II.1. Tache de lumière dans un noir complet.
Je dois marcher pendant une demi-heure avant d'arriver à l'école, chaque matin. Comme je ne sais jamais ce que je pourrais croiser, dans la plaine, je prends toujours un peu d'avance. Généralement, il n'y a pas de problème, et lorsque j'entre dans l'enceinte de l'Académie de Liniorath, je dois attendre encore une dizaine de minutes avant la première sonnerie.
Du coup, avec tout ce temps devant moi, je m'assieds sur le banc le plus éloigné du coin habituel de la bande de Luzenn, et je dévore mon bouquin. Quand il ne pleut pas.
Petit carnet, tu veux que je t'explique pourquoi personne ne m'aime, et pourquoi je passe mon temps à éviter tous ces gens, dans le simple but d'être un peu en paix au cours d'une journée ?
Il y a que je suis différente des autres. Tu vois, je ne fais non seulement pas les mêmes choses qu'eux, mais je trouve le moyen d'être physiquement différente. Je lis, j'écris, et eux ne le font jamais. Ils n'aiment pas vraiment ça.
Je suis toute petite. Eux sont grands. Je suis minuscule, comparée à eux, je fais vingt ou trente centimètres de moins par rapport à la normale. Ça les fait rire.
Je ne maîtrise pas très bien la magie. J'ai beau apprendre, et m'entraîner, je n'arrive pas à appliquer les techniques que me donnent les professeurs, et surtout, je ne sais pourquoi, je n'ai pas suffisamment d'énergie à accumuler pour réaliser un sort.
Puis, petit bout de papier, il arrive que je me mette en colère, généralement contre ceux qui me font subir mes différences, et c'est justement à ce moment là que mon corps est secoué d'une décharge électrique, tandis que tous les autres tombent, autour de moi. Et après, quand je regarde ma peau, celle-ci est bleue. Turquoise. Et la fatigue qui me prend d'un seul coup me fait penser que ces manifestations de magie doivent user toute mon énergie. Pas de quoi me réconforter.
Pourquoi ça arrive ? Je n'en sais absolument rien. Tout le monde me répète que j'ai conclu un pacte avec la Lune Noire. Que j'ai été envoyée sur Eldälotë, notre planète, pour tout détruire. Ils se moquent, ils me détestent, et c'est pour moi impossible de leur expliquer que moi-même je ne comprends rien.
Je relève ma plume, range mon carnet, et sort un livre. Le bruit des élèves présents dans la grande cour de récréation ne me dérange pas. Quand je me mets à lire, je n'ai plus conscience de ce qui m'entoure, et le bruit ne parvient plus à mes oreilles. Seuls comptent les mots que je lis, dans ces moments là.
Le livre que je viens de sortir est un recueil de légendes concernant la grande ville-dragon, Kama. Elle se trouve dans la péninsule des Dragons, qui comme son nom l'indique, accueille des centaines de milliers de dragons. C'est leur habitat. Parfois, l'une de ces magnifiques créatures traverse le ciel, chevauchée par un Dragonnier. Et émerveillée, je suis la silhouette noire des yeux tandis qu'elle se dirige vers le nord, sûrement pour se rendre à Mezeï. La capitale de notre continent.
Il y a un vent frais qui me caresse le visage et ébouriffe mes cheveux. Dans la période de la sixième Lune Blanche, il ne fait pas encore trop froid au point d'avoir les doigts engourdis. Oui, à Liniorath, les étés sont très chauds, et les hivers, très froids. J'aime la période de l'hiver, à cause de la neige, et je ne suis pas frileuse. Le froid ne m'atteint pas. Par contre, les idioties de mes camarades me marquent, elles. C'est à répétition. Ils sont toujours là, à guetter le bon moment pour venir m'embêter. Je ne suis qu'une bête de foire, un bouc-émissaire, pour eux. Rien, ni personne ne peut me défendre. Juste mes mots, et la plupart de mes bourreaux s'en fichent.
En fait, je pourrais me cacher. C'est ce qu'on me dirait : même si tu n'as pas le droit d'aller dans les couloirs, vas-y ! Cache-toi ! Ne reste pas dans la cour, et encore moins en lisant !
Mais je ne vais pas dans les couloirs. Et je lis. Parce que mon bouquin est une barrière. Je les entends me dénigrer, mais je me concentre sur les caractères d'imprimerie, et ça me calme. Et puis, dans les couloirs, ceux qui y traînent sont parfois encore pires que ceux dans la cour. Alors je préfère éviter. Et par expérience, il ne vaut mieux pas y être lorsqu'un surveillant passe.
Oh non. Luzenn et une de ses acolytes ont jugé opportun de venir m'embêter. Ça recommence. Oria m'arrache mon livre des mains, et me lance :
- Salut, la solitaire ! C'est quoi que tu lis, encore, cette fois-ci ? T'en as jamais marre ? T'es pas entrain de comploter un vaste plan pour nous détruire ?
- Comme si tu en avais quelque chose à faire... je lui réponds en soupirant.
- Si ! Ça m'intéresse !
- Faudrait déjà qu'elle maîtrise la magie, cette débile, raille Luzenn. Et qu'elle grandisse un peu. Quelle enfant ! On ne peut pas accorder la moindre petite attention à ce ver de terre !
C'est pourtant ce qu'elle fait. Je ne lui réponds pas. Elles vont finir par s'en aller.
- Nan mais attends, t'as cru que je m'intéressais à ça ? Balance Oria, s'adressant à Luzenn.
Elle se retourne vers moi, me considère un instant en faisant la grimace, puis s'éloigne, avant que je l'interpelle
- Rends-moi mon livre !
- Ouais, c'est ça.
Elle le lâche, à côté d'une flaque, et elles s'en vont, en haussant les épaules. Je me lève, ramasse mon livre, et le lrange précieusement dans mon sac en marmonnant. Je ne sais pas ce que je dis exactement, des insultes peut-être ? Y a de quoi.
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