Chapitre 1 : Révélation

8 minutes de lecture

La sonnerie stridente du réveil m’arracha d’un rêve où tout semblait réalisable. Un nouveau jour de galère, pensais-je, imaginant déjà une excuse pour ne pas me lever. Sauf que j’ouvris les yeux dans une chambre qui m’était inconnue. Les draps sentaient la vanille et j’avais la place d’étendre mes miches sur ce moelleux matelas pour une fois. J'éteignis le téléphone posé sur une table de chevet aussi blanche que la plupart des meubles qui m’entouraient. Les rideaux de la porte vitrée soufflaient un temps chaleureux dont l’odeur de fleurs et le chant des oiseaux narguaient ma curiosité. Quel était donc cet endroit ?

Dehors, le soleil piquant mes yeux encore rêveurs, je découvris une piscine agrémentée de chaises longues en bois, de buissons et arbres feuillus. Sacré tableau. J’avais peut-être gagné un voyage que la boisson m’avait bien trop fait profiter pour m’en souvenir. Je n’avais pas la gueule de bois, pourtant. Mes pieds nus foulèrent les dalles de pierre déjà chaudes pour une matinée d’été et l’endroit s’entourait d’une forêt assez dense. Depuis quand n’avais-je pas été proche de plus de deux arbres à la fois ? Très longtemps. Peut-être trop.

  • Chérie ? Tu viens prendre ton petit-déjeuner ?

Je vis, à gauche, ma moitié attablée derrière une pléthore de fruits, de viennoiseries et de cruches emplies protégés par une pergola aux lamelles sombres. L’odeur du café qu’il savourait à l’instant appela mes jambes à l’y rejoindre.

  • Tu as bien dormi, mon cœur ?

Assis sur ma droite, l’homme ressemblait en tout point au mien, mais mon instinct m’intima à n’en croire que l’apparence. La chemise à fines rayures verticales qu’il portait épousait ses bras et son torse travaillés mais son pantalon de coton, à pinces lui apportait une prestance que je ne lui connaissais pas. Il lisait l'actualité sur son téléphone, défilant au gré de ses doigts. Observant le revêtement clair de cette maison de rêve, je me questionnais silencieusement.

  • Tout va bien ?

L’être à mes côtés apposa doucement sa main sur mon bras droit. Ses yeux bienveillants s’inquiétèrent.

  • Je… Je crois que oui. Où sommes-nous ?

Il rit du même rire jovial auquel j’étais habituée.

  • Mais nous sommes chez nous, voyons ! T’es sûre que tout va bien ?

Lorgnant la montre connectée à son poignet, il finit sa tasse d’une traite avant de poursuivre :

  • Je vais être en retard ! J’ai rendez-vous avec un client ce matin.

Ses lèvres m’embrassèrent précipitamment. Son baiser était doux. Comme d’habitude, me dis-je. Mais je ne reconnus pas ce sentiment d’amour que nous partagions au quotidien.

  • Je reviens ce soir ! Fais une pause d’écriture aujourd’hui. Je sais que tu dois respecter les deadlines de tes éditeurs mais tu as l’air fatiguée ce matin. Tu devrais te reposer.

Il m’embrassa à nouveau sur le front, avant de se précipiter à l’intérieur. Pause d’écriture ? Mes éditeurs ? Mais de quoi parlait-il ? Etais-je une écrivaine ? Les nombreux questionnements coupèrent ma faim. Je devais savoir de quoi il retournait. La voiture du sosie s’éloigna, j’attendis plusieurs minutes avant de me lever.

Traversant l’autre porte vitrée à ma portée, une cuisine bien équipée s'ouvrit sur un salon dont l’espace télévision s’apparentait à un mini home cinéma. Une porte sur la droite me présenta un spacieux bureau dont la table de travail jouissait de deux grands écrans d’ordinateur. Etait-ce celui de ma moitié sensée être Ingénieur dans l’informatique ? Mais les nombreux livres qu’habillaient le mur d’étagères sur ma gauche me fit douter. Certains dont je tournais les pages portaient le nom d’écrivain : Lisa Venture. Mon propre nom, soufflais-je. Était-ce alors mon espace de travail ? Avais-je réussi à publier des romans ? L’un des livres d'une édition connue toujours en main, je m’assis sur le siège à roulette, m'enfonçant dans la texture moelleuse de son dossier. Pour sûr, il m'aurait fallu un salaire entier pour pouvoir me le payer, celui-là. En faisant un tour complet sur moi-même, telle une gamine, je découvris de nombreux post-it et leitmotiv décorant les murs de la pièce.

« Bernard Werber écrit de 7h à 12h tous les jours, tu peux le faire toi aussi »

« Commencer la journée avec du sport permet une meilleure concentration »

« 2500 mots par jour, tu dois écrire »

En appuyant sur le clavier mécanique, les écrans s’allumèrent. L’un sur une boîte de messagerie et l’autre, sur un agenda fortement empli dont les semaines s’organisaient de façon suivante :

|…………...|LUNDI|MARDI|MERCREDI|JEUDI|VENDREDI|

|08h-09h|Sport|Sport|Sport|Sport|Sport|

|09h-10h|Exo. Ecriture|Exo. Ecriture|Exo. Ecriture|Exo. Ecriture|Exo. Ecriture|

|11h-12h|Ecriture|Ecriture|Ecriture|Ecriture|Ecriture|

|12h-13h|Ecriture|Ecriture|Ecriture|Ecriture|Ecriture|

|13h-14h|Repas|Repas|Repas|Repas|Repas|

|14h-15h|Libraire.Editeur|Recherche|Administratif|Formation|Média|

|15h-16h|Libraire.Editeur|Recherche|Administratif|Formation|Média|

|16h-17h|Libraire.Editeur|Recherche|Administratif|Formation|Média|

|17h-18h|Communicat°|Communicat°|Communicat°|Formation|Communicat°|

J’avais enfin réussi à me mettre au sport et ce depuis plusieurs années selon l’historique de l’agenda. En ouvrant le navigateur de recherche, je découvris plusieurs articles et parutions littéraires au nom de Lisa Venture. Mon vrai nom. Wikipédia afficha une photo de moi mais au visage plus mince et aux cheveux plus lisses. Le miroir au-dessus du canapé que complétait la pièce me confirma la même apparence. Une silhouette plus fine et plus en forme, certes, mais c’était bien moi. La biographie que je lus était similaire à la mienne hormis la fin. J’ai pu décrocher un contrat dans une maison d’édition, me permettant les années suivantes de publier un tome par an et d’être consultante littéraire et même formatrice jusqu’à ce jour. Jusqu’à ce jour ? L’écran m’indiqua 2024. Hier, je m’étais pourtant endormie en 2021. Avais-je oublié trois ans de ma vie en une seule nuit ?

La sonnerie d’un téléphone retentit dans la maison. Je me précipitais à nouveau dans la chambre. L’écran m’afficha « Eline Mireille Editeur », je m’empressai de décrocher l’appel.

  • Allô ? Lisa ? Tu as passé un bon week-end ?
  • Euh…On peut dire ça.
  • Hum…Tu n’as pas encore bu ton café, c’est ça ? Je fais vite car j’ai un point dans cinq minutes. As-tu récupéré la nouvelle version du contrat dans ta boîte aux lettres ? Fais-moi un retour dans la journée s’il-te-plaît, ok ? Allez, bisous !

Je regardais l’écran raccrocher sans le voir. À première vue, je connaissais cette éditrice depuis quelques temps si j’en croyais son ton familier. Je retournais dans le salon et sortit par la porte d’entrée. Les douleurs du gravier sous mes pieds me forcèrent à récupérer des sandales dans la commode avant de me diriger à nouveau vers l’imposant portail automatique. Je récupérai une grande enveloppe et une autre plus petite dans la boîte aux lettres murale. Retournant dans le salon, je m’installais sur un des canapés de lin avant d’ouvrir ces deux mystérieux papiers. Je pris connaissance du fameux contrat mentionné par Eline Mireille concernant l’écriture du tome 3 de ma saga Perlie Juncker. J’avais enfin réussi à publier cette histoire, bordel. J’en pleurai presque. Parcourant certains articles, je m’étonnais d’en comprendre leur signification. C’était bien la première fois que j’avais un contrat d’édition sous les yeux. La deuxième enveloppe n’avait pas de timbre, ni d’adresse. Seul mon nom était inscrit à la main. Une angoisse me prit soudain avant que j’en découvre les lignes :

« Chère Lisa,

Au moment où tu liras cette lettre, tu ne te souviendras probablement de rien. Tu auras l’impression d’être dans un rêve mais sache que l’endroit dans lequel tu es est la réalité. Tu es vraiment écrivaine et cette maison t’appartient. Cela peut te paraître illusoire, mais tu as fini par réussir dans le milieu ce qui t’a permise de vivre correctement avec ton homme auquel tu es désormais mariée… »

Lorgnant ma main droite, puis la gauche, j’y découvris un anneau dorée, preuve d’une des révélations de cette lettre mystérieuse.

« … J’ai hésité sur la manière de t’avertir. Devrais-je t’écrire une lettre, tout révéler dans un mail ou laisser des preuves dans un dossier ? Mais je ne voulais pas que tu comprennes tout trop vite. Tu es bien trop perspicace, il fallait que je trouve un moyen simple de te dire que tu n’es pas devenue folle sans trop de détails. Un sms aurait pu être la solution mais je les soupçonne de surveiller ton téléphone.

Te connaissant, tu as déjà dû comprendre que trois ans se sont écoulés et qu’hier, tu vivais encore dans la boîte à chaussures qui te servait d’appartement. Durant ces années, il s’est passé quelque chose d’extrêmement dangereux pour toi, pour nous. J’ai accepté un succès maudit. Si bien que j’ai dû effacer ta mémoire pour te protéger. J’aimerais tellement t’en donner la raison et tout te révéler. Mais plus tu resteras amnésique, plus nous serons en sécurité. »

Je souriais. Certaines expressions employées dans cette lettre m'étaient familières. Pour sûr, ce devait être un proche comme ma moitiée ou une meilleure amie. Ou alors, plus dingue, véritablement moi-même.

« … La chose la plus importante que tu dois retenir : sépare-toi de ta Maison d’édition. Méfie-toi de ton éditrice et de tous ceux qui font partie de cette entreprise. J’ai cherché un moyen de m’en défaire, mais le temps m’a manqué. Tu dois reprendre mes recherches. Tant que tu dépendras d’eux, tu continueras d'être en danger. Tu dois récupérer mon dossier que j’ai caché au siège même de l’entreprise. Dans le bureau d'Eline. L’un des lieux les moins susceptibles d’être fouillés. Tu le trouveras dans l’univers qui t’a fait commencer.

J’imagine qu'elle a dû t’appeler ce matin comme elle fait chaque lundi. Ce qui t’a menée à cette lettre avant que le facteur ne passe. Après tout ce que j’ai vu, je me méfie de tout le monde. Même si ton cœur est contre, méfie-toi de ton mari également. Tu dois détruire cette lettre, brûle-là. Je ne sais pas jusqu’où ils sont allés dans l'espionnage de ma vie, mais tu ne dois rien laisser au hasard.

Crois-moi, Lisa, si je pouvais revenir en arrière, je le ferai. Peu importe le prix.

Fais attention à toi, à nous,

Lisa de 2024. »

À la découverte de la signature, mes mains tremblèrent. Etait-ce bien moi ? Des années plus tard ? Ou quelqu’un d’autre qui cherchait à me manipuler ? Je devais savoir. Récupérant le téléphone que, dans la précipitation, j’avais laissé traîner sur la commode de l’entrée, j’appelais la fameuse Eline Mireille pour prendre un rendez-vous. Il y avait-il véritablement un dossier caché dans son bureau ?

Annotations

Vous aimez lire Papillon de Folie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0