Acte 2 : Où l'on joue les jolis coeurs
Une autre ressource habituellement convoitée dans les lieux sordides comme le présent saloon, c’est la femme.
Un animal si proche de l’homme qu’il galère pourtant à comprendre. Preuve en est que la plupart des affiliés au genre masculin prennent le clitoris pour un personnage de bande dessinée.
Aussi lorsque l’une de ces créatures apparaît en haut de l’escalier, recouverte d’une subli… d’une robe au goût douteux, les phéromones de ces messieurs se dispersent au vent comme les spores de champignons trop mûrs.
La silhouette enveloppée dans ses atours à froufrous semble parfaitement au courant de son effet. Elle descend les marches une par une, d’une une grâce davantage simiesque que féline. Cependant, derrière tant de superficialité ostentatoire, le spécimen est d’une rare beauté. Son visage fin est illuminé par un perpétuel sourire que rehausse un maquillage pourtant vulgaire. Une caractérielle cascade de rubis lui tombe sur les épaules laissées apparentes par l’insulte à la mode qui recouvre le reste de son corps. Au coin de son œil droit, deux étoiles tatouées à l’encre rouge parfont le tableau.
Il paraît évident qu’avant que ses talons n’aient heurté le tapis au bas de l’escalier, la chimère de luxure, de stupre et d’as de pique a déjà jeté son dévolu sur sa proie.
C’est toi qu’elle dévisage ?
Gh…
Sérieusement ? Tu baves ?
Et oui. De tout le cheptel bêlant et docile prêt à ramper à ses pieds, la jeune femme se rapproche de Ren, s’assied sur le tabouret jouxte, le contemple longuement, puis parle enfin.
Ce qu’elle dit alors côtoie l’intérêt abyssal des réponses de Ren.
Il est cependant intéressant de noter que les femmes sont rares sur Hel. Ipso facto, à l’instar du chat, lorsque l’une d’elles décide d’un élu - fût-ce pour une fugace faveur - celui-ci ne peut y résister. Il profitera de l’instant jusqu’à ce que la douce toison qu’il caresse consciencieusement s’évanouisse.
Ou que le chat s’en aille.
Ainsi naît une nouvelle matinée.
Dans le bordel des draps encore chauds, ne repose qu’un seul corps, duquel émane de manière régulière un ronflement moins poétique qu’un pet de porc.
De toute évidence, la mission de haute importance confiée par ce riche marchand tombe en deuxième position dans la liste des priorités. Juste après « se taper la première inconnue venue » (ajouter en petites lettres en dessous : et qui veut bien de moi).
Lorsque Ren émerge enfin, il ne semble pas pressé. Il s’étire langoureusement en battant des cils. La lumière filtre à travers les rideaux et éclaire une chambre d’auberge que rien ne démarque d’une autre.
L’absence de sa partenaire ne le surprend guère, à l’inverse d’une étoffe rose posée délicatement sur l’oreiller.
Non seulement tu n’as pas eu besoin de la payer, mais en plus elle t’a laissé un cadeau. Pour quelqu’un avec qui tu as couché sans même lui demander son nom, c’est touchant !
C’est… un string ? Qu’est-ce que je vais foutre d’un string ? Tu crois qu’il y a un message ?
Ne compte pas sur moi pour interpréter ce genre de présage… mais à défaut, tu pourras le porter au Nouvel An, il ira à merveille avec tes porte-jarretelles.
Ren sourit tout seul, puis empoche la délicate lingerie.
Un brin de flotte sur la couenne, un habillage rapide des mêmes fringues que la veille, un entretien de son revolver et le voilà fin prêt quand sonnent dehors les dix coups de cette fin de matinée ; pratique ancestrale qui perdure sur chaque colonie Pangériale.
Il est l’heure de reprendre l’enquête là où il l’a laissée la veille : au bar.
Au bar il s’installe donc de nouveau, sans un regard de la part de la faune ni du barman. Un peu comme s’il faisait déjà partie de l’écosystème.
Ici, les gens ne posent pas de questions. Pourtant Ren, lui, en a de nombreuses dans le fond de son verre.
Concentre-toi Ren. Je sais que ça ne t’est pas facile, mais il va falloir faire preuve de subtilité afin de dégoter ton Arkel. Déjà que les péquenots d’ici n’ont pas l’air bavards, mais en plus ton bandit semble avoir une certaine influence.
Ouaip, je sais Tage. Bon, procédons par étape.
Fais gaffe, tu serais presque consciencieux !
Ferme-la. Bon. Le trio à la table là-bas joue au poker. Ça peut être intéressant, les gars qui jouent ont toujours tendance à parler pour cacher leur bluff. Mais ils sont trois, c’est risqué. L’un d’eux pourrait bosser pour Arkel.
Et eux au bar ?
Tage… y’en a un qui a sa main dans le futal de l’autre. Je sais pas toi, mais moi je préfère ne pas intervenir.
Et le vieux, seul à sa table ?
Regarde son veston, il avait un truc épinglé ici, près du cœur. Probablement un ancien shérif nostalgique ? Par ailleurs, Whisky de bon matin. Hm. Soit il a quelque chose à noyer, soit il n’a plus rien à perdre. C’est jouable.
Et tu bois quoi toi, là ?
Whisky.
Sans épiloguer avec lui-même, le chasseur de primes dirige ses pas vers la table miteuse de l’ancien sur laquelle ne trône rien d’autre qu’une bouteille et un verre vide.
Verre que s’empresse de remplir Ren avant de se servir lui-même.
— Merci, fiston, lâche l’homme au veston poussiéreux.
— Mais de rien, l’ami. Pas d’objection à ce que je me joigne à vous ?
— Tant que tu remplis mon verre, tu pourrais bien pisser par terre que je ne bougerais pas…
— Dure matinée ?
Le grand-père vide son verre d’un trait. Ren le remplit.
— Dure vie.
— C’est la raison pour laquelle vous êtes venus vous réfugier sur Hel ?
— Non…
Verre vide, verre plein. Il reprend.
— C’est la raison pour laquelle j’aimerais me barrer.
— J’ai l’impression que les choses ne se sont pas passées comme prévu ici.
— Et ça nous allait tous très bien jusqu’à ce que la vermine ronge cet endroit.
— Arkel ?
— Ta gueule. Prononce pas son nom.
Vide. Plein. Reprend.
— Tu viens d’arriver hein ? Bah je te conseille de remonter dans ta boîte de conserve, d’allumer tous tes miroirs et te barrer bien loin d’ici. Ce n’est plus le purgatoire que ça a pu être. Ça fait deux mois que l’autre cinglé a débarqué avec sa greluche et ses potes. Deux mois qu’il a buté le maire et qu’il impose ses lois à la con. Deux mois qu’il fait bosser tout le monde à la mine.
— Deux mois qu’il a démis le Shérif ?
Le vieil homme soupire et porte une main nostalgique là où trônait auparavant son précieux insigne.
Il lève ensuite ses yeux éreintés sur Ren. Dans ces yeux noirs brille, un fugace instant, une lueur d’espoir moire.
Ren se lève, commande une bouteille neuve d’un signe de la main puis se saisit de celle déjà entamée.
— Deux mois, c’est trop long.
Puis, fier de son effet, quitte l’établissement.
Sans payer.
Une dernière chose qu’il est intéressant de noter, c’est que les gangsters du genre d’Arkel ont un tic, une manie dictée par leur mégalomanie. Un réflexe que Ren connaît bien.
Afin d’affirmer leur pouvoir, leur supériorité, leur suprématie, ils se sentent obligés de se créer sur mesure une garde-robe ; des atours à leur image.
Parfois, cela donne des mafieux classes, finement habillés d’étoffes harmonieuses, sobres.
Plus souvent, ils ressemblent à des clowns. Sans le nez rouge.
Direction le tailleur.
Je te suis…
Fond de bouteille vidée et débarrassée dans un enclos à protolamas, Ren entre dans la modeste boutique. Il la traverse et s’assied sur un fauteuil en cours de réfaction sous le regard interloqué du maître des lieux. Un petit homme aux longs cheveux blancs malgré une calvitie avancée, occupé à planter quelques aiguilles sur des étoffes bariolées que vêt un mannequin de bois.
Le chasseur de prime désigne l’ensemble du menton.
— C’est pour Arkel ?
— Ça ? Non… pour sa femme.
Cette tenue me rappelle un truc
La salive se fait épaisse dans la bouche de Ren.
Le tailleur retourne à son travail en soupirant :
— C’est dommage, ça ne met pas du tout en valeur ses cheveux roux.
Ha ! Ça me revient !
La salive se fait graviers. Une boule d’angoisse se forme dans ses entrailles.
Le tailleur reprend :
— Et puis avec ses deux petites étoiles au coin de l’œil, on aurait pu reprendre le motif sur les drapés.
La meuf que t’as baisée hier soir !
La salive se fait béton armé. La boule d’angoisse devient terreur. Son estomac se révulse.
Le tailleur continue :
— Enfin bref… je peux vous aider ?
C’était Martel !
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