Épilogue - Parce qu'il faut bien que ça se termine

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À travers le hublot de la soute, Ren observe Hel se noyer dans le cosmos avec un soupçon de vague à l’âme inattendu. Il y a sur cette planète quelque chose qu’il admire, qu’il envie. Un sentiment de liberté, de ne rien devoir à personne.

Hélas, à l’heure de ces pensées, dans le hub central, c’est une homélie qui se joue entre le fossoyeur et la jeune femme. Les bribes qui percent à travers les plaques mal ajustées de métal qui servent de cloisons à Rusty sortent le chasseur de prime de sa mélancolie. Propulsé dans les abîmes de son devoir auprès du marchand par une ancre lestée.

Ainsi que de sa fille.

Il se lève péniblement de la cantine en fer et suit mécaniquement la piste sonore du désaccord entre ses deux passagers.

Avant d’entrer, il entend clairement la moustache s’exprimer sur un ton monocorde :

— Donc tu fugues de chez toi aux bras d’un gangster parce que tu t’ennuyais ? Tu risques ta vie pour un peu de frissons ?

— Bah ouais, le vieux. Et je recommencerai si ça m’chante. La vie sur Pangée est nulle. On s’ennuie, il ne s’y passe jamais rien. Tout est blanc, propre, il faut sourire, faire des courbettes. Je voulais un peu m’évader, voir autre chose.

Ren profite d’un silence de décontenancement pour intervenir :

— Les gens normaux prennent un billet pour Lòn, quand ils veulent des vacances. Ils ne se maquent pas à un truand.

Les yeux verts de Martel s’échouent sur le maître à bord.

— Pfff, de toute façon, l’aventure c’est nul aussi. Tout est dégueu, crade et on peut pas se laver. Donc tu vas me ramener, tu vas toucher ta prime et tout va rentrer dans l’ordre, donc hein… bon.

Le croque-mort se masse les tempes. Même le timbre de sa voix ne parvient pas à masquer son irritation.

— Dix-sept personnes sont mortes pour ton salut, gamine. Ça ne te pèse pas, ne serait-ce qu’un peu, sur la conscience ?

— Dix-huit. précise Ren en grimaçant. Le tenancier du saloon…

— Pfff, qui se soucie des tocards de Hel.

Il faut de sacrés bons réflexes pour stopper la main d’un fossoyeur qui fonce à Mach 12 sur la joue d’une demoiselle, ainsi qu’une poigne d’enfer. D’une certaine manière, c’est peut-être la deuxième fois que le chasseur de prime sauve Martel en moins de vingt-quatre heures.

La jeune femme, elle, n’a pas bougé. Assise sur la table de navigation, elle a ses mirettes plantées dans celles du fossoyeur. Ce dernier inspire un grand coup, souffle, puis quitte la pièce vers le cockpit.

— Trois jours. Vous allez devoir vous supporter trois jours le temps de rejoindre Pangée. Pitié, ne vous entre-tuez pas d’ici là.

— Mais c’est lui, là. De quoi il se mêle d’abord ? Mrf…

Toi, Ren, va devoir gérer une situation conflictuelle en adulte responsable pendant trois jours. On va tous mourir.

Ta gueule, Tage.

Trois… jours…

***

Contre toute attente, Rusty parvient à amener à bon port l’équipage jusqu’à Pangée.

La transaction avec le marchand se passe bien et Martel garde pour elle les ébats d’une nuit avec son sauveur, son héros, le pourfendeur d’Arkel.

En vérité, plus un chien de berger qu’autre chose.

Comme prévu, vingt-cinq pour cent reviennent au croque-mort, lequel se terrera dans un mutisme inquiétant tout au long de la transaction.

Et, enfin, le retour à la solitude à bord de Rusty.

Le social c’est pas ton fort, mon vieux. Même pas un « au-revoir » au Papy, même pas un baiser d’adieu à Martel…

Ouais, en vrai je m’en veux un peu pour le corbeau. Au fond je crois que je l’aimais bien, lui sa moustache et son fusil.

Bah, il est pas plus doué que toi, il n’a rien dit non plus.

À nouveau aux commandes de Rusty, Ren sort de l’atmosphère étouffante de Pangée sous les « bips » et les « tuts » inquiétants du tableau de bord, comme d’habitude.

Curieusement, cette symphonie d’alertes apaise le cœur de Ren.

Rusty a le plein, le frigo aussi. On a un peu d’argent en poche, et j’ai entendu parler d’une étrange sorcière sur Merkingu, à huit jours d’ici. Qu’est-ce que t’en penses ?

J’en pense que c’est parti, mon kiki !

Près de sa lucarne favorite, son séant retrouve l’inconfort de la boîte en fer blanc. Mais un truc le gêne.

Il se redresse, fouille dans sa poche arrière et en tire l’étoffe rose qui ne lui appartient pas.

Ren contemple le string un moment, puis il sourit.

— Je savais que ça te plairait !

Le fessier du chasseur de prime translate douloureusement de la boîte au sol. Il se retourne pour faire face a une silhouette qu’il reconnaît bien.

— Martel ?

— Qu’est-ce qu’elle fait, là, la gamine ?

Nouvel arrêt cardiaque. Dans l’entrebâillement de la porte qui mène au hub, une moustache sous un haut de forme est occupée à lustrer un canon démesuré.

Dis, c'est ton vaisseau, ou l'arche de Noé, ce bordel ?

Si le vide intersidéral pouvait porter les sons, on aurait entendu un cri de détresse de Pangée à Hel, de Merkingu à Lòn.

Mais en dehors de Rusty, il n’y a que le silence et les étoiles.

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