Même pas mal !

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Quand j’ouvre les yeux, il ne doit pas être loin de midi, le soleil traverse le vasistas au-dessus de mon lit. Je m’étire et apprécie cette grâce matinée providentielle. Je me rappelle d’un coup d’un seul que mon portable s’était allumé avant que je tombe comme une souche. J’essaie de l’attraper sans m’extraire de la douceur de la couette. Je tends mon bras, pas moyen de le saisir, j’ai bien peur de ne pas avoir d’autres choix que celui de me lever. Je pose un pied au sol, puis le second et quand je découvre l’avatar de Manu je plonge au milieu du tapis. Décidément, il me fait faire n’importe quoi. Je suis étalé sur la carpette, les fesses en l’air. Je me retourne, réalisant que je ne suis pas seul dans la chambre, puisque j’ai proposé à Lucas de rester dormir à la maison. Je n’entends que le bruit de ma respiration et en jetant un œil par-dessus mon épaule, je constate que le canapé est replié, tout est rangé, aucune trace de sa présence. Au même moment, j’entends toquer à ma porte et la voix d’Harry qui me demande :
— Mon p’tit Zach, tout va bien ?
— Oui, oui, je me suis pris les pieds dans le tapis, mais tout est ok.
— Brunch ça te dit, vu l’heure ?
— Parfait.


Je me demande si Lucas attend en bas ou s’il est parti ? Je me relève, file vers le point d’eau pour prendre une douche, oubliant mon but premier : consulter mon message. Mon envie de voir ce que Manu m’a écrit reprend le dessus, je reviens sur mes pas et me cogne le gros orteil dans le pied du bureau. J’expulse un putain en même temps qu’une larme glisse sur ma joue. Je saute à cloche-pied jusqu’à mon lit et frotte énergiquement la zone. La douleur se diffuse dans toute ma voûte plantaire. Voilà une journée qui ne démarre pas sous les meilleurs auspices. Je devrais demander à Léa de me faire un tirage pour me confirmer mes impressions. Cet après-midi, il serait plus raisonnable que je ne fasse pas de folie. En même temps que la pensée m'effleure, un deuxième texto arrive sur mon téléphone.

Quand je découvre qu’il s’agit de mon amie, je ne peux contenir mon fou rire. Je regarde ce qu’elle m’a écrit et en apercevant le commentaire je ne peux résister de lui répondre : “tu ne penses pas si bien dire, mon doigt de pied a doublé de volume, j’ai un mal de chien”. Elle me répond dans la foulée “tu as fais quoi ?” “Du Zach dans ses grandes largeurs, j’ai foncé sans regarder où j’allais” “Et du coup, tu vas faire quoi ? Urgences ?” “Non, tenir compte de tes conseils, rester tranquille pour bosser, les orteils dans la glace” “Tu penses pas qu’il pourrait être cassé” “Si c’est le cas, ils ne pourront rien faire de plus” “Bouge-pas j’arrive et t'emmène à l’hôpital pour un diagnostic plus précis” “Tu es sûre que tu n’as rien de mieux à faire ? “Que de venir en aide à un ami. Absolument” “Léo ?” “Il vient juste de partir, on se fait un cinéma ce soir” “ Top, content pour vous deux” “Bon allez, on en discutera mieux, je suis là dans une demi-heure, tu tiendras” “ Bien sûr, d’ailleurs Harry doit m’attendre”.


Je me lève pour constater les dégâts, à peine je pose le pied au sol que j’ai un mal de chien. Je marche sur mon talon pour ne pas accentuer la douleur, passe vite fait sous la douche en faisant attention de ne pas glisser, me sèche, enfile un survêtement, mon hoodie et tente de mettre mes chaussettes avant d’abandonner l’idée pour mon pied droit. J’attrape au passage mon sac à dos, jette mes papiers et mon téléphone. Je descends les escaliers sur un pied en me tenant à la rambarde pour me soulager. Arrivé dans la cuisine, Harry s’affaire derrière les fourneaux, une bonne odeur se glisse dans mes narines.
— Zach, installe-toi, tout est prêt.
— Ça sent trop bon, dis-je en me léchant les babines.
— T’en as mis du temps, tout va bien ? me demande-t-il en me tendant mon assiette garnie d'œufs brouillés et de bacon grillé.
— On va dire juste un incident de parcours, précisé-je en lui montrant mon orteil.
— Comment as-tu fait ton compte ?


Au moment où il me pose la question, je réalise que je n’ai toujours pas lu le message de Manu. Je me penche pour attraper mon sac qui repose au pied de la chaise, et voilà que celle-ci se déséquilibre, je pars en arrière et je manque de finir la tête la première dans le frigo.
— Hé jeune homme, attention, tu vas finir par te casser en mille morceaux, me dit Harry en me rattrapant juste à temps.
Décidément l’univers se ligue contre moi, comme si je ne devais pas lire les quelques mots de Manu.
— Au fait, j’ai croisé un jeune homme en rentrant.
— Ah oui Lucas, je lui ai proposé de dormir à la maison, il habite de l’autre côté de la ville chez son père. J’ai pensé qu’au vue de l’heure ce serait plus simple pour lui.
— Pas de soucis, tu n’as pas à te justifier. Je t’avais dit que tes amis étaient les bienvenus. D’ailleurs il m’a demandé de te remercier pour tout et s’est excusé de devoir partir aussitôt mais apparemment il prenait son service à midi.
— Je comprends mieux, il m’avait dit qu’il bossait mais ne m'avait pas précisé l’heure à laquelle il débutait. Il fait des extras pour financer ses études, il ne veut pas être un poids pour son père.


À cette dernière remarque, je constate que Harry est tout à coup ailleurs. Je sais très bien à quoi il pense ou plus précisément à qui il pense. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure, son fils lui manque. Aussi, je décide de reprendre le cours de la conversation pour ne pas le laisser errer dans des terres que je ne connais que trop bien.
— Encore merci de nous avoir laissé ta maison pour notre soirée.
— Vous vous êtes bien amusés ?
— Nickel et toi ta nuit d’enquête.
— Nous avons fait chou blanc, pas facile de mettre la main sur des traficants, ils nous filent à chaque fois sous le nez. Je ne perds pas espoir, nous avons quand même réussi à obtenir un nom et une piste.
— Je peux te demander de quel trafic il s’agit.
— De drogue ou plutôt je devrais dire qu’il y a un nouveau produit en circulation qui serait indétectable par nos chiens.


Cette fois, à mon tour de rester sans voix et de me murer dans un silence pesant. Je rêve où il est en train de me dire qu’il enquête sur ce que je crains depuis mon arrivée ici. Après, il m’a aussi précisé qu’il menait encore des enquêtes en collaboration avec Jérémie, est-ce qu’il y aurait un rapport ? Je tente une seconde question même si j’ai conscience qu’il ne pourra rien me dire.
— Est-ce que cela pourrait avoir affaire avec mon passé ?
— Je ne sais pas encore Zach, mais j’espère que non.
— Tu peux me dire le nom du produit ? Ou secret professionnel ?
Il hésite et ne me répond pas.
— l'Antelax ? osé-je.
— Joker, me dit-il.
Cette réponse je l’ai déjà utilisée avec mon père, donc cela confirme mes suspicions. J’en reste là pour l’heure. Nous poursuivons notre discussion en parlant de la soirée et de mes amis. La douleur à mon pied ne s’estompe pas, le froid l’a soulagé un instant mais maintenant que la glace est fondue je sens les picotements se propager et l’hématome qui est apparu ne laisse planer plus aucun doute. La sonnette retentit.
— Je pense que c’est mon amie Léa.
— Bouge pas, je vais lui ouvrir.
J’en profite à nouveau pour mettre la main sur mon portable, cette fois en faisant bien attention de ne pas me lancer dans une cascade. Pas le temps de le sortir de mon sac que mon amie fait son apparition accompagnée de Léo et Noah.
— Mais qu’est-ce que vous faites ici ? demandé-je surpris de les voir débouler.
— Tu pensais pas qu’on allait te laisser dans la panade, me dit Noah en me tendant une paire de béquilles.
— J’ai emprunté la voiture de mon père, enchaîne Léo qui attrape mon sac.
— Je vois que tu es entre de bonnes mains, je vais pouvoir aller me poser avant de reprendre mon service, nous dit Harry tout en se dirigeant vers le salon.


Je m’installe à l’arrière de la voiture familiale entre le siège auto et Léa. Chaque mouvement de mon pied est insupportable. Dehors le thermomètre affiche moins cinq et les premiers flocons accompagnent notre trajet à l’hôpital. En à peine un mois, c’est mon deuxième passage en ces lieux, la première fois c’était pour m’assurer que la mère d’Alexis et Rose n’avait rien de grave, depuis elle a retrouvé la grande forme. Cet après-midi, à mon tour de visiter le service orthopédique. J’espère que cela ne deviendra pas une visite récurrente. Prison - hôpital - embrouilles - hôpital, un sacré combo que je m'approprie où que je sois sur terre.


Léa est restée avec moi dans la salle d’attente, Noah et Léo sont repartis, ils étaient attendus pour leur entraînement et avaient promis de nous récupérer dès que j’en aurai terminé. Nous attendons depuis une demi-heure quand une infirmière se présente avec un fauteuil roulant.
— Le carrosse de monsieur est avancé, me dit Léa avec un air taquin.
— Vous savez je peux marcher, affirmé-je tout en me levant.
Fais ton malin Zach, la douleur vive me fait lâcher un soupir et une grimace.
— Raisonnablement, je pense que vous devriez profiter du confort de nos modèles nouvelle génération, me conseille le jeune médecin qui arrive à son tour.


J’accepte ce moyen de transport pour me rendre jusqu’à la salle d’examens. Je réalise tout à coup que je ne pourrai plus aller courir à ma guise. J’ai pourtant besoin de cet effort pour chasser mes doutes. Le docteur m’aide à grimper sur la table d'auscultation et commence son interrogatoire.
— La douleur sur une échelle de un à dix ?
— Si je dis onze, vous pensez que je suis trop douillet ?
— Pas du tout, me répond-il en souriant. On parle même de douleur térébrante, elle est semblable à celle que provoquerait un objet en pénétrant dans le corps.
— Je ne vous dirais pas le contraire. C’est comme si mon cœur s'était positionné sur le gros orteil et que je sentais ses pulsations.
— Le diagnostic va être simple, aux vues des premiers éléments visibles, de la description précise de l’accident domestique et de vos ressentis, il s’agit bien d’une fracture, dit-il en poursuivant son exploration de mon pied.
Je l’observe, il ne semble guère plus vieux que Lucas ou Alexis, pourtant tous ses gestes sont précis et doux. Il passe son doigt avec délicatesse sur la zone sensible et m’apporte des informations complémentaires :
— Là, tu, je peux te tutoyer, me demande-t-il avant de poursuivre.
— Oui pas de soucis.
— Donc, je disais cette partie violacée, tuméfiée et sensible à la moindre sollicitation est le signe clinique d’une fracture. De tous les indices récoltés, l’hématome est certainement le plus éloquent.


Je réalise que les médecins, les policiers ou les journalistes, ont tant de points communs, chacun cherchant le moindre détail qui permettra au mieux pour le premier de trouver le meilleur diagnostic pour guérir le patient. Pour le second de mener l’enquête afin de trouver les preuves nécessaires pour incarcérer les trafiquants ou meurtriers. Et pour la dernière catégorie, récolter des tas d’informations pour mettre à jour les points essentiels pour élucider les enquêtes. Dans ce cabinet, je découvre que tous ces domaines sont des plus passionnants. J'imagine sans mal le médecin légiste en collaboration avec l’inspecteur pour chercher la paille dans une meule de foin.


— Zach, m’interpelle l’interne, c’est bien ça Zach Dos Santos. Donc je te disais que tu serais gêné pour la marche, j’ai pratiqué une syndactylie, on ne peut pas plâtrer cette zone; du coup j’ai attaché ton orteil à son voisin avec une bande. Je te prescrit des antalgiques pour la douleur et une chaussure ouverte sur le dessus pour décharger l’avant-pied.
Je commence à comprendre que les prochains jours vont être compliqués aussi j’ose lui poser tout de même la question :
— Pour la course c’est mort ? Est-ce que je peux pratiquer une autre activité parce que j’ai vraiment besoin de me dépenser ?
— Nager ou du vélo, éventuellement, me suggère-t-il.
— Ok parfait merci, tu me sauves la mise.
— Si ça te branche, je vais nager tous les vendredis midi à la piscine avec mes deux potes, me propose-t-il.
— Pourquoi pas !
— Donne-moi ton numéro, je t'enverrai les informations. En attendant la fin de semaine, c’est repos. Au fait, moi c’est Oliver.


J’attrape mon portable et m'aperçois que je n’ai toujours pas ouvert le message de Manu. J’hésite pour finalement aller dans mes contacts pour enregistrer son numéro. Il me raccompagne auprès de Léa. Je n’ai pas vu le temps passer et découvre que Léo et Noah sont déjà revenus et en grande discussion.
— Allez prenez bien soin de votre ami, nous dit le docteur.
Il rejoint son futur patient âgé de deux ans dans les bras de sa maman.
— Dis donc Zach, je rêve, où tu viens d'agrandir ton carnet d’adresse.
— Pourquoi ?
— Parce que je crois qu’il te dévorait des yeux, me dit Léa tout bas.

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