31 mars 2020 (Debout sur la montagne)

3 minutes de lecture

Elle : « Comment ça va aujourd’hui ?

Moi : - J’ai mal au dos. Je n’ai pas l’habitude de faire mes courses pour une semaine entière. Je paie le fait d’avoir porté trop d’articles lourds hier.

L’autre : - Merde, tu avais raison.

Elle : - Je te l’avais dit : démarche un peu en crabe, elle a mal au dos. Je l’ai vu dès qu’elle est sortie du bâtiment. Tu me dois dix euros.

L’autre : - On en est à combien, déjà ?

Moi : - Vous faites quoi, là ?

Elle : - Eh bien, on joue.

Moi : - Vous pariez ?

Elle : - Ben, pourquoi pas ?

Moi : - De l’argent ?

L’autre : - Virtuel.

Moi : - Je me disais, aussi…

Elle : - Pour l’instant, c’est virtuel, mais vu la situation actuelle, on va peut-être bientôt hériter, hin-hin-hin.

Moi : - Non mais tu t’entends parler ?

Elle : - JE PLAISANTE ! Je plaisante, ho. Vous les humains, vous partez toujours au quart de tour.

Moi : - Non, pas toujours, mais celle-là, elle est d’un goût douteux…

L’autre : - Ich habe Ihnen gesagt, dass Sie solche Witze nicht machen sollen.

Moi : - Et puis je vous signale à toutes deux qu’en cas de malheur, vous n’hériterez de rien du tout. Ce sera vous, l’héritage.

Elle : - Ah. Et on ira où ?

Moi : - Je ne sais pas. Je compte faire des dons à des œuvres. Je te confierai à une association humanitaire. Tu te retrouveras chez les lépreux à Calcutta.

Elle : - Han !

Moi : - Tu vois, moi aussi je peux plaisanter.

L’autre : - Un point partout.

Moi : - Sinon, vous pariez sur quoi ?

Elle : - Sur tout et sur rien. Le plus souvent, sur le comptage des brins d’herbe de la pelouse.

L’autre : - L’autre jour, comme on n’était pas d’accord après avoir compté deux fois, il a fallu qu’on compte une troisième fois pour départager le vainqueur.

Moi : - Je vois que vous avez de saines activités.

Elle : - En tout cas, pas de stage survivaliste avec un dos dans cet état-là.

L’autre : - Tiens d’ailleurs, où ça en est, cette histoire ?

Moi : - Eh bien j’ai vu qu’il existait des stages ailleurs que dans le Périgord noir. Il y a par exemple des stages "grand froid" dans le Jura. On y apprend à construire un igloo.

Elle : - Avec le réchauffement climatique, ça va bientôt plus servir à rien, ça. J’en vois pas trop l’intérêt.

Moi : - Sinon la formule "bite et couteau" se décline aussi en Normandie et à Courchevel.

L’autre : - Alors déjà, le Périgord noir, ce n’est pas vraiment la jungle tropicale infestée de moustiques et de serpents, mais j’imagine très bien le stage dans le bocage normand avec un ancien sergent parachutiste en treillis à traquer les vaches entre deux petits coups de cidre, le tout dans un esprit de franche camaraderie virile.

Elle : - C’est où, Courchevel ?

L’autre : - C’est en Savoie. Le rêve de toutes vacances à la neige. Un endroit où on rencontre plein de célébrités. Bref, un coin pour les voitures comme moi. Je ne vois pas trop quelles stratégies survivalistes on peut développer là-bas, à part piquer des SUV et du caviar dans les frigos. C’est du survivalisme avec vue directe sur les sommets enneigés. L’idée, c’est peut-être de dévaler une piste noire avant l’apocalypse, tant qu’on y est…

Elle : - Et au fait, c’est prévu, des stages "bite et couteau" pour les semi paralytiques dans ton genre ?

Moi (tapotant sur mon smartphone) : - Je te remercie, toujours le mot pour rire… Ah, il y a une vidéo "Survivalisme et handicap physique" sur Youtube. Voyons voir ça… (Après un instant) Le mec, il recommande d’utiliser une chaise de bureau à roulettes pour aller dans sa salle de bains quand on est invalide, et en marche arrière, parce que ça va mieux ainsi…

L’autre : - Précieux, le conseil… Manger des insectes comestibles en pleine Dordogne, à côté de ça, c’est rien.

Elle : - Ou même descendre de son balcon en varappe.

L’autre : - Et l’accrobranche dans le cerisier du Japon, vous y avez pensé ?

Moi : - Moquez-vous… (Après un instant) Ah dites donc, à la fin de sa vidéo, le type déclare que si les choses deviennent trop compliquées à cause du handicap, le mieux est encore de se suicider.

Elle : - Ben on a du mal à le suivre, le gars. Il veut survivre ou il veut en finir ?

Moi : - C’est selon la dose d’optimisme du moment, je crois. Le survivaliste, il s’attend au pire, mais en même temps il garde un tout petit peu espoir dans un monde pourtant complètement ravagé par les radiations ou les guerres ou les maladies ou la grève des bus. En fait, c’est un grand optimiste qui s’ignore, sinon il se flinguerait tout de suite. Souvent, le fond du problème n’est pas que les choses vont mal, mais plutôt d’être convaincu que tout va mal.

L’autre : - C’est très français, ça… »

Annotations

Vous aimez lire Grande Marguerite ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0