2 avril 2020 (Une vraie jeune fille)

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Elle : « Non mais au début je comprenais tout, et puis depuis hier, je me rends compte que je suis paumée. C’était quand même intéressant, parce que si je ne suis pas sûre d’avoir tout capté, eh ben je me pose tout plein de questions maintenant.

L’autre : - À ceci près que tu te poses souvent tout plein de questions.

Elle : - Bah ouais, écoute : si nous sommes non genrées, pourquoi se réfère-t-on toujours à nous avec des mots féminins ? Une voiture, une caisse, une bagnole…

Moi : - Salut vous deux. Pardon de vous déranger, mais j’ai l’impression que la conversation qu’on a eue hier vous travaille encore un peu.

L’autre : - Oui, on a prolongé la discussion, et j’ai tenté entre autres de lui faire comprendre la différence entre pansexuel et bisexuel. Je pense avoir à peu près saisi.

Moi : - Je me demande en quoi ça peut vous concerner, mais au moins ça fait un sujet de bavardage…

Elle : - Ça nous change un peu des virus, excuse-nous de nous intéresser à autre chose que votre petite pandémie ! C’est surtout pour essayer de vous comprendre un peu mieux, vous les humains, mais en fait… En fait, c’est à peu près clair comme du fioul.

Moi : - C’est pourtant lumineux : la bisexualité est une attirance sexuelle pour deux genres ou plus, tandis que la pansexualité est la capacité d’aimer une personne sans considération pour son genre ou son sexe.

Elle : - Uuuh, déjà qu’il y a plus de deux genres…

L’autre : - Ben oui, je t’ai expliqué qu’il ne fallait pas oublier les trans…

Elle : - Oui mais si je considère qu’on peut être attiré par toutes les espèces de genre, dans ce cas-là on est pansexuel aussi, non ?

L’autre et moi : - NON.

Moi : - Ça me rappelle certains cours où j’explique les différences entre le prétérit et le present perfect, et au bout d’une heure les élèves n’ont toujours pas compris.

L’autre : - Fais un effort, bouge un peu tes circuits…

Elle : - Dites tout de suite que j’ai le niveau d’une Punto…

Moi : - Quand on est pansexuel, ça veut dire qu’on peut tomber amoureux d’une personne – mâle, femelle, neutre, etc. – mais qu’on ne va pas forcément avoir une sexualité fluide.

L’autre : - La sexualité fluide en étant non binaire, ce n’est pas la définition de l’omnisexualité ?

Elle : - Nan mais arrêtez deux minutes… J’ai compris que ce n’était pas aujourd’hui que j’y entraverai quelque chose. Et ça ne répond pas à mon interrogation.

Moi : - Quelle interrogation ?

Elle : - Pourquoi parle-t-on toujours de nous avec des mots féminins ? UNE voiture, UNE tire, UNE bagnole… Pourtant, UNE automobile est synonyme de puissance, de confort, de sécurité… Des qualités qui me paraissent plutôt masculines, d’ailleurs.

Moi : - Tais-toi, malheureuse ! Si une féministe t’entendait…

Elle : - Oui mais j’ai pas raison sur le fond ? Y en a marre des mots féminins ! Je veux explorer mon côté viril.

Moi : - S’il n’y a que ça pour te faire plaisir, je ne vais plus employer que des mots masculins pour parler de toi et tes congénères : UN tas de ferraille, UN veau, UN tacot, UN tas de boue…

Elle : - Ouais, finalement, on va s’en tenir aux noms féminins…

Moi : - Pourtant, c’est très tendance d’associer le masculin à tout ce qui est négatif. Vous seriez au top de la mode.

Elle et l’autre : - C’est vrai ?

Moi : - Ah mais carrément. Ça fait des siècles que nous les femmes – enfin moi la femme, car je ne vais pas m’approprier la parole d’une minorité agenre non binaire sous domination humaine et cisgenre pour causer à votre place – nous sommes, heu enfin JE SUIS invisibilisée par un odieux patriarcat oppresseur, normatif, hétérocentré et hypersexualisant. Car en plus, vous ne connaissez pas encore le pire.

Elle et l’autre : - Heu ?

Moi : - Non content d’asservir la moitié de l’humanité dans un système de domination entendu au sens statistique d’un ensemble de mécanismes sociaux qui concourent à créer un complexe de primautés masculines, l’objectif principal du mâle dans la vie est une bonne grosse partie de jambes en l’air – qu’il achèvera le plus souvent dans un râle avant de s’allonger sur le côté afin de lâcher plus confortablement une petite flatuosité annonçant son pré-endormissement, le porc.

L’autre : - Ça sent le vécu.

Elle : - On parlait de quoi, là, déjà ?

L’autre : - C’était juste pour savoir pourquoi il vaut mieux dire une voiture plutôt qu’un véhicule.

Elle : - Et qu’est-ce qu’ils font avec leurs jambes en l’air, les humains ? C’est ça, le grand secret que tu ne voulais pas nous révéler ?

L’autre : - Je note que vous avez réussi à dire tout cela sans reprendre une seule fois votre souffle ! Je reste admirative.

Elle : - Ah ouais, faut avoir de gros poumons pour défendre la cause des femmes !

Moi : - Méfie-toi, cette phrase pourrait être mal interprétée. (Après quelques instants de réflexion) Tenez, le mot "virus", qu’on entend tout le temps en ce moment, est un mot latin qui signifie "poison". C’est la même racine que le mot "vir" qui veut dire "homme" et qui a donné les mots "viril" et "virilité" en français.

Elle et l’autre : - Uuuuh.

Moi : - Et c’est là que tout s’explique : compte tenu de l’étymologie, un virus, ça ne pouvait qu’être méchant, petit, mesquin, malfaisant, sentant mauvais.

Elle : - C’est aussi plein de poils ?

L’autre : - Pourtant, on dit la pandémie. C’est féminin, mais ça n’a pas l’air très positif.

Elle : - Mais on dit le COVID.

Moi : - Non. La COVID.

Elle : - Non, le… !

Moi : - Non, la… !

Elle : - C’est gender fluid ?

L’autre : - Si je comprends bien... Quand on se réfère à quelque chose de féminin et négatif, c’est l’expression d’une vision genrée androcentrée. Quand on se réfère à quelque chose de masculin et négatif, c’est pour dénoncer une masculinité hégémonique. L’ai-je bien résumé ? »

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