Vyrian resta coi. Il ne savait que répondre à Xam. Le bruit d'une page tournée le sortit de ses pensées. Le scientifique faisait de nouveau face à la "légende des Sanctionneurs", seulement la page était blanche. Perplexe, il observa Yomi effectuer de grands gestes tout en spalmodiant, mais rien n’y fit. Malgré ses multiples tentatives, la page restait immaculée.

Dans l'attente, la projection mentale du chercheur se brouilla, l'angoisse qui s'installait en lui déformait ses traits. Il avait compris le danger que représentaient les légendes. Il ne doutait pas que "la légende des Sanctionneurs" apporterait son lot de surprises. Nerveux à l'idée des découvertes qui l'attendait, il observa avec appréhension Dungal surveiller son élève. L'enseignant attendit que la jeune femme finisse d'exécuter ses rituels avant de prendre la parole devant le visage déconfit de son apprentie, chagrinée par ses échecs.

— Si cette page apparait blanche, c’est parce qu’elle l’est. Aucune information sur les Sanctionneurs n’a été recensée. De rares témoignages mentionnent l'existence d'une aura maléfique. Le dernier en date remonte à dix-huit ans. Tout ce que je peux t’enseigner à ce sujet est de prêter attention au cœur magique de Xam et à tes propres ressentis. Tout comme les animaux perçoivent l’arrivée d’une catastrophe naturelle, certaines créatures mythiques ont la capacité de deviner l’approche d’évènements néfastes.

Yomi acquiesça. Vyrian, quant à lui, était désormais certain que son pressentiment était justifié. L’apparition de créatures non répertoriées à des moments clés de l’histoire du Monde Mythique ne pouvait être une coïncidence. Le scientifique chercha l’appui de Mère qui ne sut lui répondre. En son for intérieur, Vyrian ne put s’empêcher de penser : « Si seulement l'ignorance pouvait empêcher les catastrophes ».

Des percussions parvinrent aux oreilles du chercheur. D'abord ténues, elles ne tardèrent pas à saturer l'air d'une ambiance pressante. Dungal regarda Yomi avec affection.

— Tu devrais y aller.

— Je sais. Une dernière question, la cérémonie a-t-elle une utilité ?

— Tout a une utilité. La culture et les traditions ont persisté pour de bonnes raisons. Il est important de les respecter. Surtout à ton âge.

Sceptique, la jeune femme caressa Xam entre les oreilles, des ronronnements emplirent la pièce. Vyrian en fut apaisé, son image mentale se stabilisa. Calmé, il regarda Yomi quitter le salon. Dungal entendant la porte d’entrée claquer derrière son élève s’adressa au jeune Xealeras.

— Je vais effectuer quelques prélèvements magiques, si tu me le permets.

La créature s’allongea de tout son long, mettant en avant son cœur magique. Le Mysticys, estimant avoir reçu l’accord du Xealeras, entama les préparatifs nécessaires.

Vyrian aurait voulu en savoir davantage. Pourtant, la projection commençait déjà à retraverser le mur. Le chercheur pouvait distinguer l’extérieur imprimé sur la fine membrane de façade qui lui restait encore à franchir.

Intrigué par la jeune créature, Vyrian ne pouvait se résoudre à laisser derrière lui de précieuses informations. Cependant, il ne souhaitait pas non plus avouer à Mère le lien qu’il entretenait avec le Xealeras. Pour une raison qu’il ignorait, elle ne semblait pas être au courant de ce fait. Méfiant, il souhaitait posséder une seconde source d’informations. Xam était le candidat idéal. Puisqu’il ne pouvait prendre le risque d’engager directement la conversation avec lui, il devait trouver une autre solution pour obtenir des réponses. Le volumineux ouvrage toujours ouvert à la même page lui donna une idée.

— Attendez, nous ne pouvons pas laisser tant d’informations inexploitées. Ce livre comporte des connaissances dont nous pourrions avoir besoin.

— Certes. Seulement ce ne sont pas les ouvrages qui décident de l’issue d’une guerre, mais les hommes. Les Exilés y joueront un rôle important, il est crucial que vous apprenniez à les connaitre.

Vyrian reconnaissait la pertinence des arguments de Mère. Malgré cela, il n'avait pas décidé d'abandonner. Seulement, son avis ne lui fut pas demandé. Il se retrouva de nouveau au grand air.

Les habitations défilèrent dans des nuances de beige et d’ocre. Si bien que Vyrian ressentit le trajet retour comme le rembobinnement d'une cassette. Cette sensation n’était pas au goût de son corps habitué à une immobilité forcée. Arrivé devant le foyer de la jeune femme, Vyrian sentit ses entrailles protester.

Des cris s’élevèrent de la maison. Le chercheur reconnut sans mal la voix de Yomi, l’autre lui était inconnue. Au vu du ton que prenait la conversation, elle devait se disputer avec sa soeur.

— C’est à cette heure-ci que tu rentres !?

Poings sur les hanches, buste en avant et sourcils froncés, Ylméria comptait bien faire culpabiliser sa sœur. Pourtant Yomi ne semblait pas le moins du monde désolée.

— C’est Xam, il m’inquiète. Je suis allée voir Dungal pour qu’il me conseille. C’est vrai, je suis en retard, mais je ne regrette rien. Sa vie est plus importante que cette cérémonie arriérée !

Furieuse, Ylméria s’apprêtait à enchainer, pourtant au fond d’elle la remarque de sa sœur faisait effet. Xam était un membre de leur famille. Son arrivée remontait à quelques années seulement, mais sa présence avait changé leur quotidien. Sa colère reflua, Yomi profita de cette accalmie pour gravir les escaliers menant à sa chambre.

La pièce était comme elle l’avait laissée : désordonnée. Pour autant, cela ne la gêna en rien pour retrouver ses affaires. Yomi sortit une cape d'une pile d'objets hétéroclytes, elle la secoua pour déloger la poussière qui ternissait la couleur bleue électrique du tissu. Ylméria entra, une cape identique sur les épaules. La jeune femme surprise devant la simplicité de la tenue de sa sœur, la rabroua.

— Tu pourrais faire un effort quand même !

Yomi exaspérée, retourna la situation à son avantage.

— Au risque de nous mettre plus en retard, je n’oserai pas, chère sœur.

La mine renfrognée, Ylméria tourna les talons.

— Je t’attends en bas.

Yomi se saisit de quelques parchemins et attrapa son arme. La jeune femme vérifia et ajusta son équipement. D'un ample mouvement, elle dégaina son bâton de son étui et en déclipsa les extrémités. Deux dagues apparurent. D'une main experte, Yomi réalisa une série de moulinets. La lumière du soleil se réverbéra sur les lames, projetant aux quatre coins de la pièce une myridade de couleurs qui se superposèrent à l'ombre de la jeune femme.

D'une torsion de poignet, Yomi lança l'une de ses dagues. L'arme effectua une rotation dans les airs avant de redescendre, paumeau vers le bas, et d'atterrir sur l'extrémité du manche de la seconde arme. Les poignées fusionnèrent. La jeune femme passa son épée à double lames dans son dos et reprit ses moulinets. Elle enchaina par quelques estocades avant de pivoter sur elle-même visant une cible immaginaire. Elle arma son bras, fit coulisser d'un habile mouvement de doigts la partie arrière de son épée, la lame réintégra le manche tournant sur elle-même. Satisfaite, elle envoya sa lance. L'arme ondula dans les airs, avant qu'elle ne se fiche dans le mur, Yomi exécuta une rapide roulade et la réceptionna en se redressant. Elle fit rentrer la seconde lame, exerça une légère torsion de la structure du centre vers les extrémités, la structure suivit ses mouvements et s'arqua, un compartiment s'ouvrit. Yomi saisit la corde et la flèche qui se présentèrent, banda l'arc en direction de la porte. Elle tint cette position pendant quelques instants lègèrement essouflée et décoiffée avant de laisser ses bras retomber le long de son corps.

Un sourire de satisfaction étira ses lèvres. Vyrian se surprit à en faire de même. Subjugué par la démonstration, il n'avait pas prêté attention à l'onglet encyclopédique qui s'était ouvert. Ce n'est qu'à présent que l'admiration se dissipait qu'il remarqua les représentations 2D de l'arme. Il pouvait voir les mécanismes qui avaient conduit à une telle ingéniosité. Il ne s'attarda pas dessus, prit note du nom de la technologie : "arme convertible" et referma l'onglet. Rendu optimiste par la maitrise de la jeune femme, il s'empressa de faire part de ses espoirs à Mère.

— Si ça se trouve, les Exilés n'auront pas besoin de notre aide. Avec une telle maitrise que pourraient-ils bien leur arriver ?

Mère n'eut pas le temps de répondre. Un cri mit fin à la conversation. Yomi se tenait la main, son batôn roulait mollement au sol. Sa peau semblait enfler. Des striures apparurent. D'abord anarchiques, elles s'organisèrent sur le dos de sa main gauche. Tous purent discerner l'apparition du symbole à trois branches. Les ramifications qui le composaient se rejoignaient pour former un triangle. Chaque branche avait une extrémité différente, l’une était constituée d’engrenages, une autre de volutes d’énergie et la dernière d’une double hélice. L'étrange dessin disparut comme il était apparu. Vyrian observa Yomi palper sa main à la recherche d'une douleur résiduelle, rien ne se produisit. L'expression de la jeune femme resta inchangée, aucun cri ne franchit ses lèvres. Elle eut beau regarder sa main sous tous les angles, le symbole n'y figurait plus. 

— Qu'est-ce que ...

Yomi ne finit pas sa phrase, se précipita sur son bureau, sortit une feuille et entreprit de dessiner le symbole. Une fois terminé, elle plia le papier et le fourra dans sa poche. Vyrian devina que dès qu'elle en aurait l'occasion elle montrerait le à son mentor. La jeune femme revint sur ses pas, ramassa son arme, après s'être assurée que sa prise était bonne, elle jeta un dernier regard à sa main vierge. Des cloches sonnèrent au loin et firent sursauter la jeune femme qui se précipita dans la cage d'escalier rejoindre sa soeur.

L’apparition du tatouage donnait une inquiétude supplémentaire au chercheur. Les événements s’enchainaient bien plus vite qu’ils ne l’auraient pensé. Il aurait aimé bénéficier de plus de temps pour prendre sa décision. Il ne savait pas encore quel rôle il s’apprêtait à jouer dans cet entrecroisement de destinées.