- J'habitais à Liniorath, avant. Enfin, dans un petit village à côté. J'allais à l'Académie comme tout le monde, mais à cause de mes différences, les élèves m'ont toujours rejetée, et j'étais souvent seule. Parfois, ils m'énervaient tellement que ma peau devenait toute bleue, et tout s'envolait autour de moi, comme si une explosion venait d'avoir lieu. Sauf qu'ici, c'était moi la bombe.

Maartak me regarde sans un mot. Mooni, lui, s'enroule autour de mon bras, comme s'il sentait que ça ne va pas.

- Puis, il y a... Deux Lunes sûrement ? Je ne sais plus. Mon père s'est fait attaquer pendant qu'il chassait avec la Guilde des Chasseurs de Liniorath. Il s'était éloigné du groupe car il pensait avoir trouvé une proie, un animal dangereux, ont raconté les Chasseurs. Sauf qu'il n'a jamais pu tuer sa proie... Quelque chose l'a attaqué avant, quelque chose que personne n'a réussi à identifier. Les blessures étaient graves, étranges, n'appartenant à aucun animal connu... Et il en est mort...

Je baisse la tête, les yeux brûlants. Suis-je réellement obligée de raconter ça ? Alors que tout me rappelle l'horreur de ces deux soirs ?

 -Et avant d'arriver ici, le soir de la remise des Cartes d'Enchanteurs, mon village a été attaqué par cette même chose inconnue. Les blessures étaient les mêmes, des morsures dans le cou et le visage lacéré par des griffes, j'ai eu l'impression. Sauf que ma mère était au village, et que...

- Elle s'est faite tuer aussi, termine Alena pour moi.

Mon amie me serre contre elle, tandis que les larmes recommencent à couler, sans que je puisse les en empêcher.

 - Puis on a voulu aller à Liniorath pour prévenir tout le monde, sauf qu'il fallait traverser une partie de la forêt d'abord, alors quand on est sorties du bois, il était déjà trop tard, Liniorath était en flammes... C'est de ma faute, si je ne m'étais pas laissée aller, si je n'avais pas été brûlée on aurait pu arriver à temps, sauver tout le monde...

- Non non, Inawan. Non, parce que sinon c'est nous qui serions mortes à l'heure qu'il est, me rassure Alena. Tu n'y es absolument pour rien, je te le jure !

Maartak se racle la gorge, et j'essuie mes larmes rageusement, en m'éloignant d'Alena. Je ne veux pas passer pour faible alors que je ne connais même pas cet homme.

- Inawan, tu as vécu des choses très difficiles. Mais maintenant tu es là, en sécurité à Menaran. Nous avons su, pour Liniorath, et à ce que je sache, il n'y a pas eu de survivants. Les seuls Elfes qui avaient pu s'enfuir de la ville ont été rattrapés par cette chose inconnue, comme tu l'appelles, et se sont fait tuer. C'est un miracle que vous soyez là, et je t'avoue que j'ai peut-être une petite idée concernant ce miracle. Mais vous êtes fatiguées, très fatiguées même. Je vais vous conduire à l'étage des appartements, vous allez pouvoir vous y reposer en toute tranquillité.

Je hoche la tête, et Alena aussi. Mooni descend sur le sol et file à toute allure vers une porte, que je n'avais même pas remarquée en arrivant ici. Il se lève un peu, sa tête penchée sur le côté, l'air de dire : tu viens ?

En souriant un peu, je le rejoins, et nous suivons Maartak dans un dédale d'escaliers et de couloirs. Ce château – en est-ce un ? - a l'air bien plus grand qu'il ne le laisse paraître de l'extérieur. Nous finissons par nous arrêter devant deux portes, et maartak nous invite à entrer, en nous souhaitant de bien nous reposer. Mais d'un coup, il se fige, et me fixe de ses yeux bleus :

- Tu as été brûlée, tu me l'as dit, n'est-ce-pas ?

- Oui, quand mon village a pris feu, parce que ma colère avait pris le dessus...

- Demain, quand tu seras plus en forme, on ira sur la plage avec le Clan. Tu apprendras plein de choses, et je guérirai tes brûlures.

- Mais... Elles sont guéries ! Je m'exclame, surprise.

- Non, de l'extérieur peut-être, mais si on n'agit pas rapidement, le feu va te ronger à l'intérieur. Tu n'en as peut-être pas conscience pour le moment... En tout cas, je ne peux rien faire sans que tu te sois reposée. Alors va dormir, tu en as besoin.

- Merci, Maartak, je lui dis, intimidée mais en même temps rassurée par son ton paternel.

J'ouvre la porte de ma chambre, la referme derrière moi, et m'assieds contre le battant, les yeux fermés. Ses mots tournent dans ma tête. Ewari, magie, la Lune Ewera... La capacité de respirer sous l'eau... Tant de choses qui me paraissent énormes. Je ne pensais vraiment pas que je pouvais faire tant de choses...

J'ouvre les yeux, et contemple un peu ce qu'il y a autour de moi. La chambre est assez simple, quoique plus grande que la mienne, à Liniorath... Non. Il n'y a plus de Liniorath.

Les murs sont blancs, sauf celui de gauche qui est bleu. Contre ce mur, il y a un lit, suffisamment grand pour deux personnes. En face est accroché un miroir, et une petite armoire complète l'ensemble.

Mooni s'est installé de tout son long sur le lit. Je remarque qu'il a grandi. C'est vrai que je n'ai pas vraiment fait attention à lui durant notre marche vers Menaran. Il doit faire à peu près un mètre, maintenant, ce qui est assez imposant pour un simple serpent. Ses yeux turquoises me fixent, et pour la première fois, il ouvre sa gueule, dévoilant deux petites dents bleues pointues. On dirait qu'il me sourit.

Je m'approche de lui, et l'attrape d'un seul coup, pour jouer. Il riposte en s'enroulant autour de ma taille et en me chatouillant le ventre de sa queue. Je ris, un peu trop fort peut-être, mais je me sens comme d'un seul coup délivrée de mes problèmes. Tout semble s'envoler, s'évanouir dans les airs, ne me laissant que la joie d'être avec quelqu'un que j'aime et qui m'apprécie.

Il s'arrête de me chatouiller. Je suis allongée sur le lit, et lui et posé sur mon ventre, en toute tranquillité. Il me regarde, encore une fois, mais ses yeux sont si expressifs... Maartak a raison, il y a quelque chose à creuser, ce serpent n'est pas comme les autres.

Quelqu'un frappe à la porte. Je me relève, et autorise la personne à entrer... Qui n'est autre qu'Alena.

- Salut, toi. Je t'ai entendue rire.

- Oui, Mooni me chatouillait.

- Attends... Mooni te chatouillait ? Mais c'est un serpent ! Mignon, certes... dit Alena en s'approchant du lit. Mais ça reste un serpent.

- Je suis persuadée que ce n'est pas un serpent comme les autres, Alena. Maartak a fait une insinuation bizarre toute à l'heure. Et puis, j'ai l'impression qu'il me rassure, regarde, je suis bien, je me sens bien. Je ne suis presque plus fatiguée.

- C'est vrai ? Parfait ! On va pouvoir tester quelque chose, alors.

- Quoi ?

- Tu me fais confiance, Ina ?

- Non mais attends, tu vas faire quoi... ? Je lui dis précipitamment, tandis qu'elle s'installe à côté de moi.

- Tu vas voir.