10 avril 2021 (Made in Britain)

4 minutes de lecture

Elle : « Y a encore quelqu’un qui est mort ?

Moi : - Depuis des mois, nous perdons tous les jours en France l’équivalent d’un Boeing qui se crashe. Alors oui, pour répondre à ta question, il y a encore quelques uns et quelques unes qui sont morts.

Elle : - Mais non, je te parle de quelqu’un de connu. De royal, comme le couscous. La semaine dernière, c’était le tour des intermittents du spectacle, Juvet et Jésus, et cette semaine, j’ai entendu que le prince qu’on sort – enfin, qu’on sort plus – est décédé.

Moi : - Mais non, un prince consort, en un seul mot, c’est…

Elle : - Ah pardon, d’après ce que j’ai compris, sa fonction à lui, c’était de servir exclusivement pour les sorties de la reine. C’est pour ça qu’on l’appelait le ″prince qu’on sort″.

Moi : - Bon, si tu veux…

Elle : - Ça ne m’étonnerait pas qu’il soit mort d’une indigestion de sandwiches au cheddar et à l’oignon. Il y a de quoi tuer quelqu’un – si tu vois ce que je veux dire.

Moi : - Ne retourne pas le couteau dans la plaie, s’il te plaît. Je suis en manque. La route du sandwich 100% britiche semble définitivement coupée.

Elle : - Comme quoi y a pas que du négatif dans le Brexit. En tout cas, je suis effarée par tout l’émoi autour de cette mort de prince, ici en France. On n’est pas concernés, pourtant ! C’est un truc de rosbifs, non ?

Moi : - En effet, mais la monarchie fascine encore dans ce pays, et ce sujet, aussi triste soit-il, nous divertit deux minutes de la pandémie. C’est du malheur qui nous émeut sans nous angoisser.

Elle : - Les rois bègues, les princesses à grandes dents, les reines-mères qui boivent du gin, ça fait rêver ?

Moi : - Eh oui ! La preuve, dans les panoplies qu’on propose aux enfants, il y a le costume de princesse, mais pas encore celui de président de la république.

Elle : - Uuuuh. Ce serait donc ce qui manque, ici, en France. Des princesses et tout le bataclan.

Moi : - Je n’en suis pas sûre. D’autant qu’on a mené plutôt la vie dure aux rois, dans ce pays.

Elle : - Tu es en train de me dire qu’il y a eu des rois en France ?

Moi : - Un peu, oui.

Elle : - Avant ou après la Première Guerre mondiale ?

Moi : - J’oubliais qu’avec toi, la Grande Guerre est une espèce de mètre étalon… C’était bien avant la Première Guerre mondiale, pucette.

Elle : - Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’il n’y ait plus de rois en France ?

Moi : - Hum, c’est une longue histoire. Disons que dans ce pays, nous sommes des jusqu’au boutistes de la monarchie. En effet, pour nous, c’est tout ou rien. La monarchie absolue avec tous les pouvoirs pour une seule personne, ou le coup de balai général. C’est d’ailleurs le grand problème avec la monarchie absolue : une fois qu’on a dézingué le monarque (et sa famille), eh bien c’est fini, aux chiottes l’arbitre, on doit inventer quelque chose d’autre. Et ce quelque chose, c’est notre grande et belle république.

Elle : - La France, c’est une république ?

Moi : - Oui, on vote pour un président, et tout, et tout.

Elle : - J’ai pourtant l’impression qu’on vote au pays des sandwiches bizarres.

Moi : - Oui, les Britanniques votent aussi. C’est pour cela que je disais que les Français sont des extrêmistes du fait royal : nous ne faisons pas les choses à moitié, et quand nous avons un roi ou un empereur, ce sont de vrais dictateurs et le bon peuple n’a pas à se prononcer sur quoi que ce soit. Et quand on s’en débarrasse, on se retrouve sans rien.

Elle : - Sans culotte.

Moi : - C’est un peu comme avec le pape : ses prérogatives sont tellement étendues que s’il basculait, c’est tout l’édifice catholique qui vacillerait.

Elle : - Quoi, tu vois le pape en rocking-chair, toi ?

Moi : - Non, c’est une image pour t’expliquer. Prenons un autre exemple : s’il venait à l’esprit du patriarche de Constantinople de bazarder sa liturgie, il ne se passerait pas grand-chose. Pourquoi ? Parce que les autres patriarches ne suivraient pas, et garderaient leur liturgie pour leurs Églises autocéphales.

Elle : - Rheu ! Des autos QUOI ? Jamais entendu parler ! C’est une nouvelle marque de bagnoles ?

Moi : - Non, il ne s’agit pas de voitures, je te faisais juste la comparaison entre l’église catholique qui est dominée par un seul homme et l’église orthodoxe où on a beaucoup plus de mal à s’y reconnaître. Tu vois, les systèmes hiérarchiques sont centralisés sur une faiblesse, et cette faiblesse c’est leur cœur, leur centre, leur tête. Par contre, les systèmes en réseaux sont quasi-indestructibles.

Elle : - Mmm. La dernière fois que j’ai entendu parler de personnes qui fonctionnent en réseaux, c’est quand Ursula m’a expliqué en quoi consistent les films de mafia. Ah ouais !… Mais attends ! Ils ont dit à la radio que déjeuner dans un restaurant clandestin, c’était une affaire de réseau !!! Pas possible ! La mafia, les clandés, la famille royale d’Angleterre ! Tout se tient ! Tous des vendus ! »

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