Poème pour une idée lumineuse
Jour 16
Courir après une idée n'est pas facile ! Une idée, c'est fugace, c'est comme un flash qui aveugle soudain. C'est la milliseconde d'une intense lumière qui cache en son cœur un trésor qu'il faut extraire à tout prix, quitte à se brûler les yeux, les mains, y ruiner ses jours ou ses nuits, perdre contact avec la vie pour entrer dans un monde d'où il faudra revenir, coûte que coûte, pour en faire le récit à qui voudra bien l'entendre.
C'est bien ce que je me dis alors que j'en suis encore à poursuivre celle qui semble se présenter devant moi. J'ai faim d'idée ! Je suis prêt à la dévorer sans rien en laisser, résolu à me battre contre n'importe qui pour m'assurer d'être le seul à la posséder, le premier parmi les tous premiers.
C'est une question d'originalité. Tout comme il existe une échelle de valeurs pour les bijoux et les pierres rares, il y a une gradation dans le prix d'un concept. Comme l'or ou le diamant, l'idée sait se faire rare. Plus précieuse que tous les poncifs les plus sûrs, l'exceptionnelle idée se monnaie au prix fort. Je cours comme un psychopathe hanté par l'envie de gagner l'enfer ou le paradis !
J'ignore encore quel rêve pourra naître de ce minuscule éclat de lumière mais je veux absolument m'en saisir. La route est longue, chaque pas gagné ne me donne pas encore l'impression de me rapprocher. Pourtant, plus je cours et mieux je me sens. Raccourcir la distance me rend la force dont j'ai besoin pour raviver mon imagination.
C'est autant d'étincelles qui crépitent autour de moi, qui éclatent au rythme fou des vœux que je forme pour attraper enfin cette fichue idée qui semble encore se moquer de moi. Oui, elle se moque gentiment, pourtant je sens qu'elle frémit un peu, déjà inquiète de tomber entre mes mains.
Elle sait que je suis sur le point de marquer le périmètre fatal à sa liberté. Je vais danser autour d'elle comme un sioux autour d'un bûcher. J'incanterai toutes les divinités naturelles pour qu'une d'elle, au moins, incarne à son tour un phénomène surnaturel et impalpable qui communiquera avec moi sans aucune explication logique.
De l'emprise qui naîtra de ce combat bien singulier, je ne sais pas encore qui de l'idée ou de moi résistera le plus longtemps. La lutte sera confuse, têtue. C'est front contre front que nos volontés se mesureront. Elle voudra s'enfuir pendant que je continuerai de bâtir des murs pour la contenir, la circonscrire.
Je lui créerai un jardin secret où elle pourra s'épanouir et m'enivrer plus tard de sa profondeur, de ses douceurs et aussi de ses rudesses. Idée n'est pas femme facile et il me faudra bien des efforts pour la convaincre de s'offrir à moi, entière et sans pudeur, dans l'intégralité de sa nudité virginale.
Quand elle prendra forme, enfin, alors nos mains s'uniront dans la déraison de notre étreinte sauvage pour fusionner deux passions qui hurleront l'irrépressible fureur d'aimer pour la première fois. Elle me résistera âprement, je tiendrai le siège de son cœur pour la conquérir et m'enchaîner à elle, le temps pour nous de découvrir l'infinie puissance des mondes dissimulés en nous.
Elle luttera, pourtant je sais que rien ne m'empêchera d'en devenir le maître. Ses protections résisteront autant qu'elle pourra les soutenir mais je sais le moment où se manifesteront les premiers signes. Les premiers craquements dans les murailles de ses défenses gémiront sous les coups de boutoir de mes assauts féroces puis, l'épuisement venant, j'en prendrai possession. Bientôt, elle se soumettra. Prise au piège, elle ne pourra plus se soustraire à ma curiosité qui fouillera jusque sous les jupes de son intimité et elle me révèlera son secret. Je découvrirai le trésor que toute idée porte en elle, petite ou grande.
Il ne me reste que quelques pas à faire. Puis je n'ai plus qu'à tendre la main pour la saisir. Et, comme une fleur, je la cueille au creux de mes mains...
Émerveillé, je l'admire comme un enfant plongerait en contemplation devant un cadeau inattendu et infiniment espéré. Un halo paisible et doux réchauffe mes mains. C'est une idée...lumineuse.
Une toute petite idée, encore chétive et fragile. Elle vient de naître, ce n'est encore qu'un embryon. Elle se réchauffe entre mes doigts, se love doucement dans mes paumes et nous profitons déjà l'un de l'autre. Sans vraie forme précise pour le moment, elle diffuse déjà un léger parfum de bonheur. Je ne saurais expliquer, ni pourquoi, ni comment mais je sais ce qui va se produire.
Je vais la garder tout contre moi, jaloux comme un tigre, et l'aider à grandir. C'est une enfant qui attend de moi ce que j'attends d'elle. C'est le début d'une symbiose.
Déjà l'air se purifie, elle en retire les miasmes nauséeux qui m'entouraient, eux qui se glorifiaient déjà de me traîner dans les bas-fonds d'un empire où ne règne que désolation et silence douloureux.
Un vent léger et tiède souffle maintenant, nettoyant le ciel et l'horizon. La pureté du monde s'inscrit sous mes yeux qui étaient à deux doigts d'oublier son indicible beauté. Le sable ne tardera pas à disparaître à son tour, vaincu par la puissance d'une idée créatrice, salutaire pour moi.
De la terre naîtront bientôt les premiers indices d'un univers neuf que personne avant nous n'aura jamais foulé. Nous marcherons main dans la main pour semer d'autres merveilles qui pousseront aux soleils chaleureux et bienveillants de jours sans fin. Les couleurs reviendront, chasseront la grisaille et l'ennui. Avec elles surgiront des monts, des vallées inconnues, d'immenses plaines qui grouilleront d'une vie joyeuse et prolifique. Nous, toujours unis, nous nous lancerons à la découverte improbable de personnages passionnants qui ne tarderont pas à nous soumettre au feu de leurs questions et de leurs désirs de vivre encore plus intensément ce que nos imaginations réunies écriront pour eux. Enfin, les voix émergeront du silence. Elles briseront les murs invisibles qui séparent ceux qui ont oublié que de la lumière viennent la connaissance et la raison.
Pour l'instant, il me faut faire preuve de patience, chérir cette idée qui n'est encore qu'une douce lueur sans contour et cultiver une passion qui déchirera les lambeaux tristes de mon imagination stérile.
Curieux, mais rempli de respect, je la dévore des yeux et je me demande déjà quelle idée elle deviendra. Romantique, assassine, comique ou dramatique, poétique ou philosophique ? Aucun indice pour le moment. Elle se repose, se prépare et s'affermit avant de se lancer dans la création épuisante d'une histoire qu'elle devra concevoir, utilisant mes pauvres mots pour la traduire distinctement à l'intention du monde.
Je vais devoir attendre encore un peu. D'ici à quelques jours ou dans moins de deux minutes, elle peut s'ouvrir dans mon esprit attentif et quémandeur. Je sais que j'en sentirai les premiers mouvements, les premières brusqueries. Je n'ignore pas, non plus, qu'il me faudra alors réagir sans hésiter, me mettre immédiatement au travail et suivre la cadence. Tout commencera par un terrible assaut qui mettra mon cerveau en ébullition, qui m'imposera d'oublier sommeil et distractions habituelles. La procrastination sera rejetée au loin malgré la puissance des ses habitudes ancrées depuis toujours.
Voilà...elle pousse en moi comme une fleur pressée de découvrir les bienfaits de la vie au grand air. Mademoiselle Idée se présente enfin.
Et c'est une grande surprise, bien sûr. Je la découvre. Elle me cherche.
Pour me dire qu'elle a besoin de moi. Elle est seule et ignorée. Encore aveugle, elle sent simplement que mes mains sont chaleureuses et désireuses de la choyer. Elle m'inspire le soleil et la lumière mais elle reste encore dans l'obscurité du non-dit. Sa mémoire encore vierge cherche à combler le vide qui l'étourdit. Et c'est pour cela qu'elle à besoin de moi. Elle plonge dans les souvenirs enfouis de mes secrets oubliés, s’imprègne de mes expériences pour en forger de nouvelles. Plus loin encore, elle fouille dans mes pensées informulées, informulables. C'est tête la première qu'elle plonge dans mon inconscient, sachant d'instinct qu'elle trouvera l'indicible pour le faire remonter à la surface de ma maigre conscience. Armée des mes arguments impossibles, elle trouvera le moyen de me les transmettre pour que moi, l'artisan de ses envies, j'en fasse des mots et des humeurs, des sensations et des légendes.
- Aide-moi, me susurre-t-elle doucement. Simon...tu as fais les premiers pas, ne me laisse pas tomber. J'ai besoin de toi.
Stupéfait, je ne sais pas quoi répondre. Puis, dans la seconde qui vient, je comprends qu'il est vain de parler. Pour le moment, nous ne pouvons qu'être émotions, ressentis. Pas de filtre, pas de tabous. Tout doit être dit au travers de nos sensations. A moi d'ouvrir mon cœur et mon esprit sans rien retenir. C'est ce qu'elle me demande, se heurtant aux défenses qui me protègent depuis toujours des assauts violents du monde extérieur. Chaque attaque fut contenue en son temps, transformée en un objet noir, scellée dans une gangue rendue incompréhensible à mes propres mots. Idée veut s'en emparer, au moins les découvrir pour m'aider à m'en soulager. Idée veut libérer certains souvenirs pour en faire des bulles de savons qui éclateront pour disparaître à jamais. Je tremble un peu à me convaincre de laisser surgir les fantômes de mon passé. Qu'en fera-t-elle ?
- Aies confiance en moi... répond-elle doucement. Je commencerai sans savoir ce que je trouverai mais je te promets que tu n'auras plus à souffrir ces maux inutiles.
- En feras-tu des mots faciles ?
- Ce n'est pas moi qui ferai les mots. C'est toi. Tu puiseras dans tes sentiments pour en extraire quelques uns qui te conviendront. Puis tu en changeras certains pour les remplacer par d'autres qui te sembleront plus précis, plus vrais.
- Et si je n'y arrive pas ? Si tout ce que tu m'enverras reste obscur à mon esprit ?
- Ne t'inquiète pas. Toi, tu as les mots. Moi, je n'ai que des couleurs, des sons et des notes de musique. Tu trouveras la partition qui fera de mes pulsions une musique de chambre, une symphonie ou une chanson paillarde.
- Je ne connais rien à la musique !
- C'est la musique de ton esprit, c'est la mélodie qui forme harmonie quand tu écris quand, enfin, tu n'opposes plus crainte ni doute. Quand tu résonneras de mes notes, alors tu vibreras et tu traduiras en mots qui seront au diapason de nos créations.
- Par quoi commencerons-nous ?
- Je ne sais pas encore. Peut-être pourrais-tu me choisir un prénom ? Une silhouette ? Si tu veux profiter de moi, il faut pour cela que je corresponde à une partie de ton fantasme du monde. Fais de moi un être pensant, en bien ou en mal, peu importe. Fais de moi un homme, une femme. Ou encore un animal, une fleur, un courant d'air. Peu importe, te dis-je. Donne-moi seulement le droit de penser et de parler.
- Mais tu parles déjà !
- Non, je pense en toi. Laisse-moi gambader autour de toi, que je m'inspire de toi et que je puisse en faire la parodie qu'il te plaira d'écrire. Tu te veux aventurier, chanteur, assassin ou séducteur ? A toi de choisir.
- Je ne suis que ce que je suis... fais-je en baissant les yeux. Et j'ignore qui je suis.
- Tu n'es que ce les autres voient de toi. Sans eux, tu n'aurais même pas conscience de toi. Tu le sais bien. Un peu trop, peut-être, puisque tu ne veux pas t'accorder la chance d'être ce que tu voudrais être.
- Je ne sais pas ce que je voudrais être. Pour devenir ce que l'on voudrait être, il faut consentir bon nombre de sacrifices que je ne saurais même pas lister. Le monde m'échappe et s'enfuit un peu plus tous les jours. Il se rit de moi, ironique et cynique, piétine mes convictions pour en faire de la poussière. Il couvre mon esprit d'une brume qui transforme mes idées les plus claires en doutes insolubles...
- Accorde-nous un peu de temps, encore. Tu sais, il suffit de quelques clés pour ouvrir toutes sortes de portes... Mais je suis encore trop faible pour l'instant. Laisse-moi me reposer encore un peu au creux de tes mains. Quelques heures, quelques jours... Un peu de temps, c'est tout.
Alors, troublé au-delà de tout, je me tais. Je mets mon esprit en repos pour ne rien troubler de son sommeil. Elle se cale contre moi, en douceur.
Et moi je m'installe tranquillement dans le sable qui est maintenant celui d'une plage paradisiaque, bordée de cocotiers mourants, sereins et heureux d'une belle vie au soleil des tropiques...
Demain, Idée et moi parlerons un peu plus. Aujourd'hui n'était que le prélude d'un poème pour une idée lumineuse.
Demain...
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