Moi : « Puisqu’il faut y aller, allons-y !

Elle : - Quoi ? On bouge ?

Moi : - Tu vois bien.

Elle : - M’enfin c’est quoi ce confinement où on bouge ? On va où comme ça ?

Moi : - Au boulot. À la Cité Scientifique.

Elle : - À la Cité Scientifique ?

Moi : - Oui, le quartier universitaire à Villeneuve d’Ascq où se trouve la Faculté des Sciences et Technologies de l’Université de Lille et ses Départements : Biologie, Chimie, Mathématique, Infor…

Elle : - Ne me prends pas pour une abrutie, je sais ce que c’est !

Moi : - Alors pourquoi tu fais celle qui ne comprend pas ?

Elle : - Tu vas bosser ?

Moi : - Ça veut dire quoi, ça ? Je vais bosser quelque part ailleurs que chez moi, oui. Les autres jours, je travaille aussi, tu sais.

Elle : - Oui enfin c’est ça que je voulais dire ! Tu sors pour bosser ? À la fac ? Mais je pensais que les universités étaient fermées !

Moi : - Eh bien oui.

Elle : - Rheu ! J’y comprends rien !

Moi : - C’est normal si tu n’y comprends rien, Pollinette. Je vais tenter de t’expliquer les choses, si tu veux bien.

Elle : - Pas que ça me dérange de rouler un peu – au contraire – mais au moins je saurai ce que nous fabriquons sur le périph’ en plein confinement… Et puis tu aurais pu m’en parler samedi.

Moi : - Samedi, quand on s’est vues, je n’étais pas encore au courant, figure-toi. L’info est tombée samedi soir. Alors accroche-toi bien. J’enseigne en principe des "travaux dirigés", soit une forme d’enseignement qui permet d’appliquer les connaissances apprises pendant les cours théoriques ou d’introduire des notions nouvelles. Dans mes cours, les étudiants font essentiellement des exercices d’anglais à partir de plusieurs supports.

Elle : - Des travaux digérés, bien.

Moi : - Mais durant le week-end, j’ai appris que mes cours avaient été rebaptisés. Je n’enseigne plus des TD, mais des TP.

Elle : - Aaaaah je vois, on change de lettre pour indiquer une montée en gamme.

Moi : - Hein ?

Elle : - Ben ça marche comme ça pour de nombreux véhicules : les Mercedes, les…

Moi : - Ne commence pas à m’interrompre par tes remarques à côté de la plaque, sinon je n’aurai pas fini avant d’arriver à Villeneuve d’Ascq. Et, non, ça ne fonctionne pas comme chez les voitures.

Elle : - Rhôôôlàlà… Si on peut même plus faire de remarques…

Moi : - Laisse-moi parler, au moins ! Tu feras tes commentaires après. J’en étais où, d’ailleurs ? Ah oui, les TD changés en TP. TP, ça veut dire Travaux Pratiques. Les TP sont censés apporter aux étudiants une compréhension plus concrète des phénomènes naturels et technologiques étudiés et développer leurs capacités expérimentales.

Elle : - Ouais. Le rapport avec l’anglais ?

Moi : - Il n’y en a pas. Les TP d’anglais, ça n’existe pas. En TP, les étudiants font des manipulations ou des expériences en labo, apprennent à se servir d’outils…

Elle : - Tu manipules quoi, en anglais ?

Moi : - On peut à la limite dire que j’expérimente parfois beaucoup, mais je ne manipule rien du tout en cours d’anglais – à part peut-être quelques esprits, et encore…

Elle : - Alors pourquoi dire que tes TD sont des TP ?

Moi : - Depuis vendredi matin, tous les cours magistraux et TD ont basculé en ligne. Ça veut dire qu’il faut faire les cours à distance. Seuls certains TP font exception. Ils peuvent être maintenus "dans des conditions spécifiques".

Elle : - Si tu continuais simplement tes travaux digérés, tu resterais à la maison…

Moi : - Je crois que tu commences à comprendre.

Elle : - Mais en rebaptisant tes cours "TP", on les maintient en présentiel, et c’est pour ça que tu vas à Villeneuve d’Ascq aujourd’hui.

Moi : - C’est ça.

Elle : - Ouah, trop fort ! C’est l’école des apprentis-sorciers que tu fréquentes !

Moi : - On peut dire ça. Paris est magique. L’Université de Lille aussi.

Elle : - Et concrètement ?

Moi : - Concrètement ? Je fais toujours des cours d’anglais classiques. Mais on me demande de faire mes cours dans un labo de langues pour justifier ma présence sur le campus.

Elle : - Donc les professeurs de langues se servent quand même de labos pour leurs cours !

Moi : - Oui, ça nous arrive. Sauf qu’en ce moment les labos de langues sont inutilisables parce qu’on a retiré tous les casques audio par mesure d’hygiène. Et faire des exercices audio sans casque audio, c’est sportif.

Elle : - C’est ce que vous faites en labo de langues ? D’habitude, pour écouter des trucs, tu allumes mon autoradio et ça te suffit…

Moi : - Non mais je te parle d’écoutes structurées et d’activités encadrées, sous ma supervision ! Ah là là… Je ne sais pas ce qui me démoralise le plus, tes remarques ou ce qu’on m’oblige à faire.

Elle : - Je te sens pas très motivée.

Moi : - Disons que je suis moyennement ravie à l’idée de contourner les règles du confinement pour faire cours à des personnes qui appartiennent à la tranche d’âge qui véhicule le plus le coronavirus.

Elle : - Faut positiver : tu sors de chez toi !

Moi : - En plus les masques qu’on nous a donnés pour faire cours sont vachement étanches avec leurs petites fronces sur le pourtour – on dirait des mini couches-culottes. On peut dire qu’ils sont mignons avec leur liseré bleu-blanc-rouge, j’ai l’impression que je vais encourager l’équipe de France. Mais moi, je fais des boutons en-dessous.

Elle : - Ouh là là, j’ai l’impression que rien ne va aujourd’hui… Et alors, qu’est-ce que tu fais contre les boutons ?

Moi : - Je purifie ma peau. Avec un masque. »