7 janvier 2021 (Tempête à Washington)
Moi : « Non mais non ! Il ne faut pas confondre !
Elle : - Ben si, pour moi, c’est pareil.
Moi : - Ils sont plus agités aux États-Unis, quand même !
Elle : - J’entends bien que c’est la même chose.
Moi : - Nan.
Elle : - Si. C’est la même mauvaise humeur partout.
Moi : - Non, p’tite Maguette. Aux États-Unis, ils gueulent, ils trépignent, ils vitupèrent, tandis que les Français râlent.
Elle : - Et ? C’est quoi la différence ?
Moi : - Eh bien nous, on râle avec classe, mauvaise foi et élégance.
Elle : - Tout ça en même temps ?
Moi : - Ouais. Il faut comprendre qu’on est les meilleurs dans notre domaine.
Elle : - Quoi ? C’est à nouveau la coupe du monde de foot et on ne m’avait rien dit ?
Moi : - Non, p’tite tête, il n’y a pas de coupe de foot en ce moment. En revanche, on assiste à une vraie course à l’échalote pour vacciner les gens, et la moindre anicroche fait râler à tout va.
Elle : - Que viennent faire les légumes du potager là-dedans ?
Moi : - Ce n’est qu’une expression, Pinette. À l’origine, on disait "course à l’oignon", et l’oignon étant une métaphore de l’anus, ça revenait à dire qu’on courait pour coller aux fesses de quelqu’un…
Elle : - Heu, pardon ? De quoi tu parles au juste ?
Moi : - Ben, de… postérieur… Pfff, laisse tomber. Une course à l’échalote, c’est une course, quoi.
Elle : - Alors dis juste "course" dans ce cas ! Qu’est-ce que tu viens m’embrouiller ?
Moi : - Je voulais simplement dire qu’on assiste à un drôle de concours entre les pays. Il faut comprendre que dans ces espèces d’olympiades qui ne disent pas leur nom, l’honneur national a été piqué au vif.
Elle : - Normal d’être piqué quand il s’agit de vacciner les gens, non ?
Moi : - Tu ne comprends pas que l’heure est grave. En France, on a démarré lentement, comme à l’Eurovision, et certains pensent qu’on risque de finir dans les derniers… comme à l’Eurovision aussi. Mis à part qu’une campagne de vaccination ne se juge pas sur une seule semaine.
Elle : - Ben on dirait pas, quand on écoute la radio !
Moi : - Depuis presque un an, tous les grincheux, rouspéteurs, pisse-vinaigre, hargneux, acariâtres, bougons, maussades, malcontents, cache-ta-joie, pisse-froid, ronchons, sans-joie de France et de Navarre s’expriment longuement sur toutes les antennes, mais depuis une semaine, c’est un vrai festival. Entre ceux qui ne veulent pas se faire vacciner et ceux qui trouvent que les choses ne vont pas assez vite, on baigne dans le négativisme jour et nuit. Refuser la vaccination dans le pays d’Europe où on consomme le plus de médicaments sous prétexte qu’on a peur des substances chimiques, je trouve ça cocasse, cela soit dit en passant. Ici, on n’hésite pas à prendre le risque de se dézinguer le foie à coups de paracétamol, on est une nation accro aux tranquillisants, mais le vaccin contre la COVID fout la trouille.
Elle : - Justement, si les Français prennent beaucoup de tranquillisants, c’est qu’ils ont pas hyper confiance dans la vie en général.
Moi : - Il faut avouer que rien n’est fait pour les calmer. Et vas-y que les médias nous comparent aux voisins, l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Danemark – évidemment à ceux qui font tout mieux que nous sans jamais mentionner les pays où la vaccination n’a pas encore commencé et où même parfois ce n’est qu’un rêve à peine caressé.
Elle : - Et en plus, il pleut. Mais dis-moi, ce n’est pas pour ça qu’ils font tout ce bazar aux États-Unis ?
Moi : - Ça m’étonnerait beaucoup que les gugusses qui ont envahi le Capitole à Washington hier soient de fervents partisans de la vaccination.
Elle : - Non ? Pourtant ils étaient très énervés comme des gens qui n’ont pas encore eu leur dose.
Moi : - Mais ils n’ont pas du tout les mêmes motifs de mécontentement que nous ! Enfin, on en a déjà parlé : il y a toute une partie des Américains, Trump en tête, qui pensent que les élections présidentielles ont été truquées. À entendre leurs arguments – ils sont pour la défense du port d’armes et de la peine de mort, pour la glorification de l’entrepreneur ou la vénération de la femme au foyer et agitent toutes sortes de complot – on aimerait mieux qu’ils restassent à jamais dans leurs bunkers.
Elle : - Quoi, ils sont en guerre ?
Moi : - En quelque sorte… Ils sont en guerre contre la réalité, avec laquelle ils ont un léger problème. Mais je vois un point commun avec les mécontents d’outre-Atlantique et nos râleurs 100 % gaulois, c’est cette propension à se présenter comme victimes d’un système qu’on décrit comme étant quasi dictatorial dès qu’on veut imposer quelque chose, que ce soit de façon coercitive ou par la douceur – port du masque et vaccination en tête. Or, quand on peut gueuler tout son soûl qu’on est en dictature, c’est qu’on n’est pas en dictature. Car dans les vraies dictatures, les gens sont obligés de la fermer.
Elle : - Uuuuh…
Moi : - Il n’en reste pas moins que la France ne serait pas la France si on ne râlait pas. À la différence des États-Unis, c’est un véritable art de vivre ici. Dans ce monde pétri d’optimisme béat, nous sommes des exceptions. Nous sommes l’olive entière dans le bocal d’olives dénoyautées, nous sommes la pistache dont la coque refuse obstinément de s’ouvrir, nous sommes… le boulon qui va rester coincé quand on va essayer de le débloquer !
Elle : - Je vois pas où tu trouves de l’optimisme béat par les temps qui courent, toi !
Moi : - Avec le vaccin contre la COVID-19, tu vas voir que l’espoir va renaître…
Elle : - Si j’ai bien entendu, on vaccine d’abord les vieux, c’est bien ça ?
Moi : - C’est ça.
Elle : - Eh ben moi, ce genre de nouvelle ne me rend pas optimiste ! Tu te rends compte que si les variants anglais et sud-africain font des ravages dans la population non vaccinée, il ne va rester plus que les vieux pour faire marcher le monde ? »
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