Lisa
Dans le livre que Mickaëla offrit à David, Nathaniel trouva une photo de Lisa, sa femme défunte voilà deux années difficiles. Cette représentation lui rappela mille questions : est-elle morte par sa faute ? S'est-elle suicidée au vu de ce qu'il lui a fait vivre ? Comment va-t-il faire avec leur fille Maya quand elle sera en âge de comprendre ? Pourquoi rester et lui infliger une vie dans une famille de pompes funèbres, comme lui, alors que ça l'a traumatisé ? ...
La photographie montre Lisa souriante, la mer en fond, avec un t-shirt que Nat avait choisi peu avant la mort. La plage n'est pas anodine non plus, c'est celle où le corps de la pauvre femme fut retrouvé, décomposé par le sel, l'eau et la faune marine.
L'enterrer sans cercueil, selon ses volontés, fut déjà la seconde épreuve la plus terrible de sa vie après son décès, trompant la famille de sa femme avec des cendres non réclamées.
Pour Nathaniel, ce cliché était trop. Il fit les kilomètres qui le séparaient de sa nièce Mickaëla. Il la trouva dans le jardin familial, rêveuse à la balançoire, dans sa robe fleurie, en cette fin d'après-midi. Elle l'accueillit d'un geste de la main, Nat sourit et lui rendit.
- Salut Mickaëla.
- Bonjour oncle Nat.
- J'ai donné le livre à David, dit-il sereinement en s'asseyant au sol, auprès d'elle.
- Merci.
- Il y avait une photo dedans.
- Je sais, dit-elle en le fixant du regard.
- D'où elle vient cette photo ?
Elle ne répondit qu'en haussant les épaules.
- Tu sais qui l'a prise ?
Nouveau mouvement d'épaule.
- Pourquoi tu l'as mise dans le livre ?
- Tu devrais aller voir papa. Il est dans son bureau, confie-t-elle en portant son regard au loin, faisant mine d'avoir dit tout ce qu'elle avait à dire.
Nathaniel se leva et s'empressa de pénétrer dans la maison calme, sans s'annoncer, et investit la pièce sans la refermer derrière lui. Assis au bureau, l'homme ne laissa aucun doute sur son état d'esprit.
- Tu es fou ! Si j'étais toi je reprendrais la route avant que Barbara ne te trouve ici !
- Hoyt, je te le demande, et j'appelle la police. As-tu pris cette photo ?
- Quoi ? Quoi ? Quoi ? bafouilla Hoyt en se redressant sur son fauteuil en cuir.
- C'est toi qui a pris la photo ?
- Dans la famille, on se prend en photo les uns les autres, tu sais. Apparemment, quelqu'un l'a prise, lança-t-il désinvolte en fixant l'image avec minutie, peut-être bien moi... Non non attends ! J'me rappelle ! C'était en août il y a au moins deux ans, on avait fait un pique-nique.
Nat comprit immédiatement qu'il mentait. Ses yeux le perçaient comme des poignards :
- Tu mens enfoirés.
Hoyt commença à sentir de la sueur perler sur son front.
- Tu étais avec Lisa sur la plage le jour où elle est morte, asséna Nathaniel.
- Non !
- Si, tu y étais, acheva-t-il en affirmant de la tête, c'est la preuve cette photo. T'es une putain d'ordure qu'est ce que tu lui as fait ?
- Rien !! Non ! Rien du tout ! cria Hoyt.
Il se calma rapidement, comprenant qu'il avait laissé passer des émotions trop vives.
- Je ne lui ai rien fait, qu'est-ce que tu imagines ? C'est une des plages où nous allions.
- Rien que vous deux ?
- Peut-être bien. Quelques fois oui c'est ...
- Pourquoi ?! lança Nathaniel alors qu'il connaissait déjà la réponse.
Les 5 secondes les plus longues de la vie de Hoyt passèrent. Il ne put soutenir le regard inquisiteur et regarda le tapis du bureau.
- On a eu une liaison. On a rompu, on a recommencé mais... c'était une relation intense parce que Lisa était...passionnée...
Un sourire apparut brièvement.
- Quand ? C'était...c'était quand ça ? On était déjà mariés ?
- Bien avant, dit-il en trouvant la force de relever les yeux.
- Je n'arriva pas à te croire !
- Elle m'a raconté ce que c'était d'être ta femme. Mais qu'est-ce qui n'allait pas chez toi ?! Pourquoi tu lui a fait subir ça ?!!
- Mais je voulais...
- Quoi ? interrompit-il. Tu croyais qu'elle allait passer sa vie à t'attendre et voilà tout ?!
...
- Mais les gens aimait Lisa, nous aimions Lisa, commença à sangloter Hoyt, elle aussi elle nous aimait.
Un frisson d'horreur parcourut la colonne vertébrale de Nathaniel, remplissant ses poumons par accoup. Des événements affreux s'invitèrent dans son esprit.
- Tu sais qu'elle s'est peut-être tuée à cause de toi ? dit-il avec aplomb. Tu n'y a jamais pensé !
Nathaniel secoua la tête pour se dire que c'est impossible, qu'il ne peut pas en être ainsi malgré la culpabilité qui le ronge depuis la mort de sa femme. Et si c'était entièrement de sa faute. Après tout. Les larmes montent comme sous pression depuis des années pour les deux hommes.
- D'accord Nat, écoute, on va faire un tour, tout ça n'est qu'un énorme malentendu.
La réaction fut épidermique, bondissant de sa chaise, le directeur de pompes funèbres réalisa l'évidence :
- Non ! Non ! Non ! Non ! Non ! Lisa ne se serait jamais tuée ! Ça au moins je le sais ! Elle aurait pu me quitter moi mais n'aurait jamais laissé Maya... Alors tu vas me dire ce qui s'est passé sur cette plage. Putain tu vas m'le dire !!
L'homme ne put plus soutenir les yeux noirs de son ex beau-frère alors que les siens se noient. Il se sent pris au piège et quelque chose pèse lourd.
- Je voulais qu'on passe un peu de temps tous les deux. Lisa disait qu'elle voulait pas continuer. Qu'il fallait repartir sur de bonnes bases. Que c'était bien fini. D'accord ! Très bien...
...
- Je voulais pas qu'elle le dise à Barbara.
L'aveu tomba comme un couperet glacé pour Nathaniel qui changea ses billes noires en charbons ardents. Il venait d'avouer. C'était pourtant impensable. D'avouer que Lisa est morte par sa faute. C'était impossible.
- Je n'étais pas en colère contre elle, révéla Hoyt avec une sorte de compassion dans le regard. J'ai même joué de la guitare, j'ai chanté une ... Il renifla... Je lui ai chanté une chanson.
Nathaniel était désemparé par ses détails grotesques et sans aucune valeur face à l'horreur absolue, source de sa souffrance depuis tant de nuits.
- Et on est partis... par des chemins différents.
Des pleures aigus se firent entendre par les deux hommes au bord de leur gouffre personnel : Barbara avait entendu et dévisageait le père de leurs trois enfants. Hoyt, soulagé de ne pas avoir à avouer à nouveau à sa femme ses erreurs impardonnables laissa de nombreuses larmes s'échapper. Il vit l'évidence. D'un geste vif comme s'il avait été répété cent fois, il sortit un révolver d'un tiroir du bureau, s'enfonça le canon au plus loin qu'il put dans la bouche et pressa la queue de détente. Une échappatoire limpide et une douleur interrompue pour toujours. Les sanglots de Barbara muèrent en cris d'horreur mêlés du chagrin violent de cette vision infernale. Nathaniel statufié, vêtements maculés de rouge.
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