Retour au calme

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Je n’en crois pas mes yeux, devant moi se dresse le CHUM. Dans d'autres circonstances, j’aurai trouvé les abréviations amusantes et je jouerai avec les lettres pour leur donner une signification plus appropriée. Dans l’instant, il me tarde de retrouver mes amis. Le centre hospitalier universitaire de Montréal m'ouvre ses portes sur un grand hall coloré. Les murs sont décorés de dessins, sous chacun d’eux on a ajouté une photo de l’artiste en herbe avec un commentaire. Je parcours les aquarelles du regard et m’arrête sur un cerisier en fleur où s’est déposé un papillon arc-en-ciel. Sur le cliché, je découvre un adolescent, avec un tatouage “infini” sur son crâne rasé. Sur l’encart, le mot posé me bouleverse : “si je devais réaliser un rêve alors ce serait celui de m’abandonner dans les bras de mon chum aux pieds du Mont Fujiyama”. Il y a tant de force, de courage et de détermination dans ses yeux bleu-vert. Il me fait penser à mon amie Amélie, atteinte d’une maladie orpheline, elle était une des patientes de ma mère. Aujourd’hui, elle est retournée vivre en Angleterre, sa maladie est en sommeil. Jamais, je ne l’ai vu abandonner ou maudire son sort. Cette jeune femme souleverait des montagnes s’il le fallait. Dès que j’aurai pris mes marques sur le sol canadien, je lui enverrai des photos des paysages parsemés le long de ma route. Si j’ai l’occasion de voir une aurore boréale, j’essaierai de l'immortaliser, je le lui ai promis.

Je parcours le panneau d’informations. J’ai la confirmation qu’il y a bien un service de cancérologie pour enfants. Ma mère a tant donné d’elle pour soulager la vie de ses patients, ses recherches lui tenaient à cœur. Quelque fois, je me dis qu’elle aurait dû se contenter d’accompagner ses malades sans vouloir jouer aux apprentis sorciers. Ce maudit antelax lui a coûté la vie. Maintenant, je sais que dans mes veines coulent ses espoirs et ses combats. Elle détestait l’injustice, la méchanceté gratuite, les opportunistes, les hypocrites, je marche dans ses pas chaque jour avec fierté. J’avance dans le couloir à la recherche de la chambre de la mère de Rose quand je croise une infirmière. La jeune femme m’indique la direction et me précise que l’heure des visites est bientôt terminée. J'accélère.

Rose, plantée devant la machine à café, s'impatiente et secoue l'appareil. Si elle continue, elle va alerter tout l'étage. Quand elle me voit approcher, elle abandonne le distributeur, pousse un cri et se jette à mon cou. Décidément, cette fille est une boule de flipper.

— Oh Zach, je suis désolée. Comment pourras-tu me pardonner ? J'ai fait n'importe quoi.

Elle termine sa phrase et fond en larmes dans mes bras. Sa tête vient se caler sur mon torse, je sens tout son corps se relâcher.

— Tout va bien à présent, dis-je en caressant ses cheveux pour la rassurer.

— Mais tu as fini au poste par ma faute.

— L'expérience fut positive.

— Quoiiii, dit-elle en reprenant des couleurs. Me dis pas que t'as aimé ça !

— Pas vraiment, mais j'ai rencontré un inspecteur bienveillant.

— Vas-y raconte.

— Rose, laisse donc un peu d'air à ce jeune homme, dit une voix au fond du couloir. Bonsoir, vous devez être Zach.

— Oui, monsieur.

L’homme, devant moi, est le portrait tout craché de son fils Alexis.

— Merci d’avoir aidé ma femme. Je vous en suis reconnaissant.

— Comment va-t-elle ?

— Marie-Rose a un traumatisme crânien et quelques points de suture. Les médecins souhaitent la garder en observation pour la nuit.

Je pousse un ouf de soulagement. S'ajoute à cette respiration un bâillement que je ne peux contenir. Le père de Rose me serre vivement la main avant de rejoindre la chambre de sa femme.

D'un commun accord, avec Rose et Alexis nous décidons de rentrer. Entre-temps, ses copains l'appellent pour prendre des nouvelles. Rassurés, ils nous proposent de les rejoindre à la fête. Nous déclinons l'invitation. Même si l'état de leur mère est stabilisé, nous avons besoin de souffler et de dormir après cette journée sans fin. Pour ma part, je rêve d'un repas. Puis, d'un lit où je m’allongerai et me blottirai dans les bras de Morphée. Sur le chemin du retour, je raconte mon épisode au poste de police. Rose culpabilise et renouvelle ses excuses. Elle se sent fautive et n'en revient pas d'avoir perdu toute notion de la réalité. Elle m'avoue avoir avancer jusqu'à l'hôpital en mode zombie. Son corps fonctionnait, sa tête affichait le vide complet.

La ville est impressionnante avec toutes ses lumières, les rues s’animent inlassablement. Alexis gare la voiture de son père dans l'allée là où se trouvait celle de sa mère, il y a encore quelques heures. J’ai appris en cours de route qu’il pourrait la récupérer sans problème le lendemain matin à la fourrière. L’inspecteur a fait le nécessaire pour que l’amende soit retirée. Arrivé sur le palier, Maëva ouvre des bras accueillant dans lesquels Alexis se jette. Je comprends sans mal son envie de se sentir en sécurité. De mon côté, je file à l'étage pour prendre une douche. Le filet d'eau chaude se déverse sur mes épaules. L'effet est magique, tout mon corps se détend.

Dans la chambre prêtée pour la nuit, j'apprécie le calme qui y règne. Un fond musical arrive du rez-de-chaussée, je reconnais le morceau jazzy. J'enfile un survêtement et un polo, ils feront l'affaire pour la soirée. Je prends un sweat au passage, la fatigue me rend frileux. Je regarde mon téléphone et constate que mon père et Grandma m'ont envoyé un petit mot pour me souhaiter "bonne nuit". Je leur réponds et me garde bien de leur parler de quoi que ce soit. Je profiterai d’une lettre pour leur raconter mes péripéties.

J'arrive dans la cuisine, la table est mise. Plus aucune trace de l'accident n'est visible, tout a été nettoyé. Je propose mon aide pour me rendre utile et m’occuper l’esprit. Rose me tend une bière et me dit :

—Tu plaisantes, tu es notre invité. Alors pose-toi et profite.

— Mais tout de même, protesté-je.

Pas le temps de terminer ma phrase qu’elle m’ordonne de m'asseoir.

Je n'ose pas la contredire et m'exécute. Nous dévorons des pancakes. Cette scène me ramène à deux mois en arrière. Une tablée, Grandma, Camille et sa grand-mère, Étienne et Manu, nous discutons. Ces doux souvenirs, même s’ils ont donné lieu à des problématiques tout aussi cocasses, resteront des moments que je n’oublierai pas. L’accueil, ici, est sincère et chaleureux. Cette famille ressemble à la mienne, une porte ouverte sur le monde, une main tendue à un inconnu, une oreille attentive, un regard bienveillant. Leur présence me fait du bien.

J’écoute Alexis et Rose parler de leur mère avec tendresse, il se dégage de leurs mots, tant d’amour. Mon cœur se serre quand la question redoutée arrive. Je ne peux plus l’éluder et leur avoue que la mienne est morte quand j'avais quinze ans. Un malaise envahit la pièce. J’ai plombé l’ambiance. Mais pour une fois, je ne veux pas commencer une nouvelle amitié par un mensonge. Alors, je leur raconte à mon tour la femme formidable qu'elle était et relate un de mes derniers souvenirs agréable partagé à ses côtés. Ils me regardent avec compassion.

Alexis choisit de changer de sujet, sans le percevoir il m’offre une issue de secours.

— Ça vous dit de mater un film ? propose-t-il avec enthousiasme.

— Oh oui, s’écrie Rose, enfin si tu n'es pas naze Zach.

— Non, c'est une excellente idée.

— Lequel ? dit-elle impatiente. Qu'est que tu aimes ?

— Comme vous voulez. Avec mon père et Manu, tous les vendredis on se faisait une soirée pizza et film. Alors, je suis toujours partant.

— Super, je vais faire des boissons chaudes. Ça vous tente ? Tu viens m’aider Maëva.

Avec Alexis, nous nous dirigeons vers le salon et commençons à feuilleter les propositions qui défilent sur l’écran.

— Zach, as-tu une préférence ?

— Je serai tenté par un truc léger mais après je m’adapterai.

— Tu sais quoi, on ferme les yeux, je fais dérouler et tu dis stop.

— Ok, ça me va.

Nous sommes partis pour visionner une comédie canadienne de deux mille onze, le sens de l’humour. Rose me tend un mug d’où se dégage une bonne odeur de thé au caramel. Mes doigts posés sur le récipient se réchauffent et les volutes de fumées m’emportent en d’autres lieux. Des réminiscences de mon passé remontent en surface quand mes lèvres effleurent le bord de la tasse. Un délicat parfum de miel tapisse mon palais, j’ai le sentiment de faire un bond en arrière. Assis sur la balancelle de Mésange, la Lune effleure le visage de Manu de ses rayons opalins. Mon "chum" est à mes côtés, nos regards parcourent l’horizon, nos pouls battent à l’unisson, nos mains se frôlent, agréable frisson. Un sourire se dessine sur mes lèvres, merveilleuse sensation. Le générique se lance et m’extirpe de ce joli songe.

Luc, blasé et antipathique, et Marco, enjoué et dynamique, sont deux humoristes à la marge qui font la tournée des petites villes québécoises. Trop cérébral ou trop vulgaire, leur unique numéro consiste à insulter leur auditoire. À Anse-au-Pic, ils posent leur dévolu sur un cuisinier timide et renfrogné du casse-croûte local. Et là tout s’accélère, il s’agit d’un tueur en série qui vit dans une ferme isolée avec son père. L’histoire se tisse autour des trois protagonistes, le ravisseur perfide et ses deux otages. Prêts à tout pour sauver leurs peaux, le duo lui propose un marché : lui enseigner l’art de la comédie pour charmer la belle Stéphanie que Roger aime en secret. Embarqué dans l’histoire, je me laisse porter. Il me faudrait quelques sous-titres pour pouvoir comprendre toutes les subtilités de leur verbiage mais comme souvent dans ces cas-là, le rire est contagieux.

Minuit sonne au carillon, je ne suis pas sûr que je verrai la fin de cette trépidante histoire. Dans le canapé d’angle, Alexis est calé entre sa sœur et sa chérie. Chacune a posé sa tête sur son épaule. J’ai choisi le rocking-chair dans lequel mon corps s’enfonce peu à peu. Il est d'une efficacité redoutable, le mouvement me berce et mes yeux se ferment sans que je ne puisse rien y changer.

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