20 mars 2021 (Les souvenirs)
Troisième confinement dans le Nord
Elle : « C’est formidable. Il suffit qu’on prononce le mot "confinement" pour que boum, il fasse beau. C’est tout simplement magique.
Moi : - Je te ferai remarquer que ce phénomène marche mieux au printemps qu’à l’automne.
Elle : - T’as pas l’impression de vivre une redite ?
Moi : - Un peu, si.
Elle : - En fait, c’est toi qui nous as foutu la poisse, il y a deux ans.
Moi : - Comment ça ?
Elle : - Rappelle-toi. Nous étions à Arleux-en-Gohelle. Au coucher du soleil, nous nous retrouvâmes au sommet d’un tertre de faible hauteur. À nos pieds s’étendait l’Artois, immense, éblouissant de lumière et d’étendue. Nous étions en rase campagne, mais vers quel point de notre direction ? Entre la plaine et l’éminence où nous étions enfoncées dans notre contemplation s’étendait une belle déclivité ovale, appuyée d’un côté aux terrils de Méricourt, protégée contre les vents par un rempart de collines fertiles. Directement à quelque distance, un village était semé dans un désordre pittoresque. Plus loin s’étendaient d’immenses pâturages dont la nature prend soin elle-même. Nous embrassions du regard ce riche aspect de l’Artois pendant plusieurs lieues, sans être fatiguées de son immensité, grâce à la variété des premiers plans, qui descendent par gradins de monticules et de collines jusqu’à la surface unie de la plaine de Flandre. Tu coupas le moteur à côté d’un cimetière du Commonwealth, et mon esprit se mit à divaguer. En un quart d’heure, je fis le tour du monde ; et quand je sortis de ce demi-sommeil fébrile, je m’imaginais que je me trouvais dans une de ces éternelles solitudes que les humains n’ont pu conquérir encore sur la nature sauvage.
Moi : - Qu’est-ce qu’il y avait dans ton dernier plein d’essence ?
Elle : - Quoi ? Ce n’est pas beau ?
Moi : - Si-si.
Elle : - C’est tout ??? Quand c’est George Sand qui écrit des trucs pareils, tout le monde s’extasie, mais quand c’est moi, prout, rien, macache, walou, nib !
Moi : - Mais si, c’est bien, mais il faudrait décoller un peu de ton modèle. Heureusement que tu ne nous as pas fait du Proust…
Elle : - "Longtemps, je me suis couché de bonne heure" ? Ah ben merci, on a déjà le couvre-feu, pas la peine d’en rajouter !
Moi : - En tout cas, je vois que l’écoute des livres audio que je diffuse dans ton autoradio depuis que tu t’es plainte de n’avoir d’autre culture que celle que te confère la lecture des panneaux routiers commence à porter ses fruits. C’est bien, p’tite Maguette, mais que voulais-tu dire ?
Elle : - Donc, nous étions à Arleux-en-Gohelle…
Moi : - OK…
Elle : - Le ciel roulait d’incandescents nuages, pris dans les derniers feux du couchant…
Moi : - Venons-en au fait…
Elle : - Quand soudain tu t’exclamas : "Il est vraiment trop chouette, le ciel en fin de journée au printemps, Titine ! Faudra refaire ce genre de virée l’an prochain !" Rheu ! Imbécile ! Regarde ce qui nous est arrivé depuis ! Et non contente de nous avoir collé la scoumoune il y a deux ans, tu as remis ça l’an dernier : "Ouais ben cette année on peut pas, alors on retournera du côté de Vimy l’an prochain." T’as vu le résultat ?
Moi : - Au début de l’année, tu me disais déjà que c’était ma faute ! Eh bien, au risque de te décevoir, je ne suis pas dotée des super pouvoirs que tu veux bien me prêter, non ! Je ne suis en rien responsable de l’épidémie !
Elle : - En tout cas la ligne de front s’est encore rétrécie depuis hier ! Il nous reste quoi à voir dans un rayon de dix kilomètres ?
Moi : - Heu, pas grand-chose, je le crains. (Me saisissant de mon smartphone) Attends, il faut que je vérifie avec l’appli de la Commonwealth War Graves Commission. Alors… Le cimetière de Lille-Sud, fait depuis longtemps, pareil pour Saint-André, Villeneuve d’Ascq et le Pont de Neuville à Tourcoing… Bon, ça, ce sont les quatre endroits où il y a le plus de Britanniques… J’ai fait tous les cimetières allemands du coin… Neuville-en-Ferrain, je connais, et puis c’est à la limite des dix kilomètres… Il y a de petits groupes ici et là… Ah, à Forest-sur-Marque… Nan, les tombes militaires datent toutes de la Seconde Guerre mondiale… À se demander ce que les Anglais de la World War Two font là… Dunkerque, c’est un peu loin, quand même… Ah, aussi à Mouvaux… et quatre-cinq à Hem. Mmm. Hem.
Elle : - Je te sens un tout petit peu moins enthousiaste que d’habitude.
Moi : - Tu l’as dit, d’autant que je peux me rendre à Mouvaux en tram.
Elle : - AH NON ! Pas en tram !
Moi : - Bon, on verra à faire un tour à Hem un de ces quatre, si ça te fait plaisir.
Elle : - Et pourquoi ne pas y aller maintenant ? Ça me dégourdirait un peu les essieux.
Moi : - Boh, tu sais, ça peut attendre demain. Ou la semaine prochaine. Je ne vois pas une très grande urgence à déambuler dans Hem.
Elle : - Je comprends. Hem, ça n’a pas tout à fait le même parfum d’aventure que d’habitude.
Moi : - En parlant de parfum, j’en viendrais presque à regretter les vaches qui pètent au pied du Mont Kemmel… »
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