Pas ouf !

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La circulation à cette heure est encore dense. Il fait nuit noire. Le monde autour de nous semble converger dans la même direction. Les automobilistes se sont donné le mot, ce sont de vrais escargots. À moins que ce soit leur façon de conduire. Enfin un autre soir pourquoi pas ? Sans me presser, j’apprécierai de flâner dans les rues pour découvrir les moindres pépites de cette ville en perpétuelle effervescence. Là pour l’instant, la seule enseigne lumineuse qu’il me tarde de voir se dessiner dans l’obscurité serait celle de l’hôpital. Rose, assise dans le siège passager, a les bras croisés sur sa poitrine pour essayer de contenir les battements de son cœur. Et ce putain de GPS qui ne cesse de beuguer, c’est le bordel !

— Rassure-toi Rose, ils sont arrivés à temps.

— S’il lui arrivait quoi que ce soit…

— Ne dit pas de bêtises, là stoppé-je net, les secouristes nous ont dit que tout irait bien, faisons-leur confiance.

— Qu’est-ce qu’ils en savent ? lâche-t-elle en paniquant.

— Ils ont une expérience bien meilleure de ces choses que nous.

— Mais c’est ma mère et je l’aime plus que tout. Et je n’ai pas eu le temps de le lui dire avant qu’elle ne parte.

— Alexis est à son chevet, il se chargera de la rassurer et parlera pour vous deux.

— Mais putain, elle était inconsciente, tu veux qu’ils lui racontent quoi. Réfléchis, un peu.

— Il est à ses côtés, dis-je le plus calmement possible, elle pourra sentir sa présence. Il lui tenait la main.

— Accélère s’il-te-plait, me crie-t-elle.

— C’est impossible à moins de sortir mes ailes.

J'essaie de plaisanter pour faire retomber la pression. Le trafic ne se fluidifie pas, les feux rouges s’enchaînent. Les éléments se liguent contre nous, un convoi exceptionnel se joint au cortège. Je comprends qu’elle s’impatiente, ses doigts pianotent sur son téléphone, elle doit envoyer un message à son frère pour avoir plus d’informations quant elle le balance dans son sac en criant :

— Putain de réseau.

Je resserre mes doigts sur le volant. J’essaie de me concentrer sur la route malgré la boule qui grossit, me serre l’estomac et me malmène depuis le départ. Si Rose avait conscience que tenir sa mère dans mes bras en sang et inconsciente s’est avéré être une torture, peut-être ne me hurlerait-elle plus dessus. Je ne suis pas persuadé qu’elle comprendrait mon histoire. Je n’ai aucune raison de l’emmerder avec mon passé, surtout quand son présent est chamboulé et son avenir incertain. J’ai le sentiment que ce putain de balafré me poursuit où que je sois et appuie avec un malin plaisir sur ma blessure. Ce connard se délecte à écarter mes chairs pour me signaler que la cicatrice sur mon bras restera à jamais tatouée. Ce fil tracé sur ma peau me rappellera sans cesse ces deux soirs cauchemardesques. Celui où ma mère a échappé son dernier souffle et celui où cet empaffé a essayé de me tuer. Mes yeux se brouillent, je ne vois pas qu’au dernier moment le pare choc de la voiture qui nous précède. Je pile. D’un seul coup, un air glacial s'engouffre dans l'habitacle et me fait prendre conscience que Rose n’est plus à mes côtés. Elle vient de s’extirper du véhicule, profitant du feu rouge. Je me fraie un chemin pour me garer tant bien que mal sur le côté, empiète sur un bout de trottoir, et me précipite pour la rattraper. La pluie fait son apparition. Je la saisis par la main, dans ma précipitation je glisse et nous terminons à quatre pattes sur le trottoir sous le regard médusé d’un couple à l’abri d’un arrêt de bus. Rose se débat pour s’échapper. Je tente de la retenir. Voilà pas que le mec, un grand baraqué m’attrape par le colback.

— Eh lâche la demoiselle, apparemment elle ne semble pas d’accord.

— Non, c’est pas du tout ce que tu crois, dis-je en tentant de m’extraire.

— Je ne crois que ce que je vois, et là elle veut que tu lui fiches la paix. Maintenant, me crie-t-il le poing en l’air prêt à s’écraser sur mon visage.

— Tout doux, ok. Mais je te promets que je ne veux lui faire aucun mal.

Rose est toujours à genou, elle ne semble pas réaliser ce qu’il se passe autour d’elle. La jeune femme si pétillante ne dit plus aucun mot, sous le choc, tétanisée.

— Viens te mettre à l’abri, lui suggère la compagne de monsieur Malabar.

Pas le temps de finir sa phrase que Rose repart en courant. J’essaie de la suivre quand mon garde du corps me chope par le bras et me balance contre le rebord de l’abri bus.

— Laisse-là filer, elle n’a pas besoin d’un gugus comme toi.

— Ok j’ai compris que tu voulais jouer au chevalier servant, mais c’est toi qui te gourre.

— Ecoute, tu expliqueras ça à la police, ajoute-t-il en posant sa main sur mon épaule pour me maintenir à terre.

Non mais c’est pas vrai, j’ai l’art et la manière de me retrouver dans de sales draps. Deux choix se proposent à moi, je lui mets mon poing dans la figure et j’essaie de retrouver Rose au plus vite avant qu’elle ne fasse pas gaffe et se fasse renverser. Pas sûr que cette option soit à mon avantage, vu sa carrure, nous ne combattons pas dans la même catégorie. Est-ce que ce serait une bonne idée, de me faire un nouvel ennemi sur cette terre ? Ou j’essaie de lui expliquer la situation le plus posément possible. Peut-être pourrai-je l’amadouer ? Mais l’arrivée de la police stoppe net toutes mes réflexions. Monsieur le justicier de la veuve et de l’orphelin se charge quant à lui à me tailler un costume pour l’hiver. Personne ne me laisse en placer une, les accusations fusent de toute part. Je ne sais plus où donner de la tête. J'observe le gars de la fourrière embarquer la voiture familiale. La note va être salée. Sans parler que je n’ai aucun justificatif pour mon permis de conduire. Manu militari, je me retrouve à l’arrière du véhicule de la police menottée. Cette journée va-t-elle enfin se terminer ? Je me demande si Rose a repris ses esprits, retrouvé un minimum de lucidité et si elle est arrivée à bon port. La providence me permet de le constater par moi-même. Nous passons devant l’hôpital et avec soulagement je l'aperçois qui franchit la porte des urgences, un homme l’attrape dans ses bras, sûrement son père. Je ressens une forte douleur me transpercer de part en part, par pitié j’espère qu’il lui a annoncé que tout allait bien.

Les gouttes d’eau martèlent le pare-brise à l’arrière, les policiers, assis à l’avant, discutent sans tenir compte de ma présence. Le silence de la nuit enveloppe l’intérieur de l’habitacle . Comment vais-je me sortir de cet imbroglio ? Je ferme les yeux, les traits du visage de ma mère se mêlent à ceux de Marie Rose. Je viens de revivre mon cauchemard. Je me sens mal, désemparé et seul au monde. Qui viendra me tendre la main ? Qui se tiendra à mes côtés ?

La voiture se stoppe devant le poste de police, les deux agents qui m’accompagnent ne sont pas bien plus vieux que moi. Ils ne m’ont pas laissé ouvrir la bouche. De toute façon, je n’en suis pas capable. J’erre comme une âme en peine dans un nouveau monde, il m’a sourit un temps éphémère. Ils prennent mes effets personnels avant de me conduire dans une salle pour prendre mes empreintes, me tirer le portrait et me préciser que je n’ai droit qu’à un appel. Mais qui pourrais-je contacter à cette heure pour me sortir de ce mauvais pas ? Après tout, je n’ai rien fait de mal, j’ai juste tenté de sauver une vie. J’espère qu’au moins j’ai pu y contribuer. Puis, je voulais conduire Rose au chevet de sa mère, rien de répréhensible. Assis, seul, sur un banc dans une cellule, ma tête entre les mains, j’attends en songeant à ce grand balourd qui a tout compris de travers. Comment pourrais-je l’accuser de quoi que ce soit ? Après tout, j'aurais été capable de faire la même chose si j’avais eu le sentiment qu’une personne puisse être en danger. Je souris désabusé en passant mon index sur la cicatrice qui lézarde l'intérieur de mon bras. Finalement ma vie se résume à une succession d’emmerdes, direction la prison sans passer par la case départ. Encore une fois, je suis dans un sacré bourbier.

— Bon, le frenchy, qui veux-tu appeler ? me demande celui qui semble être leur chef.

— Personne.

— Tu déconnes, tu as tout de même le droit à un coup de fil.

— Je n’ai rien fait de mal.

— Ouais, c’est ce qu’ils disent tous.

— Moi, c’est le cas.

— Oh toi, tu me plais, tu as de la chance, je suis dans un bon soir.

— Eh bien, c’est toute la différence entre vous et moi.

— Sortez-moi le de là, dit-il à ses collègues à l’accueil. Emmenez le dans mon bureau avec deux cafés bien noir.

J’ai l’impression d’être dans un vieux polar des années cinquante qu’affectionne Manu, je suis le client idéal. Si le chef du commissariat savait que j’ai l’habitude. Je collectionne les coups. Cet été, j’en ai encaissé plus que la moyenne. Je devrais m’inscrire dans une salle de boxe, non pas pour m’apprendre à distribuer des hypercuts, non juste pour mieux les amortir. Au moins, je saurai pourquoi je suis l’éternel punching ball ces derniers temps. En attendant, si je peux boire un café pour me réchauffer, je ne suis pas contre. Pour le reste, je ferai le dos rond, laisserai glisser et quand ils seront prêts à m’écouter, j’en placerai une. Raisonnablement, je vais éviter de jouer au malin. Est-ce cette partie de moi qui t’a effrayé Manu ? As-tu eu peur que je gâche tout en jouant au bad boy, casse-cou? Où sont tes bras, j’en aurai tellement besoin, sentir le doux parfum de ta peau, le goût de tes lèvres.

— Suis-moi, s’il-te-plait me demande l’inspecteur qui me ramène à Montréal sans préavis.

— Vous voulez que je fasse quoi d’autre ?

Eh merde, dire que j’avais dis que je tournerais ma langue sept fois dans ma bouche avant de laisser mes mots s’étaler.

— Fais pas ton caïd !

— Ok.

Ce qui m’embête dans cette histoire, ce ne sont pas les éventuelles cicatrices à venir, mais de ne pas pouvoir contacter Alexis pour avoir des nouvelles rassurantes de sa mère. Comme un con, j’ai oublié de lui demander son numéro de portable. Pire, je ne connais même pas son nom de famille.

Je pourrai appeler Camille, mais au vu de l’heure et du décalage horaire, elle prendrait peur. J’attendrai demain si d’ici là je n’ai pas trouvé une autre solution, je la contacterai.

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