14 décembre 2020, 13h31 (Les bonnes intentions)

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Moi : « Je vais te bouger tout de suite, le fait d’être arrivée très en avance aura au moins eu ça de bon.

Elle : - Je comprends pas pourquoi on les appelle ″gens du voyage″ : c’est eux qui s’installent et c’est nous qui voyageons ! Nous sommes devenues des SPF, des Sans Parking Fixe !

Moi : - Oui, c’est ça le paradoxe : on devrait arriver sur un parking quasi désert, puisque presque tous les profs, les étudiants et le personnel de la fac travaillent en distanciel, et finalement, nous sommes obligées d’aller nous garer ailleurs à cause des caravanes qui occupent les emplacements libres ! C’est un peu le comble !

Elle : - Moi, elles me font peur, ces caravanes.

Moi : - Il n’y a pas de quoi avoir peur.

Elle : - Pourquoi on s’en va, alors ? Faut pas avoir la pétoche mais tu juges plus utile de me déplacer !

Moi : - Je ne pense pas que quelqu’un va t’agresser, car ce serait bête de leur part : le coupable serait tout de suite trouvé. Et puis certains disent qu’ils sont comme les chauves-souris : ils ne volent que la nuit.

Elle : - Ah, tu vois qu’ils sont dangereux.

Moi : - Oublie ça, c’était une blague…

Elle : - Heu ?

Moi : - Mais c’est plutôt pour moi que je te gare ailleurs : à 17 heures et des poussières, il fait nuit et je ne tiens pas… à me retrouver parmi… enfin…

Elle : - Ah, tu vois, t’es pas super à l’aise avec eux.

Moi : - Il faut dire qu’ils ont le don pour ne pas se rendre très sympathiques.

Elle : - Et ?

Moi : - Et quoi ?

Elle : - C’est tout ? D’habitude, je t’entends râler pour beaucoup moins que ça ! Là, tu vas devoir te taper un quart d’heure à pied pour retourner à ton lieu de travail, le temps est moche et ils n’ont pas le droit de camper là où ils se trouvent, et c’est tout l’effet que ça te fait ?

Moi : - Heu, oui. Que veux-tu que je dise ?

Elle : - Ben tu pourrais exprimer un peu de colère, les insulter, dire à quel point la situation te gonfle… mais non. Tu restes calme. Je comprends pas.

Moi : - Est-ce que m’énerver va changer quelque chose ?

Elle : - Oh. On t’a remplacée pendant le week-end. Je ne te reconnais plus.

Moi : - Mais enfin p’tite Maguette, je ne vais pas vitupérer contre une population paupérisée et ostracisée !

Elle : - Ouais, paupérisée. Il faut vraiment être au bout au rouleau pour s’installer sur un parking sans arbres et même pas fermé. Il n’empêche… C’EST MON PARKING, MERDE !

Moi : - Hé, cool ! D’abord, ce n’est pas toi la propriétaire du parking, et tu as le droit d’y rester parce que JE travaille à cet endroit.

Elle : - Mais pourquoi ça ne te fâche pas ? Tu es en train de me dire que nous sommes tout à fait légitimes sur ce parking et puis on va se garer gentiment ailleurs, comme si de rien n’était.

Moi : - Il ne t’aura pas échappé qu’il y avait une vingtaine de caravanes. On ne fait pas le poids, Cocotte.

Elle : - Je suis pourtant apparentée aux blindés. Si je pouvais leur rentrer dedans…

Moi : - Toi, Pollinette ? T’as un rapport avec les blindés ?

Elle : - Ben ouais ! T’as jamais entendu parler des chars Renault ? On est de la même marque !

Moi : - Une proportion non négligeable d’Européens a un peu d’ADN néanderthalien dans ses gènes, mais ce n’est pas pour ça que nous survivrions en plein blizzard et que nous saurions tenir tête à un troupeau de mammouths laineux, voyons ! Ce n’est pas parce que tu as des liens très lointains avec des chars de combat qu’il faut que tu te prennes pour ce que tu n’es pas. Tu es une gentille petite Twingo bleue qui va gentiment se garer… là.

Elle : - Ouais bon d’accord, mais c’est curieux que tu ne te révoltes pas plus quand tu es capable d’engueuler un chauffeur qui a grillé un feu rouge…

Moi : - M’enfin je ne vais pas abdiquer mes idéaux d’égalité et de fraternité pour une histoire de place de parking !

Elle : - Hein ?

Moi : - Ben oui ! J’ai été nourrie au bon grain de l’humanisme et de la tolérance par des gens qui y croyaient fermement, ce n’est pas maintenant que je vais me montrer raciste et étroite d’esprit !

Elle : - Tu parlais de tes parents, là ?

Moi : - Oui, des gens très ouverts, très… Enfin, pas en qui concerne la religion ; mon père est très anticlérical. Il supporte tout le monde sauf les curés.

Elle : - Bon, il y a déjà quelques limites à leur humanisme…

Moi : - Non mais à part ça tout va bien, hein. Sauf ma mère qui ne supporte pas les soixante-huitards parce qu’elle n’appartient pas à la même génération et qu’elle n’a jamais été d’accord avec la plupart de leurs idées.

Elle : - Ça en fait déjà quelques-uns de plus.

Moi : - Ce à quoi il faut ajouter naturellement tous les gens d’extrême-droite avec lesquels on ne s’entendra jamais de toute façon…

Elle : - Ouais, il y a quand même de belles restrictions à leur amour de l’humanité.

Moi : - …et puis les Flamingants parce que mon père est d’origine wallonne…

Elle : - On finit par s’y perdre…

Moi : - Les représentants des associations de parents d’élèves parce que ce sont des pénibles…

Elle : - Dis-moi plutôt qui va rester à la fin, ça ira plus vite !

Moi : - On a chacun ses têtes, tu sais. Quand je dis qu’on aime tout de monde, ça veut dire pas n’importe qui ! »

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