19 novembre 2020 (Ma 6-T va crack-er)

5 minutes de lecture

Elle et l’autre : « "Laisse-moi zoom zoom zang dans ta Benz Benz Benz / Girl, quand tu whine ton bumpa, ça m’rend dingue dingue dingue / Laisse-moi zoom zoom zang dans ta Benz Benz Benz / Girl, quand tu whine ton bumpa, ça m’rend dingue dingue dingue"

Moi : - Je vois que ça chauffe terrible aujourd’hui ! Et qui voilà ? M’ame Zeup ! Mais où étiez-vous passée ?

L’autre : - Wesh, j’étais à la campagne avec mamène. Pas de quoi faire la mala où qu’on squattait, à Armentières. C’était zéro délire.

Moi : - Armentières ? C’est la campagne ?

L’autre : - Un peu que c’est la campagne : pas de métro, pas de tram, pas de teuf… Le bled total, quoi.

Moi : - Et donc, vous vous rattrapez maintenant, en mettant l’ambiance sur le parking ?

L’autre : - Woah, si on veut. J’ai pris d’la zique de papis, j’essaie de commencer par le commencement pour instruire ta tchop.

Moi : - Étonnamment, je connais votre chanson, mais c’est pas ce que j’appellerais de la musique de papis.

L’autre : - Attends, c’est ieuv tout ça, c’est pour les branlants d’ta génération !

Moi : - C’est gracieux, merci… Puisqu’on en est à parler vrai, je vous signale que le texte est carrément ridicule quand il est interprété par des voitures !

Elle : - Nan, c’est rigolo, justement, ça cause de bagnoles ! Et puis, pour ton info, un bumpa, c’est un pare-chocs. La chanson, elle est sur les pare-chocs. C’est classe, non ?

Moi : - Formidable. Dans deux minutes, tu vas m’apprendre l’anglais ! À moi, la prof ! À moi, l’ancienne traductrice ! Et puis, pour ton info, ça parle de pare-chocs si on veut ! Je doute que tu saisisses toutes les subtilités du texte – si toutefois on peut appeler ça un texte.

L’autre : - Non mais viens pas nous agresser sur les lyrics, genre, c’est pas assez subtil, c’est pas assez lettré et c'est trop vulgaire ! T’as pas les codes pour comprendre, c’est tout.

Moi : - Sûrement.

L’autre : - Toi, t’es pas le genre de feumeu à écouter du bon son. C’est pour ça que ta tchop elle connaît rien.

Moi : - Le rap, c’est vraiment pas mon style de musique. J’en suis restée à "Simple et funky" et franchement, ça me suffit largement.

L’autre : - Tu m’étonnes ! Pour le rap, t’es juste pas prête.

Moi : - Ce n’est pas une question d’être prête ou non, mais il y a plein de choses qui me gonflent dans le rap. Je préfère le chant, la mélodie, la force d’une belle voix, l’harmonie…

Elle : - L’écoute pas Zeup, question musique, c’est parfois inimaginable ce qu’elle passe dans l’autoradio.

Moi : - Mais dis donc, Marie-Apolline, tu pourrais te montrer un peu plus solidaire…

Elle (à voix basse) : - Y a le posse qui nous surveille, là-bas.

Moi (sur le même ton) : - Ah, le posse. Bof, je m’en fous. Le gang a l’air important comme ça, mais il en fait il est immobile. (À voix plus forte) Donc, pour moi, on n’est pas obligé d’adhérer à tous les genres musicaux.

L’autre : - Mouah non eh, le rap, c’est trop bien, ça groove comme t’imagines pas ! Chuis trop choquée d’entendre ça ! Tu sors d’où, toi ?

Moi : - Tant qu’on s’en tient à la musique, c’est déjà, heu… Mais en plus le culte de l’argent, le côté bling-bling, les paroles sexistes et l’hyper-virilité exacerbée, je trouve ça pénible.

L’autre : - Pas d’ma faute si t’as le QI en déficit au point de rien capter ! C’est quoi, le blème, au juste ? T’as des exemples à fournir ?

Moi : - Eh bien oui, pour commencer, j’ai beaucoup de mal avec l’égocentrisme de nombreux rappeurs. C’est quoi cette façon de parler de soi à tout bout de champ, de se présenter quand on démarre un morceau, comme si on ne savait pas qui on écoute… ?

L’autre : - Bon alors faut t’faire un croquis, quoi. Se présenter, les spéciales dédicaces, c’est dans le staïle, sinon tu passes en-dessous du radar, meuf.

Moi : - Mouais. Les grands auteurs n’ont jamais eu besoin de cette débauche d’effets pour faire passer leurs idées.

L’autre : - Les grands auteurs ? Qui ça ? Booba ? Kery James ? Disiz la Peste ?

Moi : - Non, je pensais à Victor Hugo, Voltaire, André Malraux, Zola…

L’autre : - Zola ??? Le mogo de "Fuckboi" ???

Moi : - Quoi, "Fuckboi" ? Je vous parle de Zola, Émile !

L’autre : - C’est qui c’gonze ?

Moi : - Émile Zola ? L’un des plus grands écrivains français ! Un auteur engagé, qui a marqué son époque !

L’autre : - Combien de followers sur Insta ?

Moi : - Aucun, il est mort depuis plus d’un siècle !

L’autre : - Encore un bambi, quoi !

Moi : - En tout cas, Zola, il ne sortait ni la grosse caisse, ni la beatbox pour défendre les grandes causes ! Non mais vous vous imaginez : "Yo, alors frérot écoute un peu / Je vais te narrer quelque chose de fâcheux / Featuring le news L’Aurore / Chuis fort comme un dix-cors / Ici c’est Émile Boombass Zola / de la région P.A.C.A.-ah ! / Je vais vous causer du Captain Fus-drey / Qu’a été embastillé ouais !"

Elle : - Fus-drey, c’est un capitaine de soirée ? Celui qui ne boit pas pour conduire en sécurité ?

Moi (poursuivant) : - Ou alors il faut s’imaginer Albert Camus, débutant son fameux discours de Suède par : "MC Camus en direct de Stockholm hein / De Stockholm hein / Je prends le mike devant le Nobel Comité / Chuis Bébert le kid from Alger / Chuis dans la place / Pour défendre ma race / Expliquer comment je kiffe l’art / Et dire ce qu’est un grand tiste-ar"…

L’autre : - Nan mais c’est un flow de nase, ça, quoi.

Moi : - Excusez-moi, je manque peut-être un rien d’entraînement.

L’autre : - Il est plus connu qu’Aya, le reubeu d’Alger ?

Moi : - Quand même un peu, je crois. Et il n’était pas arabe.

L’autre : - Combien de skeuds à son actif ? Combien de couv’ ?

Moi : - C’est comme Zola, il est un tout petit peu mort. Et puis il ne chantait pas. Mais on l’étudie à l’école.

L’autre : - Ouais, pas d’quoi en faire une mixtape. C’est bad, wo.

Moi : - De qui parlez-vous ? De Camus ?

L’autre : - Nan, de toi. De ton flow même pas chant-mé et tes lyrics à la ramasse. C’était pas très ouf.

Moi : - Désolée de vous avoir déçue. Honnêtement, je crois que je n’atteindrai jamais les compétences d’une Aya ou de PNL pour tricoter des textes parfaitement indigents. M’est avis que derrière certaines victoires de la musique, il y a parfois la défaite des paroles.

L’autre : - OMG ! T’as entendu ça, voisine ? La meuf, elle vient d’nous claquer une punchline ! »

Annotations

Vous aimez lire Grande Marguerite ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0