous ne faisons pas toujours ce que nous aimerions dans la vie après tout.

Thomas me serre dans ses bras. Son cœur bat vite. Je colle mon oreille contre lui. Je ne le sens pas pour autant ralentir.

— Je peux parler à ton chef si tu veux. Comme ça, tu pourras descendre me voir de temps en temps ! Tu me manques, Paupiette.

Les larmes de Thomas coulent jusqu’à mon pelage blanc. Je ferme mes paupières et je profite de sa chaleur. Je lui réponds, peinée :

— Ce ne sera pas possible, je suis désolée.

Je retiens mes sanglots pour ne pas aggraver ceux de Thomas. Je ne parviens presque plus à respirer tant ma gorge est serrée.

J’aimerais tout lui raconter. J’aimerais dire à Thomas que je vais perdre mes pouvoirs et redevenir une souris ordinaire. J’aimerais lui expliquer que dans son monde je n’existe plus. J’aimerais lui avouer qu’on ne se reverra pas avant très très longtemps.

Le cœur de Thomas se calme enfin. Il me repose sur son lit. J’essuie les larmes qui ont coulé sur ses joues. Son pansement est mouillé à présent.

— Est-ce que je vais te revoir un jour ? me demande-t-il, les lèvres tremblantes. Est-ce que tu seras toujours ma petite souris quand je perdrai d’autres dents de lait ?

Thomas renifle et attrape un mouchoir sur sa table de chevet.

Je m’oblige à sourire et je ravale mes pleurs. Je fais ce que j’aurais toujours voulu éviter : mentir. Ce n’est pas bien du tout !

— Bien sûr ! Je serai toujours là. Et, un jour, nous nous reverrons. Quand ce sera le cas, tu le sauras.

Thomas avale sa salive. Il m’attrape doucement entre ses mains et me caresse la tête. Je rigole et je sèche les quelques larmes qui s’écoulent encore le long de ses joues.

— Je t’aime, Paupiette. J’ai mal depuis tout à l’heure, m’explique Thomas. Je suis content de t’avoir vue, même si je ne te reverrai pas tout de suite. Je vais être un peu malheureux, mais quand nous nous reverrons je serai heureux, alors ça me va.

Je baisse la tête pour contenir une fois de plus mon chagrin.

— Et si tu me manques trop, poursuit Thomas, je me casserai une dent de lait rien que pour te voir !

Je relève le menton. Mes yeux doivent être humides, car Thomas me demande :

— Tu vas bien ? Tu as l’air si triste, Paupiette ! Laisse-moi te consoler pour une fois.

Je pleure en silence sur la poitrine de mon petit maître, à l’intérieur de laquelle cogne lentement son cœur. Je ressens chaque battement comme un dernier au revoir.

Pendant plusieurs minutes, je reste blottie contre Thomas. Je ne souhaite plus le quitter. Finalement, c’est lui qui finit par être plus le plus courageux de nous deux.

Thomas me sourit de toutes ses dents, hormis une prémolaire qui manque à l’appel. Il essuie mes larmes avec un mouchoir.

— À bientôt, Paupiette. Je sais que tu vas bien maintenant. Je sais où tu es. Quand je penserai à toi, je regarderai les nuages ! D’ailleurs, tu verras peut-être mamie Zazie ! Tu pourras lui dire bonjour de ma part si tu la vois ?

Je hoche la tête. J’admire le regard rempli de bonheur de mon petit maître. Ce regard si grand pour un garçon de son âge.

— Je le ferai avec plaisir ! Au revoir, Thomas.

Il s’allonge sur son lit et il commence à s’endormir. Demain, Thomas aura tout oublié de notre conversation et c’est peut-être mieux ainsi.

J’éteins la lampe de chevet et je claque des doigts. Les draps du lit montent doucement jusqu’au cou de Thomas qui, aussitôt, s’endort profondément.

Un tourbillon se crée autour de mes pattes. Je sais ce qui m’attend. Je m’apprête à redevenir une souris ordinaire dans un monde où je n’existe plus. Thomas est maintenant paisiblement endormi et apaisé. C’est tout ce qui m’importe. Que Thomas aille bien.

Les escaliers, les souris, les tubes s’effacent. Tout ce que je voyais redevient invisible. Le plafond n’est plus transparent. Ma casquette de petite souris magique tombe au sol et s’évapore aussitôt.

Enfin, je regarde une dernière fois Thomas et je me couche à ses côtés, avant de fermer les paupières. Avant de disparaître à tout jamais.

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