Le confinement a été décrété la veille au soir et est entré en vigueur à midi

Elle : « Tu fais quoi, là ? Allez, ouste, tu me fais de l’ombre !

Moi : - Heu, bonjour quand même…

Elle : - Ouais, bonjour !

Moi : - Inutile de te demander comment tu vas, apparemment…

Elle : - Eh bien tu vois, je suis en pleine bronzette. Et toi, tu oses te montrer ?

Moi : - On peut quand même faire quelques pas à l’extérieur, et puis il n’y a personne, là.

Elle : - Ouais, on se croirait dans un de tes endroits favoris, parmi les stèles. Le monde est devenu aussi calme qu’un cimetière militaire.

Moi : - Je vois que le soleil ne fait pas disparaître le mauvais esprit…

Elle : - Tu parles ! C’est carrément les vacances pour moi ! Plus de route à se taper matin et soir !

Moi : - Tu pourrais être au bord de la mer, cela dit…

Elle : - Je me contente de la vue. Et toi, tu râles pas trop à cause du temps ? Tu n’aimerais pas faire tes petites photos en rase campagne, parmi les tombes de soldats ?

Moi : - Non, en fait ce n’est pas du si beau temps.

Elle : - Heu ?

Moi : - Non, moi je préfère quand il y a des nuages. En temps normal, je ne serais pas sortie pour faire de la photo.

Elle : - Ouais, je te crois ! Tu dis ça parce que c’est interdit de bouger, mais ça cache mal ton dépit.

Moi : - La preuve est dans les photos que je prends… Comme disait Gainsbourg : "tenez, le ciel bleu, pas un nuage… c’est le bonheur. Vous prenez un polaroïd et au développement, qu’est-ce qu’on a ? Rien. Mais quand on prend les turbulences des orages, on peut en faire à l’infini ; des cartouches et des cartouches."

Elle : - Tu comprends pourquoi je ne suis pas vraiment impatiente pour la prochaine sortie ?

Moi : - Dans "intelligence artificielle", je crois que l’artificiel l’emporte sur tout le reste…

Elle : - Allez, va retrouver ton confinement ! Tu t’ennuies pas au moins ?

Moi : - Moi ? Au contraire, je m’invente de nouvelles activités tous les jours. En ce moment, j’essaie de trouver un usage pour tous les polys que j’ai imprimés et qui ne serviront à rien. Le confinement a flingué mon cours de jeudi après-midi sur les prépositions anglaises.

Elle : - Bah, si tu es à cours de papier toilette, comme il est difficile à trouver ces temps-ci, tu pourras toujours utiliser tes polys…

Moi : - Merci pour l’idée. Sauf que c’est un coup à boucher sa cuvette… Bon, j’y vais. Je reviens tout à l’heure. Ne bouge pas, hein.

Elle : - Tu vas revenir ? Tu as le droit ?

Moi : - Eh bien oui, quand je descendrai les poubelles.

Elle : - Aaaah je vois. C’est la fêêêêête…!

Moi : - Figure-toi que j’ai quand même du boulot, mes étudiants de la fac ont monté un forum de chat en ligne pour communiquer avec leurs professeurs et ils veulent que je fasse cours demain à toute la classe comme d’habitude.

Elle : - Ils doivent vraiment s’emmerder alors, pour réclamer un cours d’anglais avec toi…

Moi : - Je te remercie. Quand je pense que c’est ma seule conversation en face à face de la journée… »