Chapitre 1
– Équipe 3 en position derrière l'hôtel…
La radio crachota, avant que la réponse ne leur parvienne.
– Bien reçu. Toutes les équipes sont en position.
Déborah fixa l'arrière du bâtiment, des fenêtres munies de balcons se succédaient, troublantes dans leur régularité. Tout était calme. C'était normal puisqu'ils étaient dans le petit jardin que l'hôtel avait aménagé, pour que les clients puissent s'y détendre. Évidemment en plein coeur de l'hiver, il restait surtout des arbres nus, et des bancs humides, mais cela devait avoir son charme en été. La jeune femme imaginait sans peine, les massifs de fleurs de toutes les couleurs. Cette image la fit sourire, quand un grognement à son côté la tira de ses pensées.
– Assieds-toi ici, si ça ne va pas.
L'autre ne répondit pas, se contentant de lui jeter un regard noir. Elle commençait à avoir l'habitude.
Romuald se mit à faire les cent pas, dans l'allée. On ne pouvait pas dire qu'il était très concentré sur sa mission. Cependant, sa partenaire ne le lui reprocha pas. A quoi bon quand cela tombait toujours dans l'oreille d'un sourd.
Depuis quand les choses avaient-elles changé ? Cela s'était fait petit à petit et si sournoisement qu'elle n'avait rien vu venir.
Déborah posa les yeux sur son compagnon. De taille moyenne, il avait le teint halé et les cheveux couleur encre qui allaient avec. Un air sûr de lui, sur un visage de séducteur, des qualités qui attiraient généralement les femmes. Elle, bien que sachant l'apprécier, ne s'était pas arrêté à cela. Elle avait vu plus loin que la barbe qu'il entretenait pour se donner un air faussement négligé, et ses mèches rebelles, qui avaient le don de lui tomber dans les yeux, ajoutant un petit côté sexy. C'étaient ses attentions, et leurs discussions enjouées qui l'avait attiré.
Maintenant seul restait un homme qui se négligeait de plus en plus, et ne pouvait parler sans grogner le moindre mot. Mais elle voulait encore y croire. Ce qu'ils avaient partagé ne pouvait pas être mort.
La nuit promettait d'être longue, et froide. Elle jeta un coup d'oeil à Romuald qui frottait ses deux mains l'une contre l'autre. Ce geste lui fit secouer la tête. Sans un mot, elle s'approcha, et posa les doigts sur les siens. Aussitôt une douce chaleur envahit le corps de l'autre.
– Merci.
– Tu aurais dû me demander.
Il haussa les épaules.
Bien sûr, ne pas répondre devait être la meilleure des solutions.
Décidant d'oublier le mauvais caractère de son compagnon, Déborah invoqua des boules lumineuses, qu'elle dispersa ensuite sur tout le terrain. Si jamais quelqu'un venait à entrer ou sortir du périmètre, elle serait assurément mise au courant.
Voyant Romuald qui peinait à marcher, elle ne put s'empêcher de demander :
– Est-ce que tu as pris rendez-vous avec un médico-mage ?
– Comme si j'avais le temps…
Une façon comme une autre de lui dire qu'il n'avait aucune intention de le faire. C'était bien plus simple d'être l'homme fort qui souffrait en silence.
– Tu crois que tu pourras passer la visite médicale dans ton état ?
– J'en sais rien, râla-t-il. Mais peut-être que tu le sais mieux que moi ! Tu as l'air d'avoir ton avis sur la question…
Elle lui tourna le dos, ça ne servait à rien de tenter de parler avec lui.
A nouveau, elle contempla la façade sombre de l'hôtel. Certaines fenêtres étaient allumées, rappelant que des gens vivaient là, pour une soirée ou un séjour plus long. Comment les pièces étaient-elles meublées ? Est-ce que rester la nuit-là, était agréable ? Cela n'avait rien d'une structure de luxe. C'était un endroit à la fois agréable et accessible. De quoi passer de bons moments, même pendant un voyage d'affaire… Après tout la plage n'était pas si loin.
Pourtant c'était ici, qu'un cambrioleur avait décidé de sévir. Vu que personne d'autre qu'un mage l'avait vu, cela donnait un aperçu de ses capacités. Du coup, ils se retrouvaient à poireauter devant l'établissement dans l'espoir d'intercepter le suspect.
En soit cela ne dérangeait pas Déborah, étant membre de la police section ressource magique. Pour elle, c'était une mission comme une autre. Mais cela n'était pas le cas de Romuald qui ne faisait que ressasser des idées sombres, et risquait à un moment ou un autre de s'énerver pour tout et n'importe quoi.
Comme tous ceux qui faisaient ce travail, la jeune femme enquêtait sur tous les crimes et délits liés à l'usage de la magie. Elle-même était une mage aguerrie : une environnementaliste. Elle s'occupait de tout ce qui environnait les lanceurs de sorts. Une discipline vaste mais passionnante. Comme tous ceux de sa spécialité, elle manquait de puissance pour ce qui concernait l'art de se battre. Raison pour laquelle on lui avait adjoint un mage de combat, qui s'avérait être Romuald son compagnon.
Elle le regardait s'agiter sans trouver l'objet de sa colère du moment. Au moins, Déborah avait évité qu'il peste contre le froid.
S'installant sur le banc, elle attendit en silence.
– Tu prends tes aises ?
– Autant être au mieux de sa forme.
Elle tapota la place à son côté, lui indiquant de venir. Avant il aurait saisi l'occasion d'être près d'elle. A présent, il préférait rester debout et se faire mal pour prouver qu'il pouvait le faire. Tout était question de preuves…
– Sérieusement, c'est quoi cette mission débile ?! Qui a eu cette idée de génie ? marmonna-t-il.
Elle l'ignora. Sa mauvaise humeur lui pesait.
– Dis, ça te dirait d'aller manger un truc ensemble, après tout ça ?
– J'ai pas faim, grogna-t-il.
Déborah passa la main dans ses cheveux bruns pour vérifier qu'aucune mèche ne s'était échappé de sa queue de cheval.
– Je ne te parle pas de maintenant, mais de quand on aura terminé…
– Tout ce que je veux, c'est m'allonger et dormir. Chez toi ou chez moi ?
Elle secoua la tête.
– Si tu veux dormir va chez toi…
La mage n'avait pas envie de s'encombrer de lui. Elle avait besoin d'être seule pour réfléchir.
Romuald s'approcha d'elle et lui caressa la nuque, doucement.
– On est pas obligé de dormir, si tu ne le veux pas.
– Désolée, je préfère me reposer.
Et sans toi !
Mais elle n'ajouta pas la dernière partie de la phrase.
– Moi, il me suffit d'être allongé et ça me va.
Combien de temps allait-il continuer son numéro ? Qui essayait-il de tromper en agissant ainsi ? Devait-elle lui répondre ou le laisser continuer de faire semblant que tout allait bien entre eux ?
– Ca, c'est sûr, il vaut mieux que tu t'allonges et que tu ne bouges pas, et ça vaudrait mieux pour nous deux.
L'espace d'un instant, il fut surpris, et son visage se teinta d'amertume.
– Tu veux dire quoi là ?
– Rien. Laisse tomber.
– Non, mais vas-y, dis ce qui ne va pas !
Elle détourna le regard.
– Tu vas faire ton cirque combien de temps ?
Il fronça les sourcils.
– Je ne vois pas de quoi tu veux parler…
A nouveau, elle contempla la façade, avant de tester son maillage magique. Il n'y avait rien de neuf et tout était calme. Elle allait devoir avoir cette conversation avec son compagnon plus rapidement qu'elle ne l'aurait souhaité, et pendant les heures de travail.
Déborah redressa la tête.
– Tu ne vois pas de quoi je veux parler ? Je ne sais pas. Tes piètres performances d'hier peut-être ?!
Il détourna le regard, mâchoire serrée.
C'était dur pour elle de lui dire ça, mais elle voulait provoquer un déclic chez lui. C'était difficile, c'était cruel, mais elle se devait de le faire pour eux deux.
– Ha, c'est ça qui te met de mauvaise humeur ?!
Il inversait tout. La seule personne qui était de mauvaise humeur, ici, c'était lui.
– T'es pas gênée de revenir la dessus, ici et maintenant. Vas-y, fais ça en public, que tout le monde entende ! C'est pas comme si ça ne pouvait pas arriver à tout le monde…
Elle secoua la tête.
– De une, on est seuls dans ce lieu. De deux, je ne parle pas des autres, je parle de toi ! Toi, parce que j'ai bien compris le problème !
– Ha oui, et quel est donc ce problème ?!
– C'est simple. Tu as trop forcé sur ton genou, et tu t'es fait mal !
Il baissa la tête, en voyant qu'elle l'avait percé à jour. En même temps, ce n'était pas difficile.
– Évidemment, toi, il te faut un homme parfait. Un qui n'est jamais aucun soucis.
– C'est vraiment ce que tu penses ?!
Énervée par les propos de son compagnon, elle se releva.
– Tu veux que je te dise ce que je pense de tout ça ?!
– Quoi ?! Tu vas me dire que je suis un mauvais amant, c'est ça ?!
Mais pourquoi prenait-il les choses ainsi alors qu'elle ne voulait que l'aider ? L'aider à comprendre qu'il allait mal et qu'il avait besoin de soutien. Alors que lui, ne s'attachait qu'à l'aspect sexuel de la chose.
– Mais je m'en fiche de ça !
C'était vrai. Si elle lui en voulait, c'était avant tout pour son comportement.
– T'avais pas l'air de détester les fois précédentes ! Mais voilà, on a un problème une fois, et ça y est, on est plus bon à rien pour madame. Tu vas faire quoi ? Me tromper ? Chercher un amant ?
– Stop ! On arrête ! J'en ai assez de ta mauvaise foi, de ton comportement agressif, de ta non intention de te faire soigner !
– Soigner ? Tu veux que je me fasse soigner pour ça ?
Déborah soupira et secoua la tête. Quand arrêterait-il de jouer au con avec elle ?
– Pour ton genou ! Je veux que tu te fasses soigner pour ton genou.
– C'est rien…
– Non, ce n'est pas rien. Tu t'enfiles toujours plus de médicaments, que tu couples à de l'alcool. Tu crois que c'est bon pour ta santé ?
Il ne répondit pas. Elle-même préféra tourner la tête, pour cacher les larmes qui venaient de naître au coin de ses yeux. La mage en avait marre de lui. Marre d'être avec un homme qui ne faisait que se détruire, en croyant que tout était normal et que personne ne le savait.
– Je suis un alcoolique, maintenant ?
– Non, je n'ai pas dit ça. Je dis juste que tu es dépendant et que tu as besoin d'aide.
– Pense ce que tu veux !
Il s'éloigna d'un pas déterminé.
– Encore heureux que je peux penser ce que je veux. Il ne manquerait plus que ça.
Elle croisa les bras sur sa poitrine. En vérité, la conversation l'avait plus affectée qu'elle ne le laissait voir. Petit à petit, la mage comprenait qu'elle ne pouvait rien faire pour lui. La démarche, son compagnon devait l'effectuer seul.
La jeune femme voulait le soutenir, mais elle n'était plus sûre d'y parvenir. Aurait-elle assez de force pour eux deux ? Plus le temps passait, plus elle en doutait. Cela devenait de plus en plus difficile à gérer et elle avait peur qu'à terme, il l’entraîne dans sa chute.
Déborah adorait son travail et ne voulait pas risquer de le perdre. Elle savait qu'elle n'aurait jamais dû entamer une relation avec son partenaire, mais il avait su l'attirer par sa gentillesse et son sens de l'humour.
Il connaissait tout le monde et avait toujours un mot pour chacun. Sa mère l'adorait et le voyait comme l'homme parfait. Tout le monde lui disait qu'ils formaient un couple magnifique. Seulement, de l'intérieur, ce n'était plus la même chose. La peinture s'écaillait, le vernis craquelait et ils devaient faire face aux addictions de Romuald. Choses qu'il paraissait considérer comme secondaires et n'hésitait pas à reléguer à l'arrière-plan pendant leurs conversations.
Après l'attaque qu'il avait subi et qui lui avait laissé de lourdes séquelles, Déborah l'avait soutenu. Elle était présente lorsqu'il se réveillait terrifié au milieu de la nuit. Alors elle le prenait dans ses bras pour le calmer et le rassurer. Caressant tendrement ses cheveux jusqu'à ce qu'il se détende enfin.
La jeune femme avait emménagé chez lui, pour l'aider et faisait ses courses. Elle l'accompagnait dans chacun de ses déplacements alors qu'il marchait lentement avec des béquilles. Certes son état s'était beaucoup amélioré, mais depuis quelque temps, il stagnait. Dès l'instant, où il avait compris qu'il ne retrouverait jamais son état initial et qu'il devrait se servir d'une canne pour avancer, cela avait été la descente aux enfers. Romuald ne l'acceptait clairement pas.
Non seulement, il sortait sans aucune aide pour se déplacer, ce qui ne faisait que fatiguer sa jambe, mais en plus, si on avait le malheur de lui faire remarquer qu'il boitait, on s'attirait sa colère. Il avait décidé qu'il contraindrait son corps et non l'inverse.
Du coup, pour lutter contre la douleur, il se gavait de médicaments anti-douleur, qu'il faisait passer avec de l'alcool. De plus en plus souvent, il s'endormait le soir dans le canapé, après avoir bu plus que de raison.
Bien sûr lorsqu'elle lui en parlait, Romuald disait toujours qu'il allait changer, mais elle ne voyait rien venir. Cette situation la fatiguait plus qu'elle ne le laissait voir. De plus en plus, l'idée de faire sa vie avec lui s'éloignait.
Elle releva la tête, concentrée lorsqu'elle sentit quelqu'un traverser son maillage magique. Tournant la tête dans la direction désignée par sa magie, Déborah s’aperçut que son compagnon avait déjà remarqué le suspect et marchait vers lui d'un pas déterminé. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'il ne lui hurle pas dessus sans raison.
Quittant des yeux la façade de l'immeuble, la jeune femme rejoignit Romuald. A tous les coups, c'était un pauvre civil qui n'avait rien demandé, et désirait juste retrouver sa chambre d'hôtel. Cela n'avait rien de surprenant, compte tenu de l'heure.
L'autre se jeta sur lui.
– On ne passe pas, grogna-t-il.
On ne pouvait guère être plus clair.
– Excusez-moi, mais j'ai réservé une chambre dans cet hôtel, et j'aimerais si possible la rejoindre.
– Bha, c'est pas possible.
Non, c'était lui qui était impossible. Il ne pouvait pas parler comme ça, aux gens. Leur travail, c'était de protéger la population, pas de passer leur nerf dessus.
Arrivant devant lui, elle posa la main sur son épaule et lui fit signe de surveiller le bâtiment. Il lui lança un regard noir, avant de repartir. Finalement, il était plutôt soulagé de la laisser gérer. Il gardait quand même un œil sur le type, mais avec son costume et sa cravate, il doutait que ce soit lui le voleur.
– Bonsoir.
L'homme parut rassuré de la voir s'adresser à lui de manière douce. Il lui fit un sourire.
Il était grand, ses cheveux châtain taillés courts et son aspect sévère lui donnait un air militaire. Pourtant, son sourire était plutôt bienveillant.
La jeune femme lui rendit son sourire alors qu'il reprenait :
– Bonsoir, j'ai réservé une chambre dans cet hôtel, serait-il possible d'y accéder ?
– Je suis désolée, l'hôtel est bouclé pour le moment.
Il fronça les sourcils, faisant tourner dans sa main, la clé de sa chambre. Elle y aperçut le numéro quarante cinq.
– C'est embarrassant.
Elle ne pouvait qu'être d'accord.
– Mais bon, si vous pouvez me montrer vos papiers d'identité, on devrait pouvoir s'arranger.
S'il s'avérait qu'il n'était pas mage, elle le laisserait rentrer sans soucis, puisqu'il ne correspondrait pas à la personne recherchée. Sinon, elle aurait une petite discussion avec lui.
Il hocha la tête, et chercha dans sa sacoche.
– C'est grave, ce qui se passe ? Je ne pensais pas que l'endroit était dangereux lorsque j'ai réservé la chambre par téléphone.
– Non rassurez-vous, votre vie n'est pas en danger. C'est même très calme ici, l'idéal pour se reposer. La mer n'est qu'à une trentaine de kilomètres.
– Si peu ? Je l'ignorais. J'irais peut-être la voir, si j'ai le temps.
– Je vous le conseille. L'air marin fait toujours du bien. Moi, ça me remonte le moral. Enfin, cela fait longtemps que je n'y suis pas allée.
La dernière fois, c'était en compagnie de Romuald. C'était avant, pendant la période où ils étaient encore heureux.
– C'est la première fois que je viens ici. J'arrive de Deulse.
– Bienvenue à Dunkick alors.
– Merci.
Cet homme avait l'air de s'ennuyer et d'avoir envie de parler. Chose que Déborah comprenait bien. Seulement, elle ne pouvait pas perdre de vue son travail. D'un chuchotement, elle vérifia l'état du maillage. Si l'on exceptait celui qui cherchait ses papiers devant elle, il n'y avait personne.
Au moins, les choses étaient sous contrôle pour le moment.
– Je suis en formation pendant une semaine, continua son interlocuteur. Je ne connais pas du tout la région, mais ça a l'air assez boisé aussi ?
– Oui, c'est le principe. Ici, on a d'un côté la mer et de l'autre la forêt.
– Ca doit être agréable de vivre ici.
– Je ne m'en plains pas. Le climat est un peu froid, mais on s'y habitue.
– Le climat est le même à Deulse. Si l'on excepte l'air marin.
Au moment, où il tira sa carte d'identité de son porte-feuille, la radio se remit à crachoter.
– Veuillez m'excuser.
Elle s'éloigna de quelques pas.
– Equipe 3, j'écoute.
– Ici, équipe 1, un vol vient d'être commis. Restez vigilants, le suspect va sûrement tenter de quitter les lieux.
– Equipe 2, en position devant l'hôtel. Rien à signaler.
– Equipe 3 en position derrière l'hôtel. Présence d'un civil, contrôle d'identité en cours.
– Bien reçu, équipe 3.
Déborah jeta un coup d'oeil à Romuald qui la fixait. Elle lui fit « non » de la tête, et il reprit ses activités. A savoir donner des coups de pied dans un caillou qui avait eu le malheur d'être dans son chemin. Un vrai gosse…
Elle lui fit quand même signe de surveiller la façade et il haussa les épaules, l'air de dire qu'il y avait pensé seul.
Alors que la jeune femme se tournait et s'avançait vers l'homme qui l'attendait toujours, une présence fit bouger la toile qu'elle avait tissé dans le jardin.
– Romuald, cria-t-elle.
Celui-ci chercha à déterminer d'où venait le problème, mais sans y parvenir.
Se retournant vers son partenaire, elle murmura l'incantation pour rendre visible toutes les personnes cachées. Le suspect se figea, surpris d'être à nouveau discernable et de se trouver coincé entre deux policiers. Son regard allait de l'un à l'autre, cherchant une solution. Tout de noir vêtu, il avait un bonnet bien enfoncé sur sa tête et des lunettes de soleil. L'idée du siècle d'en porter alors qu'il faisait nuit.
Avisant le client un peu perdu au milieu de toute cette affaire, elle retourna près de lui. L'essentiel, c'était de le mettre en sécurité, avant toute chose. Mais avant qu'elle ne puisse le rejoindre tout dérapa.
Le voleur paniquant, se mit à courir à toute vitesse en utilisant un sort de célérité. Ce qui n'était pas à la portée de tous. Romuald ne pourrait pas suivre avec l'état de sa jambe. Mais il voudrait quand même essayer, alors que c'était elle, la seule capable de l'arrêter.
Mais contrairement à ce qu'elle aurait cru, son compagnon préféra envoyer une rafale d'énergie pure pour déséquilibrer le suspect. Seulement, l'autre était beaucoup trop rapide pour lui. Il quitta rapidement la trajectoire du sort, sans en être le moins du monde affecté.
Le problème, c'était que derrière le criminel se trouvait le pauvre civil. Déborah se jeta devant lui, et éleva ses boucliers, en y mettant le plus de force possible. Elle espéra que l'attaque de Romuald était savamment dosée, sinon elle risquait d'être blessée. Mais ce n'était rien, face à ce qui aurait pu arriver au pauvre homme s'il se la prenait de plein fouet. Surtout, s'il n'avait aucun pouvoir magique.
Le choc fut rude et elle s'écroula en avant. Basculant sur son interlocuteur des précédentes minutes, elle fut rattrapée par ses bras. Il était plus fort qu'il en avait l'air.
Inquiet, il lui demanda :
– Est-ce que tout va bien mademoiselle ?
Elle hocha la tête.
Elle allait avoir mal au dos demain, mais au moins, elle avait évité le pire.
– Ne vous en faites pas. Rentrez vite dans votre chambre.
Déborah se remit sur pied, et l'abandonna là. Il fallait qu'elle rattrape Romuald qui devait traîner sa jambe, en pestant et le suspect.
En invoquant le sort de célérité d'un murmure, elle partit telle une fusée. Retrouver son compagnon fut assez simple. Elle le dépassa alors qu'il peinait à continuer sa course.
– Tout droit, lui dit-il.
La jeune femme avait remarqué, elle n'était pas aveugle. Ce n'était pas elle qui venait de faire la connerie de jeter un sort sur une personne innocente. Innocente et pas protégée pour, en plus. Si jamais cela venait à se savoir… Il allait encore falloir qu'elle le couvre pour ça.
Énervée, elle mit toute son énergie dans la course. Petit à petit, elle gagnait du terrain, sans doute, parce que l'autre n'était pas habitué à garder son sort actif aussi longtemps et aussi, parce qu'il avait dû en jeter d'autres.
Avec un peu de chance, Déborah l'aurait à l'usure. C'était clair, qu'il ne savait plus quoi faire. Il courait juste droit devant lui, sans aucune idée de la suite. Avoir un mage sur ses traces, devait être quelque chose de nouveau.
Le suspect venait de quitter l'avenue et de rentrer dans un quartier résidentiel. Du coup, soit il vivait là, soit il était complètement paumé. Elle se prit à espérer que Romuald ait prévenu les autres.
Brusquement, le bruit d'une sirène de police fit sursauter le voleur. La voiture le dépassa et lui coupa la route, le serrant de si près que l'espace d'un instant, elle eut peur qu'il renverse le suspect. Cela eut au moins le mérite de le faire s'arrêter d'un coup. Le partenaire de Déborah ouvrit la porte comme un fou. Il avait au moins eu une bonne idée, preuve qu'il était toujours un bon policier.
D'un geste de la main, il l'envoya valser plus loin. L'autre s'étala au sol, un peu sonné. Il n'avait même pas levé ses boucliers. Soit l'attaque avait été trop rapide, soit c'était lui qui n'était pas doué. Voyant Romuald lever à nouveau la main, la jeune femme le retint d'un cri.
– C'est bon ! Stop !
Son ton était plus ferme qu'elle l'aurait voulu, mais mieux valait intervenir pour prévenir une autre erreur. Il devait souffrir le martyr et avoir envie de passer ses nerfs sur quelqu'un, mais il n'était pas là pour ça.
Se saisissant du suspect, elle lui passa les menottes.
– Vous êtes en état d'arrestation pour vol.
– Mais c'est pas moi, j'ai rien fait ! se plaignit-il alors que Déborah l'aidait à se relever.
– Bah ouais, c'est ça. Et tes lunettes de soleil la nuit, c'est pour se donner un style ? ricana Romuald.
Une phrase qui n'apportait rien.
L'autre ne répondit pas, et se retrouva rapidement à l'arrière de la voiture de police, en train de broyer du noir. Romuald reprit la place du conducteur, avant que sa partenaire n'ait eu le temps de dire le moindre mot. Elle hésita : devait-elle lui demander à conduire ou le laisser faire ?
– Pas trop fatiguée par ta course ?
Elle souffla, le sourire aux lèvres.
– Je fais ça tous les matins.
Il démarra. Il était trop tard à présent pour échanger leurs places.
– Comment tu vas ?
Ses mains se crispèrent sur le volant.
– Ca va, souffla-t-il.
Déborah n'ajouta rien de plus. Il conduisait comme un fou, prenant des virages serrés, et allant trop vite. Preuve qu'il n'était pas bien.
Se saisissant de la radio, elle la mit en route.
– Equipe 3, avons intercepté le suspect et rentrons à l'hôtel. A vous.
– Bien reçu, équipe 3, nous vous attendons.
Le silence se fit dans l'habitacle de la voiture. La jeune femme aurait bien dit quelques mots, mais elle préférait se taire pendant que le voleur se trouvait avec eux. L'autre semblait d'ailleurs être tombé dans un mutisme surprenant.
Déborah fut soulagée d'arriver enfin devant l'hôtel. Deux personnes les y attendaient sur le parking. En les voyant, Romuald marmonna des paroles dans sa barbe.
Ils s'arrêtèrent et descendirent. La jeune femme vit son partenaire quitter lentement la voiture. Il traînait sa jambe et avancer semblait être difficile pour lui. Il serra le poing, pour prendre sur lui.
– Vous l'emmenez ou on s'en charge ? demanda l'un des policiers.
– Vous avez qu'à le faire ! râla Romuald. Ca vous fait tellement plaisir !
Yves, son interlocuteur, se tourna vers Déborah pour avoir son avis. Même si l'idée ne l'enchantait pas, il valait mieux que se soit eux qui l'emmènent au poste, avant que son compagnon ne fasse une autre erreur. Elle hocha la tête.
– Ok. On y va. A demain !
La jeune femme ouvrit la portière arrière pour faire sortir le suspect, qui avait toujours ses lunettes de soleil sur le nez. Elle le remit à son collègue et l'homme changea de voiture, il était toujours aussi muet.
Lorsque le véhicule démarra, Romuald se laissa tomber sur le siège passager et fouilla dans sa poche, pour en tirer un tube de médicaments. Il l'ouvrit à la hâte, et fit tomber les cachets dans le creux de sa main, avant de les engloutir.
Déborah lui jeta un regard réprobateur. Combien en avait-il pris ? A tous les coups, il ne le savait même pas lui-même.
– Doivent être content, les deux cons qu'on leur ait attrapé le suspect, marmonna-t-il. Comme ça, ils vont pouvoir se faire mousser !
La jeune femme leva les yeux au ciel.
– Fallait pas leur dire de le prendre, si tu ne le voulais pas.
– J'avais pas envie de leur parler.
Ca ne changeait pas beaucoup de d'habitude.
De loin, elle aperçut Lise, et Alain et leur fit un geste de la main. Ils lui répondirent, mais ne s'approchèrent pas. Sans doute à cause de Romuald et sa mauvaise humeur. Tout le monde n'avait pas envie de le supporter.
– Alors ?
Elle tourna le regard vers son compagnon. Elle n'avait pas écouté ce qu'il lui disait.
– Tu en as pensé quoi ?
– De ?
– De l'idée d'arriver avec la voiture.
– C'était bien.
– Juste bien ?
Elle soupira.
– Au moins, tu n'as pas écrasé le suspect ou moi.
– Ca va, je gère.
Déborah ne répondit pas. Son dos se souvenait un peu trop du sort qu'il avait lancé. Si elle revenait sur le sujet, elle savait bien qu'elle allait s'énerver. Pas seulement parce qu'elle avait eu mal, mais aussi parce qu'elle imaginait l'état dans lequel aurait été le pauvre type qui voulait juste rentrer dans sa chambre d'hôtel.
Ça lui faisait mal, mais elle allait devoir en parler à son supérieur. D'un côté, elle avait l'impression de trahir cet homme qu'elle avait aimé et de l'autre, elle se sentirait responsable si jamais il causait la mort de quelqu'un.
– Tu fais la gueule ?
– A ton avis ?!
Il releva un sourcil.
– Qu'est-ce qui t'arrive ?
Il le faisait exprès.
– A ton avis ?!
– C'est à cause des médicaments que j'ai pris, c'est ça ?!
– Ça, et tant d'autres choses !
– Pardon ?
– Tu vas jouer au con, encore longtemps ?!
Il la dévisagea surpris de la voir si en colère.
– Passe encore que tu ne veuilles pas prendre de rendez-vous avec le médico-mage. Alors même que je t'y aurais emmené, prenant une demi-journée s'il le fallait. Passe encore que tu passes ton temps à te bourrer de médicaments, en pensant que je ne vois rien. Passe encore que tu boives de l'alcool à toutes les heures de la journée. Tu crois que je ne m'en rends pas compte quand tu m'embrasses ?
Il ne répondit pas, honteux d'être mis face à ses propres failles.
– Ça encore, ça ne concerne que nous deux. Mais là, tu as jeté un sort sans faire attention ! Merde, Romu, c'est grave.
– Désolé. Je ne voulais pas te faire mal. Je te mettrai de la pommade dans le dos si tu veux.
Elle secoua la tête. Pourquoi ne comprenait-il rien à rien ?
– C'est pas ça, le problème. C'est pas moi. Mais tu te rends compte que tu aurais pu blesser ou tuer quelqu'un avec ton sort ?!
Il serra les dents.
– Mais qu'est-ce qu'il foutait là, aussi, ce type ?
– Je ne sais pas. Peut-être que j'étais en train de contrôler son identité pour savoir à qui on avait affaire ?
– Il pouvait pas se casser, aussi. On lui dit de ne pas rester là, et lui se plante comme un piquet. Évidemment, toi, tu ne lui dis rien, même quand il te fait ses petits sourires de charmeur. Ca te plaît de te faire draguer devant ton mec.
Déborah secoua la tête.
– Stop ! On arrête. J'en ai marre. Je ne peux pas continuer comme ça.
– C'est ça, ne parlons pas de ce qui fâche !
– Rentre chez toi, Romuald, ça vaudra mieux pour nous deux.
Ils échangèrent un regard. Lorsqu'elle l'appelait par son prénom en entier, c'était toujours signe que quelque chose n'allait pas.
– Non, je me débrouillerais.
– Tu vas faire quoi ? Aller voir ce mec, c'est ça ?!
– Monte, je te ramène chez toi.
Il la fixa sans comprendre.
– Tu vas faire quoi ? Prendre une chambre à l'hôtel ?
– Tout m'ira tant que tu n'y es pas !
Elle fit mine de tourner les talons.
Mais de quoi lui parlait-il ? Pourquoi il ramenait sur le tapis, une personne qu'elle avait croisé cinq minutes dans sa vie ?
Elle se retourna. En colère, la jeune femme avait envie de lui faire mal, comme il lui faisait mal avec ses fausses accusations.
– Oui bien sûr. Peut-être que lui pourra me faire l'amour toute la nuit contrairement à d'autres !
Les yeux de Romuald se firent plus sombres, et elle jura que s'il avait pu la tuer par le regard, il l'aurait fait.
– Très bien. Amuse-toi bien, mais ça ne sera pas la peine de revenir me voir après.
Il claqua la porte avec rage, et démarra en trombe. Aussitôt, elle se sentit coupable. S'il avait un accident, elle s'en voudrait toute sa vie. Le problème, c'est qu'elle ne pouvait pas passer son temps à le protéger de lui-même.
Prenant une grande respiration, elle décida d'entrer dans l'hôtel. De là, elle pourrait sans doute appeler un taxi pour rentrer chez elle. La jeune femme ne pouvait pas passer la nuit sur le parking à se poser des questions. Soudain, elle se sentit très lasse. Les larmes lui montèrent aux yeux. Il ne fallait pas craquer maintenant.
Prenant une grand respiration, elle se dirigea vers l'entrée. En poussant la porte, Déborah s'interrogeait encore sur ce qu'elle devait dire. Le personnel allait sûrement se demander pourquoi elle était restée plantée là, par les autres. Elle se sentait tellement honteuse, alors qu'elle n'avait rien fait de mal.
En s'approchant du réceptionniste, elle ne posa pas la question à laquelle elle avait pensé en premier lieu.
– Bonsoir, est-ce que le monsieur de la chambre 45 est bien rentré ?
L'autre la détailla, avant que son regard ne se pose sur le brassard marqué « police » à son bras.
– Oui. Pourquoi y a un problème ? Vous voulez l'interroger ?
– Rien de grave, je vous rassure. Je voulais juste passer voir comment il va. Est-ce possible ?
Il hésita. Après tout, elle était de la police, il ne se voyait pas refuser.
– Allez-y ! La chambre 45 est au quatrième étage. C'est la chambre numéro cinq.
– Merci beaucoup.
Il lui indiqua l'escalier derrière la porte coupe-feu, sur la gauche de la pièce. Elle se dirigea vers le passage et alluma la lumière. Dans l'hôtel, tout paraissait calme. Est-ce que les gens étaient déjà couchés ? Déborah ne pouvait s'empêcher de se demander s'ils s'étaient rendu compte de la présence du voleur. Celui-ci ne s'intéressait pas vraiment aux objets des clients, mais plutôt à ceux présents dans le bâtiment. Encore un mystère à éclaircir…
Elle arriva dans le couloir, s'avança jusqu'à trouver la bonne porte, où elle frappa. A l'intérieur, la jeune femme entendit du bruit. Quelqu'un se levait pour venir lui ouvrit. Le battant coulissa, révélant l'homme dont elle avait fait connaissance précédemment.
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