Moi : « Alors ça va ? Il y a encore eu un peu de neige dans la nuit ?

Elle : - Ouais t’as vu, quasiment tout est parti.

Moi : - J’ai connu des hivers dans ma jeunesse où la neige était bien plus costaude que ça. Elle ne tient pas suffisamment longtemps pour que j’aille faire des photos dans un cimetière.

Elle : - Pourtant, il y a quelques jours, il a neigé plutôt longtemps. Tu pouvais risquer une sortie.

Moi : - Toi et moi on n’est jamais sorties sous la neige. On attend sagement que ça s’arrête et on part si la neige tient au sol et les routes sont déblayées.

Elle : - Et voilà, la neige a tout le temps de fondre !

Moi : - Mais enfin Pinette, tu n’es pas équipée pour les randonnées dans la poudreuse !

Elle : - Achète-moi des pneus neige dans ce cas !

Moi : - Je ne suis pas sûre que ça vaille le coup, pour deux jours et demi de neige que nous avons par an…

Elle : - Bon ben tant pis pour les photos !

Moi : - Comme tu dis. Dans la vie, il faut parfois savoir faire preuve de patience et attendre une meilleure occasion.

Elle : - On pourrait dire ça à tous les amateurs de ski alpin en ce moment. La neige, apparemment, ça se mérite.

Moi : - C’est pour ça qu’on l’appelle l’or blanc.

Elle : - L’or blanc ? Vraiment ?… Perso, je ne connaissais que l’or noir jusque-là…

Moi : - Comme ça tu as appris quelque chose aujourd’hui… Pour les enseignants, l’or blanc, c’est tout autre chose.

Elle : - Vous êtes aussi des chercheurs d’or ?

Moi : - Parfois. Sans trouver trop de pépites, hélas. Bref, je te parlais de cet or blanc que représente toute ramette de papier pour un enseignant. Tout prof est un papivore obsessionnel en puissance.

Elle : - Vous bouffez le papier ?

Moi : - Non, mais ça nourrit en quelque sorte nos cours. Je ne me vois pas faire classe sans mes précieuses photocopies remplies d’exercices propres à faire plier les plus récalcitrants des apprenants aux connexions neuronales en état de réussite différée.

Elle : - Hein ?

Moi : - Ça veut dire qu’on se venge des cancres comme on peut. Et donc le papier est une ressource indispensable. Tu me retires ça et mes diaporamas tendrement composés le soir dans ma chambrette, et je me retrouve brusquement en état de viduité intellectuelle décompensée.

Elle : - Quand parler de ton boulot te rend lyrique… C’est quoi, un diaporama ?

Moi : - C’est tout ce que je pourrais expliquer seulement à l’oral si je n’avais pas d’élève sourd. C’est aussi ce qui me sauve la mise quand je n’ai pas pu avoir les documents dont j’avais besoin à temps. Parce que tu vois, p’tite Maguette, le papier vient parfois à manquer, et c’est là qu’on réalise brutalement sa valeur.

Elle : - Y a pas des stations-service à papier ?

Moi : - Oh si. Il y a des caches ici et là, des ramettes planquées au fond d’un tiroir, dans le deuxième bac de la photocopieuse, au-dessus d’une armoire, ou, sous clef, DANS l’armoire. Chercher le papier me rappelle parfois les parties de cache-cache de mon enfance.

Elle : - Tu me sembles avoir des loisirs sains…

Moi : - Mais trouver une liasse de papier n’est pas tout. Encore faut-il que la photocopieuse veuille bien fonctionner, ce qu’elle fait, la plupart du temps. Mais parfois ces petites choses font des pauses technologiques sans prévenir.

Elle : - Quoi ? Elles partent en vacances ?

Moi : - En quelque sorte.

Elle : - Eh ben il y a qui ont de la chance, si tu vois ce que je veux dire.

Moi : - Non, je ne vois pas…

Elle : - Quand on s’amuse comme une folle à pourchasser la ramette de papier timidement planquée de peur d’être mangée et à martyriser des élèves en pleine phase de repos intentionnel et décompensatoire, il ne faut pas s’étonner que les éléments autour de toi aient un peu besoin de faire un break…

Moi : - Dis tout de suite que j’épuise mon entourage !

Elle : - Ben peut-être… ! Quant à toi, faire une pause pour prévenir la surchauffe, ça te dirait ? »