12 mai 2021, 11h10 (Alerte !)
Elle : « Tu peux me dire ce qu’on fait là ? Pourquoi on va à Tourcoing ?
Moi : - …
Elle - On connaît déjà le cimetière du Pont de Neuville, pas vrai ? Il y a encore des soldats britanniques qui se cachent dans le coin ? Des cimetières allemands insoupçonnés ?
Moi : - …
Elle : - Ne me dis pas que c’est pour le travail ?
Moi : - En quelque sorte.
Elle : - Fichtre ! Un nouveau cours ! Et à Tourcoing, encore ! Ouah ! Nous voilà reparties à faire des boucles autour de Lille !
Moi : - Non, ce n’est pas pour un cours. Et arrête de parler, tu vas me déconcentrer. Il ne faut pas rater la sortie 10.
Elle : - Tu peux m’expliquer ce que c’est que ce mystère ?
Moi : - Je vais dans un centre d’analyses médicales pour un dépistage de la COVID. Ma boîte m’a appelée ce matin ; je suis cas contact.
Elle : - HEIN ? Tu es cas contact ??? Veux-tu sortir de mon habitacle tout de suite !
Moi : - En plein sur la voie rapide !?! Non mais ça va pas !!! Et je te rappelle que toi, tu ne crains rien du tout !
Elle : - Ça, c’est ce que tu dis ! On n’a pas encore fait le tour du virus, si tu veux mon avis !
Moi : - Non mais poulette, tu es une machine ! Une MACHINE ! Tu ne peux pas être contaminée par un virus !
Elle : - Peuh ! Et les virus informatiques alors ?
Moi : - Oh toi, tu n’as même pas besoin de ça pour bugger un max ! Cesse de te prendre pour une humaine, et conduis-nous sans encombre au paradis des tests PCR sans rendez-vous.
Elle : - Comment t’as fait ton compte, d’abord ?
Moi : - Je n’ai rien fait du tout, c’est un des stagiaires du groupe auquel j’enseigne l’anglais deux fois par semaine qui est malade.
Elle : - C’est ton élève sourd ?
Moi : - Non, je ne sais pas qui c’est et je ne suis même pas sûre de vouloir savoir qui a foutu le bazar. En tout cas, c’est pas vraiment la journée qui était prévue. Nous n’irons pas à Lille sud cet après-midi.
Elle : - Ah zut, moi qui me faisais une joie de retrouver la ″grisaille pareille à celle que dessinent, à travers les toiles d’araignée des verrières, les rayons de soleil changés en pointes émoussées d’argent bruni.″ *
Moi : - Tu crois que c’est le moment de faire des citations ?
Elle : - Il faut bien que je te soutienne le moral. À ce train-là, tu vas bientôt être au bord du rouleau.
Moi : - Mais non, allons…
Elle : - Bah je vais te faire un résumé de ta situation, au cas où tu n’aurais pas encore réalisé. Entre ça et la légion des roses qui se cache dans l’eau de ta résidence, tu ne peux plus respirer, sortir de chez toi, te laver à l’eau chaude, voir quelqu’un, éternuer. Avec ça, tu as gagné ta semaine !
Moi : - C’est ainsi que tu prétends me soutenir le moral ? Et puis c’est ″légionellose″, qu’on dit.
Elle : - Tu nous fais une Bachelot, en somme.
Moi : - Pardon ?
Elle : - Bah oui, une Bachelot. La ministre de la culture a été cas contact juste après être vaccinée. Se faire contaminer juste après avoir reçu sa piquouze, ça s’appelle donc une Bachelot.
Moi : - Arrête de délirer, on approche… (Après un bref silence) C’est curieux, j’ai regardé Google Maps avant de partir, et ça signalait un restaurant de tacos à l’adresse du labo qu’on m’a indiquée.
Elle : - Mmm, les centres de dépistage remplacent les restos. C’est tout à fait dans l’air du temps, ça…
Moi : - Bon ! C’est là que je vais me faire chatouiller le trijumeau. Garons-nous… Sois sage en m’attendant, hein.
Elle : - Courage. Il s’agit d’être en forme pour le premier long week-end de liberté.
Moi : - Désolée de doucher ton enthousiasme, mais je ne fais pas le pont.
Elle : - Pfff, jamais de fun avec toi ! C’est dommage, j’aurais bien aimé assister au premier lâcher de confinés de l’année… »
* M. Proust, ″Du côté de chez Swann″
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