26 octobre 2020, 13h38 (Le déjeuner sur l’herbe)
Elle : « Pouah, ça pue. Qu’est-ce que c’est ?
Moi : - Un sandwich fromage-oignons. À part toi, ça gêne qui ?
Elle : - Ouh là, si tu le prends comme ça…
Moi : - J’ai bien le droit de manger, non ? Et j’aimerais déjeuner en paix, comme dirait l’autre.
Elle : - Oh, très bien, dans ce cas, je vais me taire.
Moi : - Eh bien, quel événement ! Sonnez hautbois, résonnez musettes, elle va se taire ! (Après un silence chargé de bouderie d’une part, et d’ironie de l’autre) Essaie de me comprendre deux minutes : on est en rase campagne, il ne devrait y avoir que le chant des oiseaux pour accompagner ce frugal et modeste repas, et je dois m’appuyer tes commentaires assassins. Nous pourrions méditer sur notre étrange époque, sur le destin de tous ces jeunes hommes fauchés dans la fleur de l’âge dont nous avons vu les tombes, sur la délicatesse des rayons de soleil qui glissaient avec nous le long des routes… On pourrait au moins s’accorder deux minutes de calme, empreintes de gravité.
Elle (d’un ton rogue) : - La gravité ne sent pas l’oignon.
Moi : - Et dire que pendant ce temps-là, Trump risque d’être réélu et le permafrost sibérien fond comme un crétin. Quand on voit les ravages qu’est capable de produire un virus contemporain de chauve-souris mâtiné de pangolin, je n’ose penser à ce que sera le sort de l’humanité quand la glace aura libéré le virus de l’angine du mammouth ou celui de la tremblante du tigre à dents de sabre.
Elle : - Sans parler de la grippe aviaire du lapin.
Moi : - Ton vœu de silence n’aura pas tenu très longtemps, mais si c’est pour dire de telles inepties… Commence par parler de vrais animaux préhistoriques, comme les aurochs, et heu…
Elle : - Les Simca 1000 !
Moi : - Et puis, mais c’est juste un détail, je t’informe que le mot "aviaire" fait normalement référence aux volatiles.
Elle : - Eh bien ! J’ai toujours su que les lapins étaient de drôles d’oiseaux. Tiens, en parlant de mammouths, ils ont pas un rapport avec les gens qui ont une mauvaise haleine ? Parce que là… D’abord, il sort d’où, ton sandwich ?
Moi : - De chez Marks et Spencer.
Elle : - Aaah je vois. Tu manges britiche parce qu’on va voir des cimetières britanniques cet après-midi ? Il est puissant, le concept.
Moi : - Pas du tout ! J’aime cette combinaison, certes odorante, de cheddar extra mature, parfumé, riche, crémeux, et de… ben, d’oignons.
Elle : - Je comprends pourquoi tu manges seule. Et si on avait prévu de visiter des cimetières allemands, tu mangerais de la choucroute ?
Moi : - Mais non, voyons ! En plus la choucroute, c’est pas vraiment de la nourriture de pique-nique.
Elle : - Non ? Y a pas de sandwiches à la choucroute ?
Moi : - Pas à ma connaissance. (Après un silence) Puisqu’on parle de spécialités allemandes, ça va, le parking sans Ursula ? Tu t’entends bien avec ta nouvelle voisine ?
Elle : - Mouais. Elle a beaucoup moins de conversation, et surtout, j’ai du mal à la comprendre. Elle utilise plein d’expressions bizarres. Ce doit être de l’anglais.
Moi : - Il va falloir que tu t’enfonces dans le crâ… enfin dans le micro-processeur que tout langage un peu curieux n’est pas nécessairement de l’anglais.
Elle : - Elle parle zarbi quand même.
Moi : - Peut-être parce que son propriétaire est jeune ?
Elle : - C’est possible. (Après un silence) Dis… Elle devait vraiment s’en aller, Ursula ?
Moi : - Oui, et son propriétaire aussi. Je t’ai déjà expliqué qu’il n’a pas bien supporté le confinement. Pour pouvoir s’acheter un appartement plus grand, il devait vendre sa Porsche. Et voilà, il a vendu Ursula, et c’est ainsi que les deux sont partis.
Elle : - Bouhou, Ursula…
Moi : - Snif, Vincent… »
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