Revue des Troupes
Jour 2 - Buc- 4h50.
Le Jour 2 est déjà là. L'automne s'installe petit à petit dans la froidure et les vents frais, prémices d'un hiver qui promet d'être rigoureux.
Mouais... jolie phrase un peu présomptueuse.
Qui peut vraiment augurer de la couleur du ciel et de ses tourments passagers ? Les Sorciers de la Météorologie Nationale rament déjà pour établir leurs prédictions quotidiennes et moi, misérable ver de terre, j'en serais à pronostiquer du climat comme pour un tiercé à Vincennes ? Comment parler de la possible rudesse d'une saison encore lointaine ?
Je ne sais rien des traditions paysannes, celles qui annoncent la veille le temps qu'il fera le lendemain. Lever la tête, renifler l'air d'un air suspicieux en disant d'une voix rocailleuse qu'il pleuvra demain matin ou encore qu'un insolent soleil brillera de tous ses feux à l'aube ? Ou encore, toujours avec cette voix encombrée d'une cigarette maïs : hum...l'horizon rougeoie à l'Ouest ; les nuages s'endorment... ouaip, pas bon tout ça. F'ra froid d'main...préparez vos p'tites laines !
Héhéhé... Non, je ne sais rien de ces diableries terrestres. A bien y réfléchir, d'ailleurs, je ne sais pas faire grand-chose. Heureusement, je m'assume !
Le jour 2 est donc là. Première erreur de ma part : Novembre file comme le vent. Il a deux jours d'avance sur moi. Ou j'ai deux jours de retard. Déjà...
Petit calcul mental : j'ai donc quelque chose comme 4800 mots de retard sur mon prévisionnel du mois. Vraiment pas facile, ce truc. Il faut trouver matière à noircir des lignes, et vite ! Et tous les jours...
Je pourrais me contenter de recopier un catalogue, laisser filer les mots sans jamais rien raconter de précis, c'est vrai. Ce serait plus facile, juste un peu pénible pour la pulpe de mes doigts, un peu usant pour mes yeux.
Mais ce serait malhonnête...
Ainsi des sportifs dopés jusqu'au bord des dents, je ferais alors partie des tricheurs, des je-m'arrange-avec-ma-conscience-en-compissant-celle-de-mes-contemporains. Pas le genre de la maison.
Mieux : quitte à relever le défi, quitte à prendre le risque d'échouer comme un cachalot sur une plage australienne, sous des regards indifférents, moqueurs ou compatissants, autant essayer de bien faire. Il me faut piocher dans quelque idée pour avancer... Que disait ma prose de la veille, déjà ? Ah oui...
Avoir de la suite dans les idées ! Mouais...je viens de le dire ! Pas gagné, tout ça.
Et quoi d'autre ? Ceci : observer les Candidats.
Voilà qui est intéressant. Et difficile, aussi.
Voir sans espionner ;
Citer sans nommer ;
Dire sans médire ;
Analyser sans critiquer.
La distance risque d'être difficile à apprécier.
Allons-y !
Mais sur la pointe des pieds : les Auteurs sont gens délicats mais, souvent, prompts à la riposte sanglante...
***
Passons donc en revue ces troupes sous l’œil qui aimerait être perçant de mes longues-vue. Qui et combien de personnes téméraires pour plonger la tête dans chaudron Nano ?
Connexion... Ohooo... Belle communauté ! Plus d'une quarantaine de candidats !
Je reconnais quelques noms, découvre tous les autres. J'ai la curiosité qui grimpe en flèche ! Et les sujets de conversation ? Voyons voir... héhé : les bavards !
Je n'ai pas encore ouvert la première discussion que je pressens déjà l'enthousiasme, la passion, l'énergie et un brin de pudeur face au risque de rater...
Attention : Lire sans espionner !
Quelle sera ma marge de manœuvre ? Le prétendant journaliste que je deviens ipso facto dans le cadre d'une pseudo-enquête littéraire doit vite tracer le périmètre d'une éthique raisonnable pour rester objectif et précis..
Allez, cogito !
***
Pas loin d'une dizaine de conversations que je n'ai pas encore pris le temps de consulter. Normalement, je me serais retranché derrière mon incontournable argument "Pas le temps !" mais, cette fois-ci, je suis tenu de m'informer au plus près. Probable que je vais les pourrir de questions qui, avec un peu de bol, ne les importuneront pas trop, ne leur feront pas perdre trop de temps, puisqu'eux aussi concourent.
Pourtant, avant de plonger dans leurs conversations, que je finisse d'abord de poser mes toutes dernières...premières réflexions. Je me contenterai de celle-ci, qui n'est pas la moins importante, je pense :
Je suis étonné, emballé même, par le succès de ce challenge. Challenge...je n'aime pas le terme, trop empreint qu'il est du langage artificiel des entreprises, ces fameux "éléments de langages" de merde qui, là aussi, font tour pour standardiser la pensée des humains. La Pensée Unique... Encore une belle merde pondue par un énarque débile. Passons, je pourrais toujours me soulager d'un peu de fiel dans les jours à venir, si je ne trouve rien d'autre à écrire.
***
Plus d'une quarantaine de prétendants au succès, donc !
Parce que ce nouveau défi me hante déjà la nuit, j'ai eu le temps de penser à quelques petites choses qui me feront progresser tous les jours. Je vais prendre mon temps pour ceci, bien délayer chacune de mes idées puisque c'est le seul luxe que je pourrai prendre. Pour le reste, ce ne sera que cavalcade et impasses sur la profondeur des idées...
Je m'étais imaginé copier sans vergogne la très fameuse histoire d'Ali Baba et les 40 Voleurs. Mais qui, parmi les 41 candidats mériterait d'être Ali Baba ? Et pourquoi les 40 autres compères se verraient infligés le statut de voleur ?
L'analogie était plaisante, m'aurait permis de faire quelques facéties mais... pas judicieux ! Et puis, parce que les candidats sont aussi des candidates... je ne me vois pas en train de les traiter de voleuses. Pas bon pour ma santé, ça !
***
Bien, je viens de lire les premiers messages de la première conversation de la communauté. C'est génial. Tous les styles, tous les genres. Tout le monde se cherche, tout le monde a déjà une idée, voire plusieurs. Les tâtonnements du départ, toujours... J'aime cette ambiance de veillée d'arme. Chaque Auteur plonge dans un univers particulier. Il y a des choses à dire, à exprimer. Des mots qui veulent voir le jour, retenus parce que le sujet n'était pas encore d'actualité. Qu'est-ce qui peut bien activer la décision de lancer un sujet souvent pensé et tout le temps remis aux calendes grecques ? Ne serait-ce pas, par exemple, le fait d'un défi pour lequel on se sentirait moins en danger parce que projeté dans le cadre d'un groupe qui propose soutien et encouragements ?
J'aime cette sensation de solidarité, de sincérité et d'innocence.
Elle est bienfaisante, rassurante. On est presque à une veillée de Noël où une petite troupe d'enfants un peu fébriles attendrait le géant barbu avec sa grande hotte. Qui recevra quoi ?
- Et toi, tu as commandé quoi ?
- Tu crois que tu as été assez sage toute l'année ?
- Tes parents t'ont pas collé un rapport aux fesses, du genre pas cool ?
- Tu te rappelles quand tu as piqué des bonbecs dans vase en cristal de Mère Grand pendant qu'elle roupillait, ronflant à faire trembler tout l'immeuble ?
- Hihihi...qu'est-ce qu'on a bien rigolé ! Même que Papi est arrivé derrière nous sans rien dire. Mais on l'avait entendu arriver parce qu'il respire trop fort avec son nez mangé par sa grosse barbe tout emmêlée.
- Dis, tu crois pas que c'est Papi, le Père Noël ?
- Je sais pas....Tu crois qu'il mange des bombons, le Père Noël ? Parce que Papi, lui, il en a mangé presque autant que moi !
Je dessine ça à grands traits mais je me fourre peut-être le doigt dans l’œil...
Et si c'était vraiment une veillée d'armes ? Et si le ton faussement badin cachait en fait des rivalités à venir pour finir, non seulement la compétition, mais aussi le premier ?
Non...ça j'y crois pas des masses. Il y a ceux qui sont déjà partis, ajustant leur foulée aux impératifs du jour, se désolant d'être un peu en retard... Mais en retard sur qui, en fait ? Ah, que j'aime cette lutte contre soi-même ! Comme elle est saine et profitable pour qui lutte pour repousser ses craintes. Comme elle est salutaire pour ouvrir l'esprit, le mettre en action et lui imposer de se réveiller, au moins de ne pas s'endormir. C'est bien maintenant qu'il est question de se souvenir de ces articles qu'on a lus quelque part, un peu distraitement. Ils distillaient les éternels conseils, les sempiternelles recommandations de creuser un sujet. Une première ébauche, un peu floue. Des formes imprécises, mal proportionnées. Pourtant, il y a déjà cette petite voix intérieure qui dit "Oui, c'est un peu ça... un peu plus comme ci, moins comme ça...moui...je crois que je peux..."
Je peux !
Les deux mots sont lâchés !
Incroyable découverte qui laisse pantois, rêveur, fier, stupéfait.. Alors vient l'énergie, la presque frénésie d'écrire. Ça se bouscule presque au portillon ! Les idées géniales affluent, se poussent pour arriver les premières dans l'esprit en ébullition qui tente maladroitement de prendre quelques notes. La course s'engage contre soi-même et la petite voix grince qu'il ne faudrait pas oublier de rajouter ceci, ce à quoi les doigts répondent qu'ils font ce qu'ils peuvent, qu'ils vont chopper ce bout de feuille qui traîne là pour inscrire la longue, la soudaine interminable liste d'impressions à transformer en mots à coucher. Et puis à la mémoire d'inscrire un peu de ces pensées fulgurantes, aussi ! Les mains ne peuvent pas tout faire en même temps, mince !
Le souffle se fait plus court, comme le marathonien de bon aloi cherche à écouter son cœur pour s'assurer qu'il court à la bonne cadence, celle qui permettra de couvrir la distance. Trop rapide ? Allons, soyons raisonnable, soyons pratique ! Faire chuter le rythme d'un pas à la minute, ramener les pulsations à la bonne fréquence. Une fois acquis la bonne vitesse, la vitesse de croisière, alors il sera plus simple de laisser courir le pianotage du jour. Et si c'est encore trop rapide, ne pas hésiter à ralentir encore d'un poil. C'est là qu'il faut savoir gérer son temps et son effort. Alors, prendre le temps d'y réfléchir, viser ce grand panneau publicitaire à quelques centaines de mètres et le rejoindre puis le dépasser à son rythme. Essentiel. Aller de l'avant mais sans se mettre la rate dans les semelles !
Allez, qui veut aller loin ménage sa monture, dit-on !
C'est difficile de réfréner l'élan. On est le mustang fringant qui veut courir à toute allure dans les prés libres de nos imaginations qu'on espère fertiles mais dont on redoute qu'elles deviennent trop vite infertiles, cramées par un soleil trop proche...
Mais il n'y pas que des chevaux ardents... il y a aussi les voyageurs qui n'ont pas encore décidé de la voie à suivre. Les itinéraires sont plaisants, pleins de promesses, alourdis de nombreuses idées à exploiter... Deux sources vives qui attirent par la clarté de leur eau rapide et facile à suivre du regard. Voici une belle preuve de retenue, à moins qu'il ne s'agisse que d'une indécision dont il serait bien qu'elle ne soit que très temporaire. L'objectif se trouve bien au terme de ces deux chemins possibles mais les délais se raccourcissent à chaque minute qui passe... rendant d'autant plus difficile le respect du délai fatal.
Mais, et j'aime encore plus de le voir, il y a aussi ceux qui semblent attendre de choisir... Ils ont une idée, peut-être plus. Mais ils veulent s'assurer qu'ils disposent d'une idée différente. D'abord filtrer les premiers projets pour effacer ceux qu'ils présentaient peut-être. Voilà une recherche d'originalité qui exprime l'assurance que la distance ne sera pas un problème. C'est encore un problème d'itinéraire à suivre mais, plutôt que l'indécision, une bonne recherche sur une carte, si elle peut faire croire à une courte perte de temps, permettra ensuite d'avancer sur un chemin déjà borné, presque déjà connu. Au moins identifié. Il y a là de l'expérience, du métier...
Les candidats se démarquent déjà.
Et nous n'en sommes qu'aux tous premiers pas.
Le pied, plutôt !
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