XIII. Liniorath, ou la ville de la Lumière.

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Alena me soutient, et nous marchons lentement dans la forêt plongée dans le noir, laissant derrière nous le village ravagé par les flammes. Je n'ai plus aucune notion du temps. J'ai du mal à voir les choses autour de moi, tout est flou... Je ne comprends plus ce qu'il se passe. Je sais juste qu'il faut qu'on aille à Liniorath. Et qu'une peur indicible me tord le ventre. Quant aux brûlures, elles recommencent à m'élancer.

- Nous y voilà, Inawan. Ça va a -

Alena s'arrête brusquement de parler, et je lève la tête. Devant moi, la plaine de Liniorath. Et encore plus loin, la ville et les tours de Liniorath, plantées vers le ciel.

Enflammées.

C'est un gigantesque brasier. Le feu le plus grand que je n'ai jamais vu. Les flammes s'élèvent à des centaines de mètres de haut, et pourtant, d'ici, il n'y a aucun bruit. Un cataclysme silencieux, en somme. Comme si on voyait les choses au ralenti, sans aucun son, juste l'image emplie de catastrophe, qui subjugue et nous prend, hypnotisant nos regards, capturant nos yeux.

Même en voyant flou, je prends conscience de la gravité de la chose. Les danseuses rouges, oranges et jaunes tournoient devant mes yeux, me donnant le tournis. Je verrais presque de vraies danseuses évoluer sur une piste, levant les bras. Sauf qu'ici, leurs mains sont chargées de douleur, leurs longs cheveux sont empreints de flammes, et leurs robes sont du velours brûlant, détruisant tout sur leur passage. Liniorath est tombée, à cause d'une chose inconnue...

Je vois quelques Elfes qui courent à toute allure dans la plaine, points noirs poursuivis par les Enfers.

- Ina, il faut partir maintenant.

Je ne réponds rien. Ma voix refuse de fonctionner, et mes yeux refusent de s'arracher au triste spectacle. Une terrible mélancolie me prend, et un énième déchirement me traverse de part en part, tandis que je prends définitivement conscience de ce qu'il vient de se passer. Je titube et tombe, des larmes plein les yeux, agressée par tout ça.

- Allez, on y va. Ça va aller, je vais t'aider...

Je me relève avec difficulté, et Alena passe un bras sur mes épaules brûlées. Ma tunique est elle aussi en lambeaux, mes pieds sont nus et noirs de poussière. Mais qu'importe à présent : de toute manière, j'ai tout perdu.

C'est donc une marche désespérée que nous empruntons, Alena et moi, afin de fuir la ville Lumière, qui n'a jamais malheureusement aussi bien porté son nom. Aucune étoile ne brille dans le ciel, les fumées de Liniorath s'étendent au-dessus de nos têtes comme une voûte et masque toute la beauté du firmament endeuillé.

Je pourrais presque entendre une petite mélodie triste résonner, tant le contexte est réel. Mes pieds effleurent les brins d'herbe, mes yeux sont fixés droit devant, et je ne regarde que l'horizon, dans l'espoir d'y voir apparaître une lueur bienveillante, des bâtiments constellés de lumières accueillantes.

Bientôt, la ville, les champs et la plaine sont loin derrière nous, laissant place à un tout nouveau paysage, qu'Alena et moi découvrons pour la première fois. Je n'avais jamais quitté Liniorath, en vérité. Ma vie avait toujours été ici, entre mes parents et l'Académie. Le reste ne m'intéressait pas, ou peu : je m'évadais dans mes livres contant les histoires de héros antérieurs, et j'écrivais ce qu'il me passait par la tête. Mais à présent que tout est réduit en cendres... Je ne sais que faire.

Je ne sais comment réagir. Je suis anéantie, détruite, j'ai implosé et explosé, plus rien n'a de sens et tout s'est envolé, ma conscience, mon esprit, mon âme, mon cœur, j'ai l'impression que tout cela m'a été arraché ainsi que les seules choses que j'aimais plus que tout au monde. Mon père, puis ma mère, alors qu'ils avaient tous les deux une très longue vie devant eux... C'est si facile de tuer, c'est si facile d'ôter la vie de quelqu'un si on n'a aucun scrupule. Mais la rendre est impossible. C'est le secret de la mort irréversible, et cela me tue de savoir qu'à présent je suis seule.

Même s'il y a Alena.

À l'aube, toujours rien. Il n'y a plus de fumée. Nous sommes trop loin. Il n'y a plus aucune trace du carnage, l'horizon est vierge de toute habitation, de toute route. Il n'y a que des petites forêts, qui ne m'indiquent en rien sur quel point de la carte nous sommes. J'ai terriblement soif, j'ai mal partout, je suis fatiguée et ne demande qu'à dormir, afin de me libérer de ces images qui ne cessent de tourner dans ma tête.

Alena ne dit plus un mot, et je fais exactement pareil. Elle aussi a le visage sale, tuméfié. Elle tient néanmoins debout, et c'est grâce à elle que nous sommes là.

Quant au petit serpent, il s'est endormi enroulé autour de mon cou, et ne bouge plus d'un poil. Et sa présence me réconforte. Il brille faiblement, et sa respiration est régulière.

Mes mains sont noires, brûlées et pleines de terre et de poussière. Je gratte un petit peu pour apercevoir la couleur, juste pour voir si ma peau est toujours bleue, mais je suis incapable de distinguer ne serait-ce qu'une parcelle de peau. Elle est peut-être entièrement brûlée. Peut-être que je garderai des cicatrices. Je n'en sais rien. Et je m'en fiche, pour le moment. Il n'y a que les visages de mes parents qui dansent devant mes yeux.

Alena me pointe quelque chose à ma gauche. Je regarde, et vois un petit bosquet d'arbres qui pourrait faire office d'abri pour dormir. Je la suis, harassée, et nous nous laissons tomber en-dessous des feuilles rouges, crevant de fatigue. Je me laisse glisser dans un sommeil agité et peuplé de cauchemars...

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