Chapitre 2-4
La zone qui descendait du château et longeait la rivière, avec la grande rue pour frontière, était désignée comme « zone libre » par ses habitants et comme « quartier négationniste et populiste » par le gouverneur vert de la région XXXI, Mehmet Tabite Ocu.
Karl Ludwig ne fit pas plus de trois pas dans la zone libre quand une voix féminine surgit de la pénombre et lui intima de s’arrêter.
— Les bras en l’air. Qui es-tu et que viens-tu faire chez nous ?
— Karl Ludwig, je suis le fils de Martin Ludwig que…
— Épargne ta salive. Être un « fils de » ne prouve rien pour nous. Dans notre siècle, tellement de « fils de » ont craché sur leurs géniteurs que cela ne prouve plus rien.
— Je viens de me faire frapper par des gardes verts.
Le faisceau d’une lampe se fixa sur son visage.
— Poireau ?
— Je pense, oui.
— Un bon point pour toi, mais des fausses victimes qui se révèlent être des espions, nous en avons déjà eu assez. Trouve autre chose de plus convaincant.
— J’ai été frappé par Hans Mader.
— Ce n’est pas un argument. Il est tellement con, il serait capable de frapper son supérieur sans le reconnaître.
— Je connais le mot de passe.
— Tiens, tiens… Nous t’écoutons.
— « Il faut montrer patte blanche » !
— Qui te l’a donné ?
— Jochen Wolfgang. Il peut répondre de moi.
La voix dans le noir marqua une pause. Visiblement, Karl avait fait mouche.
— Bien, tu as le droit de rentrer dans le territoire libéré, mais nous aimerions savoir ce que tu viens faire ici. Nous ne sommes pas un parc d’attractions.
Cette voix… Une voix féminine, posée, sure d’elle… Il aurait juré qu’il l’avait déjà entendue…
— J’ai rendez-vous chez l’imprimeur.
— L’imprimeur ?
La voix avait cette fois tressailli.
— Qui est ton contact chez l’imprimeur ?
— Jochen.
— Connais-tu le chemin ?
— Non.
— Je vais t’accompagner. Vous autres, continuez d’ouvrir l’œil. Je reviens tout de suite.
La lampe s’éteignit. Karl Ludwig distingua vaguement une silhouette qui s’approchait.
— Pas un mot. Tu me suis sans poser de question.
Toujours cette voix. Mais où l’avait-il déjà entendue ?
Il suivit l’ombre, ce qui par une nuit d’hiver sans lune et sans lumière, fut une épreuve digne d’un jeu télé.
Ils descendirent la rue, en direction du Neckar, puis s’engagèrent dans une ruelle sur la droite, puis encore à droite, puis ils s’engagèrent dans un court tunnel, puis… Karl comprit qu’il était inutile d’essayer de mémoriser le trajet, sa guide prenant un malin plaisir à rallonger le parcours.
Un groooouuuuiiiikkkk retentit dans la rue, provenant de ce qui semblait être une courette
— Vous élevez des cochons ? C’était donc vrai ?
— Évidemment, tu n’es pas chez les végans ici, tu es en territoire allemand libre.
Il avait entendu la voix sourire.
Il se trouvait vraiment dans la zone libérée.
Annotations
Versions