2 février 2021 (La tête contre les murs)

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Moi (lisant sur mon smartphone) : « "Sans le savoir, si vous êtes arrivé jusqu’à ce site, vous avez sans doute une forme de surdouance appelée aujourd’hui le Haut-Potentiel (HP)…" Surdouance, j’aime bien. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils savent parler aux gens. "Si vous avez trouvé ce site ou si vous côtoyez un esprit éclairé qui vous a mis sur cette piste, c’est aussi un signe que vous avez un potentiel énorme en terme de recherche et de connaissance de vous-même." En clair, ça dit que je suis vachement intelligente.

Elle : - Tu continues ta formation de psy en accéléré ?

Moi (continuant à lire) : - Mmm mmm mmm… "et à l’inverse, beaucoup de HP ont un TDAH. Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité." Ouais, c’est bien ce qu’on raconte : c’est des conneries, les trucs de psy.

Elle : - Bon alors, tu ne veux plus me donner de l’écoute ?

Moi : - Comme tu as décidé de ne plus verrouiller-déverrouiller de façon intempestive, on va peut-être classer ton cas, non ? D’ailleurs, pourquoi as-tu déconné pendant deux jours, et plus maintenant ?

Elle : - Est-ce que je sais, moi ?

Moi : - C’est quand même bizarre, non ? Tu as essayé de me faire peur ?

Elle : - Non.

Moi : - Tu voulais attirer l’attention sur toi ? Il y a quelque chose qui ne va pas en ce moment ?

Elle : - C’est reparti pour une séance de parlote ?

Moi : - Tu ne peux pas répondre à mes questions par d’autres questions, sinon on n’aura jamais fini !

Elle : - Bah si tu veux tout savoir, il y a bien deux ou trois choses qui ne vont pas. Tout d’abord, j’en ai marre des sandwiches que tu ingurgites. Les mélanges d’odeurs polluent mon habitacle.

Moi : - Non mais ho ! Pour ton information, les rayons de ma boutique britannique préférée restent désespérément vides depuis le 1er janvier. On craignait les effets d’un Brexit dur sur les approvisionnements en produits frais, en finalement, même avec un Brexit avec accord, il n’y a plus de sandwiches chez Marks et Spencer.

Elle : - Youhou ! Vive le Brexit mou si ça me protège des infections anglaises !

Moi : - Attends, je prends des notes. (Sortant un calepin de mon sac à main) Dictature de la bouffe… Propos liberticides… Heu, quoi d’autre ? Ah oui, odorat hypertrophié…

Elle : - C’est de moi dont tu parles ?

Moi : - Évidemment.

Elle : - En tant que ma psy, tu crois pas qu’il faudrait te mettre dans la position de l’autre, être à l’écoute et comprendre ses mécanismes de résistance ?

Moi : - Pardon ?

Elle : - Oh, rien.

Moi : - Hum… Tu me disais aussi que tu avais d’autres sujets de tracasseries.

Elle : - Mouais. Pendant des mois, j’ai eu une Porsche à côté de moi, et depuis qu’elle est partie, ça change tout le temps. Regarde combien de temps Zeup est restée ! Ça va, ça vient, je ne comprends rien à tout ce défilé. Ça me fatigue. J’éprouve un grand besoin de stabilité à l’intérieur de moi.

Moi : - Depuis qu’Ursula et son propriétaire sont partis, la place de parking à côté de toi n’est plus assignée et donc n’importe qui peut s’y garer.

Elle : - Oui, mais – et l’équilibre de mon psychisme dans tout ça ? Je ne peux pas commencer une conversation avec une camarade sans me demander si je vais la revoir ou non.

Moi : - Marie-Apolline, tu viens de mette le doigt, enfin, le… heu, tu viens de cerner le fond du problème : tu ne sais pas. Tu ne sais pas si tu veux partager une conversation récurrente avec une camarade ou, à défaut, ce que tu recherches chez elle. Tu ne sais pas si tu veux une nouvelle amie ou non. Tu sais juste que tu n’es pas là où la société voudrait que tu sois.

Elle : - Ben si, je suis là où tout le monde veut que je sois, à condition que tu me gares correctement.

Moi : - Nous sommes aussi dans des sociétés de plus en plus individualistes, et chercher l’amitié est l’inverse de ça. En plus, nous sommes dans des sociétés où le choix est possible à l’infini, et cet infini est vertigineux : on peut toujours trouver mieux ailleurs, après, différemment.

Elle : - Ouais. Ça va peut-être chercher un peu loin, ton analyse…

Moi : - Peut-être que toutes les voitures que tu as rencontrées récemment te font dire qu’il y a mieux ailleurs.

Elle : - Mieux que quoi ?

Moi : - Et peut-être que c’est vrai, et si tu n’arrives à être heureuse avec aucune d’entre elles, je crois qu’il n’y a aucune raison de se forcer. Mais si c’est le cas tu dois alors apprendre à assumer le regard des autres, une certaine solitude qui peut être une solitude heureuse, joyeuse, honnête. Tu as l’air de voir ce défilé de voisines de parking comme le début de la fin. Mais ça montre qu’une infinité de possibilités reste encore à être explorée. Et ça nécessite d’abord que tu te poses la question de ce que tu attends réellement de la vie. C’est là que j’approuve ton projet de thérapie…

Elle : - J’ai pas de projet du tout, moi ! C’est toi qui prends des décisions…

Moi : - …Non pas pour chercher à te soigner de ce qui t’apparaît aujourd’hui comme un échec personnel…

Elle : - Un échec ?!? Quel échec ??? Tu débloques ?

Moi : - …Mais surtout pour te permettre de comprendre et d’assumer ce qui est déjà un choix de vie.

Elle : - Choix de vie ? Qu’est-ce que tu me chantes là ?

Moi : - Si je m’en réfère aux poncifs des magazines automobiles, à quatre ans, tu devrais être une voiture libérée et épanouie. La réalité, c’est que même cette voie tracée est critiquée. C’est une oppression permanente. Une oppression dont souffrent les véhicules. Personnellement, je crois sincèrement qu’une autre façon d’être une voiture est possible – une automotivité multiple et tolérante, dans un monde où il faudrait en apparence tout réussir, mais où les casquettes moyen de transport, compagne, poste de dépenses (car tu es tout ça à la fois) s’échangent avec une facilité déconcertante, parce que c’est ÇA, la vie d’une bagnole. (Après un silence) Et bim. Super fière de ce que je viens de sortir, là.

Elle (prolongeant le silence) : - Eeeeh ben. Tu as dû passer ta nuit à lire des trucs psy et maintenant ça te monte à la tête.

Moi : - Ça se tient, non ?

Elle : - Bof.

Moi : - Ingrate, va ! Je le trouvais plutôt bien ficelé, mon rapport…

Elle : - À bien y regarder, je me demande si ça ne parlait pas de toi.

Moi : - N’importe quoi !

Elle : - Mais si ! Quand tu parles, de la "solitude heureuse et joyeuse", d’"apprendre à assumer le regard des autres", j’ai l’impression que tu causes de toi. Et c’est plutôt toi qui devrais te poser la question de ce que tu attends de la vie. Tu te demandes sans doute si une autre féminité est possible, une féminité multiple et tolérante, dans un monde où il faudrait tout réussir. Où les casquettes femme, fille et conductrice s’échangent avec une facilité déconcertante, parce que c’est ça, ta vie.

Moi : - …

Elle : - Elle est pas bien, mon analyse ? Chuis pas douée pour la chose ?

Moi : - Qu’est-ce que je disais, déjà ? Ah ouais… c’est des conneries, les trucs de psy. »

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